La culture de LA VICTOIRE

Pierre Bilic

Le coach liégeois parle de son effectif et de son travail tout en ouvrant son cour.

Sclessin est le Francorchamps de ce début de saison en D1. Malgré la défaite face à Beveren, c’est le circuit où cela se passe, l’endroit branché où les amateurs d’émotions s’entassent avec l’espoir d’assister à de puissants démarrages et des dépassements à couper le souffle.

Dominique D’Onofrio a les mains dans le cambouis liégeois depuis pas mal d’années et s’est retrouvé à la tête de l’écurie rouge en 2002 suite au départ de Robert Waseige. Les cylindres de ses bolides ont souvent été remplacés par des pièces de rechange parfois usées jusqu’à la corde qui devaient pourtant être réajustées. Elles sont venues des quatre coins de l’Europe mais l’atelier de Sclessin a aussi innové, fait confiance à de jeunes mécanos inconnus et lancé de nouvelles technologies.

Même si l’essence a manqué d’octane lors du dernier sprint de la saison passée, le Standard s’est inscrit dans une courbe de progrès. Après avoir flirté avec Eric Gerets et Trond Sollied, la haute direction de Sclessin a demandé à Dominique D’Onofrio de revenir sur sa décision de prendre du recul. La suite mérite plus qu’un simple tour de piste.

Comment avez-vous interprété le bon début de championnat de votre équipe ?

Dominique D’Onofrio : Je vis au jour le jour, match après match mais, avec le staff, je m’étais fixé un objectif à la reprise des entraînements : être prêt pour le premier match de championnat. Il était important d’être dans le coup face au Lierse afin de continuer sur la lancée du deuxième tour de la saison passée. Il a été exceptionnel même s’il a manqué la cerise sur le gâteau, l’UEFA… La campagne de préparation démontra que ce groupe avait des atouts. Malgré des circonstances particulières, nous méritions de gagner contre le Lierse. A Zulte Waregem et à La Louvière, le Standard a émergé au finish. Et alors ? Ces six points ne sont pas tombés par hasard dans notre escarcelle. L’équipe est allée chercher ces victoires avec ses tripes et n’a rien reçu. Nous méritions toutes ces victoires acquises dans la douleur. A l’étranger, je vois souvent des matches qui basculent brutalement durant le temps additionnel, quatre ou cinq minutes après la 90e minute affichée au marquoir. A Anderlecht, la saison passée, le Standard a été battu 3-2 sur une tête de Hannu Tihinen à la 92e minute. Cette saison, nous avons passé un cap. L’équipe est capable de renverser le cours des choses même si j’estime qu’elle doit avoir une plus grande culture de la victoire. Malgré ce bon début de championnat, certains se demandent ce qui leur arrive. Je décèle encore une peur de gagner. Au Tivoli, à 1-2, l’équipe n’a pas su gérer : il a fallu attendre l’égalisation louviéroise pour provoquer un sursaut victorieux. La qualité de jeu ne me satisfait donc pas encore. Il faut mieux et plus pour que l’adversaire se dise : -On n’y arrivera jamais contre cette équipe. C’est là où je voudrais arriver parce que c’est cela qui nous a manqué la saison passée.

 » Milan Rapaic est le seul à connaître les vraies raisons de son départ  »

Le départ inattendu de Milan Rapaic n’avait-il pas écorné vos plans ?

Oui, sincèrement, et je dirai même que cela m’a beaucoup gêné. Nous ne nous y attendions pas. Milan avait réalisé une préparation magnifique. Il avait pris part avec envie et brio à tous les matches. Son départ à deux jours de l’ouverture du championnat a perturbé tout le monde. Moi en premier lieu. Rien n’annonçait une telle décision. Dès lors, il a fallu parer au plus pressé. Le groupe a bien compensé et réagi comme il le fallait. J’ai sans cesse défendu Milan et j’ai même eu des mots avec des journalistes estimant qu’il était en fin de carrière. Je me suis toujours félicité de l’avoir eu dans mon groupe. C’était un joueur fondamental qui nous a beaucoup apporté : richesse technique, placement, lecture du jeu, classe, etc. Je ne me suis jamais disputé avec lui mais il est le seul à connaître les vraies raisons de son départ. Ce n’est pas moi qui l’ai mis dehors. Et on ne claque pas la porte à deux jours de la reprise alors qu’on a encore un an de contrat. Il restait un peu de temps ainsi que la possibilité, éventuellement, de trouver une solution durant le mercato d’hiver. J’essaye de comprendre. Il serait devenu de plus en plus important. J’ai posté Michel Garbini dans la zone désertée par Rapaic. Même s’il n’a pas l’habitude de jouer à ce poste, il y a déjà été décisif.

