La crise, une aubaine

Comme le veulent les principaux clubs belges, il faudra bien se résoudre à faire maigrir la D1 pour qu’elle soit plus forte.

Il suffit de jeter un coup d’oeil sur la liste des transferts internationaux de cet été en Europe. Hormis l’incontournable Manchester United ( Rio, Anelka), c’est le calme plat. On est à mille lieues des 73 millions d’euros déboursés par le Real Madrid il y a un an pour s’offrir les services de Zinédine Zidane. Et cela ne changera pas beaucoup d’ici le 31 août, date de clôture de la « fenêtre » estivale des transferts internationaux. Et l’on sait que les transferts ont un effet boule de neige à partir du sommet. Cela vaut au niveau européen pour le Real aussi bien qu’au niveau belge pour Anderlecht. Pas de grosses transhumances, pas de moyennes ou de petites en cascades. C’est la crise dans les milieux du ballon rond au niveau mondial et européen.

Les causes en sont bien connues. La morosité économique internationale y est pour beaucoup et pratiquement aucun secteur d’activité n’est épargné. Le flop boursier a également touché les quelques clubs côtés à la corbeille, à l’exception notoire, comme toujours, de l’inébranlable Manchester United (51,25 millions d’euros de bénéfices avant impôts en 2001).

A ces causes générales, sont venues s’en ajouter d’autres, plus spécifiques au monde du sport en général et du foot en particulier. Les perspectives concernant les droits télé sont peu réjouissantes. Ils sont déjà à la baisse et les analystes estiment qu’ils devraient encore chuter d’une trentaine de % cet automne. L’émergence sur le marché des diffuseurs privés, qui ont pris le pas sur les chaînes publiques, a fait exploser les droits. A telle enseigne que pas mal d’entre eux ne parviennent plus à suivre et connaissent de graves problèmes financiers. Après Kirch et ITV-Digital, d’autres pourraient suivre. Les ennuis de Canal + seraient dû en partie au gonflement des droits sportifs.

La deuxième raison est l’inflation de la masse salariale à laquelle les clubs doivent faire face. Tout s’enchaîne: l’augmentation exponentielle des droits télé a permis aux dirigeants de club de ne pas être trop regardants devant les exigences salariales des joueurs qui ont pensé que la manne était sans fond. Or, après l’arrêt Bosman, il fallait bétonner des contrats de longue durée, sous peine de voir les meilleurs joueurs se volatiliser à la fin de chaque saison. En Angleterre, par exemple, la masse salariale globale des clubs pros s’est élevée à 1,2 milliards d’euros la saison dernière. Cela représente 69 % du revenu global des clubs. Economiquement parlant, c’est insoutenable et quelques-uns commencent, comme Leeds, à l’apprendre à leurs dépens.

A part Charleroi, personne n’est coté en Bourse

Si on examine la situation belge de près, on se rend compte que nos clubs échappent en grande partie à ces déboires. Hormis Charleroi, coté à Paris mais en « division trois », aucun club belge n’a fait son entrée en bourse. Certains doivent aujourd’hui s’en frotter les mains.

Pour ce qui est des droits télé, on peut dire aujourd’hui que nos clubs de l’élite ont fait la bonne affaire en mai dernier. Alors que dans tous les pays environnants, la bulle audiovisuelle est en train de se dégonfler, la Ligue Pro a signé avec Canal, RTBF et VTM un contrat plutôt avantageux qui court sur trois saisons. Il porte sur 15 millions d’euros par an. C’est une augmentation substantielle par rapport aux accords précédents (environ 50 %). Le contrat qui s’est terminé en juin dernier était global pour l’ensemble du football belge, toutes compétitions et équipes confondues. Il portait sur un peu plus de 10 millions d’euros par saison. Cette fois, l’Union Belge a négocié elle même les droits portants sur les images de l’équipe nationale à domicile et de la Coupe de Belgique ( RTL-TVI et VTM ont emporté le morceau). La Ligue avait les mains libres pour négocier seule les droits concernant le championnat en clair et différé aussi bien qu’en direct crypté. Le saucissonnage Ligue – fédération a été profitable aux deux entités (cf aussi notre rubrique Médias dans les Inside Foot).

Pour ce qui concerne les salaires, les études sur le sujet (KBC, « Football et économie », juin 2000; l’enquête de Trends « Gevaarlijk Spel », juillet 2001 ou l’audit de Deloitte and Touche commandé par la Ligue Pro à la fin 2001) s’accordent à dire que ces dernières années les clubs belges consacraient 70% de leurs revenus à la rémunération des joueurs. Ce chiffre devrait être revu à la baisse. Quelques clubs ont corrigé certains contrats dans le sens de la diminution ou se sont carrément séparés des salaires les plus élevés. La Louvière et Charleroi ont donné l’exemple en ce sens mais aussi les grands club comme le Standard avec Didier Ernst voire Anderlecht avec Alin Stoica. Partout en Europe, la tendance est au salary cap (plafonnement des salaires). L’UEFA envisage même d’institutionnaliser la chose et un groupe de travail planche là dessus à Nyon, en collaboration avec le G14. Mais ce ne sera sans doute pas nécessaire ou efficace car les clubs peuvent toujours contourner la règle en offrant d’autres avantages que le salaire proprement dit.

Ce rééquilibrage des salaires devrait donc se faire naturellement, suivant en cela la loi du marché. Cela fera mal à ceux qui ne l’admettront pas. Mais le spectre du chômage devient une réalité dans le monde du foot professionnel et cela devrait faire réfléchir chacun. Il y a déjà quelques exemples concrets qui vont en ce sens chez nous.