Il y a à nouveau beaucoup de travail à gauche. La venue d’un médian gauche est à l’ordre du jour. Est-ce que cela offrirait à Michel Garbini la possibilité de reculer tout en permettant à Philippe Léonard de boucler la défense aux côtés d’Oguchi Onyewu ? Et heureusement qu’il y a Mathieu Beda. N’avez-vous pas craint un départ de l’Américain vers Anderlecht ou Manchester United ?

Je savais que plusieurs de mes joueurs seraient sollicités. Mais entre un intérêt et un transfert, il y a de la marge. Le Standard a réussi à prolonger le contrat d’Oguchi. Le joueur l’a fait avec enthousiasme car il sait que la Coupe du Monde est à l’horizon. Pour lui, la meilleure chose était de rester au Standard et de jouer avant cet événement. Je suis heureux qu’il soit resté tout comme je l’aurais été si Ivica Dragutinovic était encore à Sclessin. Garbini est un arrière gauche de formation. Il se débrouille bien un cran plus haut. Léonard peut être posté au centre de la défense. Beda a un gros potentiel et est un produit des centres de formation français. Je n’ai pas 36 alternatives. Drago avait de l’expérience. Beda est encore jeune. Léonard a plus de vécu. C’est un gaucher, comme Drago, et Philippe a toutes les qualités pour évoluer à ce poste où il nous a déjà bien dépanné. Si un médian gaucher venait, ce serait un atout en plus. Le club est conscient qu’il nous faudrait encore un ou deux joueurs. Un entraîneur doit sans cesse reconstruire. Même si l’effectif était le même dans les grandes lignes, il y a eu les départs des frères Curbelo dont j’étais content ou de Micky Mumlek. J’ai enregistré un retour (Almani Moreira), des arrivées (Christain Negouai, Beda, Mohamed Sarr) et il a fallu fondre ces éléments dans le groupe. Le banc est important. Il y a deux ans, la différence vint souvent via notre joker, Aliyu Datti. Ce fut moins le cas lors du dernier championnat. Mais cette saison, à l’extérieur, c’est le banc qui a fait la différence.

Drago laisse quand même un grand vide…

Oui mais c’est la vie. Il méritait cette promotion internationale et j’en suis fier pour lui. Cette avancée, il l’a obtenue au Standard. C’était l’ancien du groupe. J’ai travaillé avec lui durant cinq ans. Nous avons sué et progressé ensemble. Je l’ai entraîné individuellement quand il était blessé. Drago est devenu international au Standard, y a découvert la Coupe d’Europe, et m’a côtoyé comme T3, T2 puis entraîneur principal. Même si nous n’avons pas toujours été d’accord, cela a créé des liens d’estime réciproque. Il avait un gros impact mental sur le groupe. C’est un leader, un gagneur. Ce rôle peut être repris par Sergio Conceiçao, on le sait, mais aussi par Léonard, Vedran Runje ou Negouai.

 » Mémé a fait taire tout le monde  »

Et ce vestiaire chaud bouillant ?

Chaud gagnant : tout le monde donne le meilleur de soi sur le terrain, voilà ce qui m’intéresse. Si l’ambiance était pourrie, ce groupe n’aurait pas réussi un tel début de championnat. Notre vestiaire est comparable à tous les vestiaires de football. Tous les joueurs n’iraient pas en vacances ensemble : et alors ? Moi, je suis chaud bouillant aussi. Chacun a sa personnalité. Si je n’avais pas eu cette personnalité, je n’aurais pas tenu trois ans comme T1.

Quel rôle réservez-vous à Negouai ?

Il vient, il vient, il vient même bien. C’est cela : je sens que ça vient (il rit). N’oublions pas qu’il n’a pas beaucoup joué en Angleterre. C’est un récupérateur qui n’a pas oublié toutes ses habitudes d’ancien attaquant. Il l’a prouvé à Zulte Waregem où son apport a été décisif en fin de match.

Ne demandez-vous pas à Karel Geraerts d’être moins offensif que la saison passée ?

Karel joue remarquablement sans ballon. Il sait s’infiltrer en devinant où il faut être pour terminer une phase de jeu. Moreira et Wambi le font plus avec ballon. C’est une force. Quand on joue avec Mathieu Assou-Ekotto, pas de problème, il peut y aller : la couverture est assurée. Mais si on mise sur Wambi, Moreira ou même Negouai, qui aiment mettre le nez à la fenêtre, il faut trouver un équilibre défensif dans la ligne médiane et Karel doit être prudent, ouvrir l’£il, songer à la récupération. Cela ne signifie pas qu’il ne doit pas y aller au bon moment.

Jonathan Walasiak revient bien dans votre 4-4-2 : est-il relancé ?

Je ne l’ai jamais laissé tomber. Je n’ai jamais douté du potentiel de ce garçon très sensible. Il est issu de notre vivier. Il y a deux ans, Wali a mérité sa place en équipe nationale. Il a surmonté un très long passage à vide qui s’expliquait en partie par des soucis personnels. Il est un peu trop fragile mentalement mais c’est un garçon charmant qui ne laisse personne indifférent. Conceiçao l’encourage beaucoup et à l’entraînement, le laboratoire de toutes les équipes, Wali m’a montré qu’il était prêt. Il m’a envoyé un signal. Et il a été à la hauteur sur le terrain. Je l’ai aussi essayé au back droit contre Cologne. Il peut venir de loin, ajuster de bons centres. Cette polyvalence constitue un atout de plus pour son avenir.

Comment expliquez-vous le brio de Mémé Tchite qui devait être prêté à La Louvière ou au FC Brussels mais qui est désormais le pion indispensable en pointe ?

Au c£ur de l’été, Bangoura était encore là. Nous avions aussi Cédric Roussel, Serhiy Kovalenko et on pensait qu’un autre attaquant pouvait encore venir. Mémé avait aussi bien commencé la saison passée. Il avait rapidement marqué cinq buts. Puis, il s’est blessé, mis trois mois avant de revenir, et la charge de travail, pour un jeune découvrant la D1, était trop importante. Pour nous, il devait jouer et cela passait par un prêt car la division offensive était abondante. Mais notre avis a changé car ce garçon a démontré que le Standard avait besoin de lui. Il s’est tu et a beaucoup travaillé, a été un des meilleurs à l’entraînement et son efficacité a été gagnante sur le terrain. C’est un joueur de rupture. Mémé a fait taire tout le monde. C’est son mérite et il peut encore faire mieux.

S’affirmera-t-il encore plus ?

Bangoura n’était plus très heureux ici. Je ne sais pas pourquoi. Il n’avait plus la tête ici. Sam est revenu d’Afrique avec la malaria. Je l’ai titularisé même quand le public le sifflait. Dans mon schéma, Mémé jouait avec Sambegou Bangoura ou Cédric Roussel. Tout dépend de l’animation. On peut n’avoir qu’un attaquant de pointe et être très offensif. Tchité-Conceiçao, c’est bien aussi. Kovalenko peut également apporter son grain de sel. Marius Niculae est à 60 % de son potentiel. C’est un buteur de 24 ans. Il travaille…

Et Christian Karembeu, que pourrait-il apporter ?

Sa femme. Adriana, c’est cela ? Ce serait déjà bien, non ?

Mais, de toute façon, sans Conceiçao, pas d’attaque pugnace…

Il a une bonne polyvalence mais sa place de prédilection, c’est le flanc droit, que ce soit comme intermédiaire ou attaquant droit. Sergio a un coup de pied diabolique, un centre magnifique, du style Rapaic, et un dribble qui élimine souvent l’adversaire. Il provoque bien ses opposants qui ont parfois été exclus et…

… le nouveau capitaine liégeois s’exclut parfois aussi…

Ouais, c’est vrai. C’est souvent la conséquence de réactions inutiles. Nous en avons parlé. Même si cela coûte parfois cher, c’est son tempérament. Cela peut servir dans certaines situations, moins dans d’autres. Il doit se calmer car cela fait trop de cartes ridicules pour rouspétances. C’est un peu dommage mais il n’est pas spécialement protégé par les arbitres. La saison passée, c’était terrible. Les coups qu’il a pris, ce n’était pas rien. Eric Deflandre n’aimait pas son brassard de capitaine. Il n’était pas fait pour cela. D’autres auraient pu le porter mais Sergio est un compétiteur qui ne se cache jamais et dit ce qu’il pense. C’est un bon choix pour le capitanat.