Un budget total de 131 millions d’euros

S’il semble qu’il y ait un léger mieux, les finances du foot belge n’en sont pas resplendissantes pour autant. Le système des licences et l’intransigeance des administrations a déjà permis de couper quelques branches mortes. L’année dernière ce fut le cas de Turnhout. Cet été, ce sont Alost, le RWDM et Zuid-West qui sont passés à la trappe car ils croulaient sous le poids des dettes. Cela a un double effet. D’assainir le football belge dans son ensemble et de faire réfléchir tous les clubs ensuite et pas mal l’ont déjà compris.

La saison dernière, on a estimé le budget global de la première division belge à 131 millions d’euro. Et comme le faisait remarquer l’enquête de Trends, ce budget dépassait de 15,5 millions les rentrées globales des clubs. Ce trou fut en partie comblé par la quote-part de l’UEFA pour la belle campagne d’Anderlecht en Ligue des Champions (9,5 millions après avoir atteint le deuxième tour) et par quelques transferts juteux comme celui de Daniel Van Buyten, passé du Standard à Marseille.

Le budget global de l’élite ne devrait pratiquement pas changer cette saison. Si les grands clubs ont revu le leur très légèrement à la hausse, les petits ont fait le chemin inverse. Mais cette année, il ne sera plus question de manne de la Ligue des Champions ni de gros transferts vers des clubs étrangers, sauf grosse surprise de dernière minute.

Au début de l’été un des managers européens les plus en vue avait chiffré le marché. Cela donnait pour la Belgique: une valeur de 6,25 millions pour Sonck et pour Baseggio, 4 pour Dagano, 2,5 pour Huysegems et 2 pour Vandenberg Jr. Seul jusqu’à présent ce dernier a émigré mais est resté en Belgique (de Westerlo à Genk). Si cela ne fait sans doute pas l’affaire des trésoriers de clubs, c’est une aubaine au point de vue purement sportif. Le champion de Belgique a pu garder son duo magique d’attaque en ce compris son Soulier d’Or, généralement toujours convoité par un club étranger. Les clubs belges devront donc équilibrer eux-mêmes leur budget puisqu’il n’y aura sans doute pas d’apport externe comme les années précédentes. Il semble en première analyse que pas mal de dirigeants de clubs de D1 l’aient bien compris.

Il n’en reste pas moins que le football belge reste économiquement parlant peu compétitif par rapport aux pays environnants. Tous les analystes sont d’accord sur un point: un club n’est viable que s’il peut s’appuyer sur une population d’un million de personnes au moins. C’est valable pour ce qui concerne les spectateurs potentiels mais aussi pour ce qui est des sponsors. Or, chacun de nos 18 clubs de D1 est entouré d’un environnement de 560.000 habitants. C’est presque huit fois moins que pour la Bundesliga et cinq fois moins qu’en Angleterre. Et c’est là, véritablement, que le bât blesse.

Opération réduction à 14

La proposition, entre autre d’Anderlecht qui prend le relais de Michel D’Hooghe, de réduire la D1 à 14 clubs dès la saison prochaine est donc encore en deçà des exigences économiques. Cette réduction du nombre de clubs de l’élite, on en parle depuis longtemps mais les clubs font barrage dès qu’on touche de près ou de loin à leurs prérogatives. Tous les dirigeants sont d’accord sur le principe mais se cabrent dès que leur club est visé. Mais c’est la seule solution pour redonner quelque vigueur au football professionnel en Belgique. Pour arriver à 14 clubs parmi l’élite, il y a la méthode forte et la méthode douce, voire l’anarchique ou la scientifique. En ce sens, il existe un document qui pourrait faciliter la tâche de la Ligue Pro car il fait abstraction de tout l’aspect sentimental et passionnel qui fait le plus souvent office de frein en la matière.

L’année dernière, Trudo Dejonghe, licencié en géographie et en économie à l’université de Gand, a présenté une thèse de doctorat sur le sujet. « Il y a plus que jamais une problématique de localisation pour des clubs en Belgique », démontre-t-il, chiffres à l’appui. « Les lieux qui proposent une population restreinte ou un rayonnement limité dans leur région ne peuvent accueillir durablement avec succès un club professionnel. Des fusions ou disparitions sont donc nécessaires sur base de données objectives, ce que le football belge n’a jamais pris en considération ».

Que propose donc cette thèse de doctorat défendue avec succès au département géographie de la RUG? Une D1 à 14 clubs avec Anderlecht, le Standard, Bruges, Mouscron, Genk, La Gantoise, le Sporting de Charleroi, un seul club dans la Métropole (fusion Antwerp-GBA), un seul club pour l’entité Lierse – Malines (avec un stade entre les deux), un FC Borinage-Centre (avec Mons et La Louvière), un club dans la région de Courtrai – Waregem – Harelbeke (avec un stade à Deerlijk par exemple), un FC Waasland (fusion Lokeren – Beveren avec stade à St-Nicolas), un FC Campine (résidu de Turnhout, Geel et Westerlo) et un FC Hesbaye (autour de St-Trond).

On entend déjà des pleurs et des grincements de dents, surtout dans le Hainaut et le pays de Waas. Mais il y va de la survie de football belge. Alors autant faire table rase des querelles ou vanités de clochers et ne plus laisser place aux sentiments. Pour ne se baser que sur des réalités économiques. le monde du football y est peu habitué mais doit franchir le pas. Le plus rapidement possible.

Guy Lassoie

Cette saison, pas de primes de la Ligue des Champions ou de gros transferts vers l’étranger!

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