 » Un entraîneur est toujours seul dans sa tête  »

L’équipe ne penche-t-elle pas encore plus à droite que la saison passée ?

Ce n’est pas parce que Sergio est très présent et attire l’attention qu’il faut automatiquement lui donner la balle. Tout le monde sait qu’il en fera un usage intéressant et c’est parfois la solution de facilité. Que l’équipe penche à droite ou à gauche, on s’en fout, l’important, c’est de gagner. Le Standard avait la deuxième attaque après quatre matches mais on prend malheureusement trop de buts évitables, ce qui n’était pas le cas la saison passée.

Quid de Wamberto ?

Wambi a été superbe lors des matches de préparation. Il est revenu de loin après sa fracture de la jambe, la saison passée à Genk. Ce joueur a tout donné pour revenir. Il est actuellement dans le creux, il paye le prix de ses efforts. Mais quelle mentalité, c’est un plaisir de travailler avec une personnalité aussi positive. Il reviendra, c’est certain.

Y a-t-il plus de culture footballistique sur votre banc que la saison passée, comme l’a dit Dragutinovic ?

En fait, un coach est tout seul en match. Je capte ce qu’on dit autour de moi mais je tranche. A la Louvière, personne ne l’a vu : à 1-2, je voulais faire monter Assou-Ekotto car nous ne parvenions plus à garder la balle. Assou était prêt mais la Louvière égalisa à ce moment-là. Le 2-2 était un bon résultat en soi et Assou était indiqué pour garder un point. Non, je voulais gagner le match. Stop, je me suis accordé 30 secondes de réflexion. Je sentais qu’on pouvait émerger. Assou a repris sa place sur le banc et c’est Kovalenko qui est monté au jeu. Il a fait sa part de boulot, même défensif, et fut à la base du dernier raid de Sergio qui amena le 2-3 de Mémé. C’est moi, mon coaching. Tomislav Ivic me consultait parfois mais la décision lui appartenait. La complémentarité est importante, c’est bien d’avoir des informations mais un entraîneur est toujours seul dans sa tête. Mais mon staff est formidable… Quand j’ai décidé de prolonger ma mission, je l’ai choisi en deux heures. Nous avons gagné tactiquement à Zulte Waregem et à La Louvière mais – et pour certains c’est dur de l’admettre ! – c’est Dominique D’Onofrio qui entraîne le Standard.

Toujours cette histoire de manque de respect ? Cela ressemble à un complexe…

Non, non. Si j’étais complexé, je ne serais plus ici, j’aurais arrêté après trois mois. Stéphane Demol me dit que je suis plus apprécié en Flandre qu’en Wallonie. Ici on m’attend au tournant. A Waregem, si nous avions été battus, la presse aurait dit : – Mais quel connard, pourquoi n’a-t-il pas remplacé Garbini ou pourquoi a-t-il lancé Wali à la place de Deflandre ? Non, il y avait des raisons, une recherche de nouveaux équilibres. A Bochum, la saison passée, on m’a reproché des remplacements après notre qualification européenne. Ma crédibilité s’est heureusement accentuée mais que représentent mes sept ans au Standard (dont une quatrième comme T1) par rapport à d’autres ? Il y en a encore qui doutent de mes capacités. Stéphane a beaucoup plus de crédibilité que moi dans le monde extérieur même si mes pairs m’estiment. Il en ira toujours ainsi…

Vos adjoints disent que le but, c’est une présence en Ligue des Champions la saison prochaine ! Après le couac face à Beveren, le test face au Club Bruges dans une semaine en dira plus long sur vos potentialités…

Non, c’est le premier grand match cette saison ; il y a un test toutes les semaines. Contre Beveren, la peur de gagner et la pression de la première place ont pesé lourd. En première mi-temps, Beveren a pu agir à sa guise. Le Standard jouait trop bas, a dû courir après les événements, aurait dû marquer trois ou quatre buts en deuxième mi-temps au lieu d’en encaisser trop facilement. Beveren, Cercle ou Club de Bruges : il faut repartir à zéro à chaque match.

Pierre Bilic

 » IL Y EN A ENCORE QUI DOUTENT de mes capacités « 

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