La crise à Sclessin

Pourquoi le Standard brade-t-il son championnat ? A-t-il une chance de sortir de cette spirale ?

En période de crise, toute entreprise qui se respecte tente de nier les effets dévastateurs de celle-ci en retirant du positif de chiffres qui piquent du nez. Le Standard n’échappe pas à la règle. Relégué à dix points d’Anderlecht il y a une semaine, on parlait plus de la petite télévision du banc gantois ou du déplacement à Arsenal que de l’indigence du jeu liégeois. Jusqu’à présent, le suspense européen permettait d’éviter de parler du championnat. Jusqu’au naufrage collectif de Saint-Trond…

Le Standard compte déjà 13 points de retard. Soit, si les playoffs commençaient aujourd’hui, il devrait rattraper six unités sur son rival ancestral, Anderlecht. En bord de Meuse, officiellement personne ne s’inquiète vraiment. On y évoque la situation de l’année passée, lorsque les Liégeois avaient réussi à effacer un handicap de quatre points avant de coiffer les Anderlechtois lors des test-matches. Mais officieusement, le feu commence à couver. Le mot crise est apparu dans la bouche des joueurs. Benjamin Nicaise a évoqué un mal-être. Quant à Laszlo Bölöni, il a montré quelques signes de découragement :  » Anderlecht est trop loin. L’hiver sera délicat et difficile.  »

Les Rouches comptent six points de retard par rapport à la saison dernière, à pareille époque et a déjà laissé en chemin 23 points (sur 48). Anderlecht s’est envolé, le jeu liégeois s’est étiolé et le reste de la meute commence à chasser derrière. On en vient même à se demander si les Liégeois seront présents parmi les six premiers pour les playoffs.

La direction refuse de verser dans la précipitation mais il se chuchote déjà que l’entraîneur occupe désormais un siège éjectable. Trois semaines, il ne lui resterait que trois semaines pour sauver sa peau. Dans cette optique, le match contre Alkmaar sera capital. En cas de défaite, le bilan saisonnier du Roumain perdrait beaucoup d’éclat, passant du plus que satisfaisant à l’insuffisant.

Faut-il s’en faire ?

Oui, car ce qui faisait le succès du Standard les deux dernières saisons a disparu. Le jeu n’est plus présent. Le Standard a perdu à Saint-Trond. Pas étonnant dans l’enfer du Staaien ? Si car ce Saint-Trond-là n’a même pas sorti un gros match.  » L’année passée, quand on était moyen, on gagnait ce genre de match « , concédait Axel Witsel à la fin de la rencontre.  » On a été mauvais, c’est tout « , corroborait Nicaise. Depuis le début de la saison, on a peu vu le Standard conquérant. La victoire contre Bruges aurait dû lancer la machine. Mais derrière ce match référence, le Standard a sombré à Gand et à Saint-Trond, en ne montrant rien.  » A Gentbrugge, on peut se dire que les têtes étaient à Arsenal, mais à Saint-Trond, on va dire quoi ? », lâchait un joueur.

 » On n’a pas su exploiter nos points forts et quand c’est comme ça, on devient une équipe comme les autres « , expliquait Bölöni. A Saint-Trond, la défense a paru fébrile, les arrières latéraux n’ont rien pu apporter, les médians ont manqué de créativité, portant beaucoup trop le ballon, et l’attaque semblait trop légère avec les trop limités Réginal Goreux et Moussa Traorépour épauler Milan Jovanovic.

De plus, la jeunesse de l’effectif conduit trop souvent à la précipitation.  » Quand ça ne marche pas, on a tendance à s’énerver « , dit Mehdi Carcela. Résultat des courses : six cartons jaunes et deux fois plus de fautes concédées que Saint-Trond (20 pour 11). Lorsque le Standard perd son football, il devient agressif. Souvenez-vous du match contre Anderlecht : le Standard avait joué cette carte parce qu’il se trouvait, au sortir du mois d’août, en fâcheuse posture.

 » La qualité de jeu souffre « , explique Bölöni.  » Mais quand je mets sur papier ma meilleure équipe, je peux me rendre compte que jamais, depuis le début de la saison, je n’ai pu évoluer avec ce onze idéal. A certains moments, il me manquait même cinq joueurs ! Et là, vous conviendrez qu’il devient difficile de parler de qualité de jeu. A l’heure actuelle, pour faire une bonne prestation, il faut que l’équipe évolue à 150 %. Il faut que mon gardien fasse des arrêts exceptionnels ou que Jovanovic effectue une prestation comme contre Bruges. « 

Le titre est-il perdu ?

Même si tout le monde se raccroche désormais à la nouvelle formule du championnat, on voit mal les Rouches aller rechercher Anderlecht (à 13 points) mais également Bruges (à 8 points). Les joueurs ont-ils dédaigné la première partie de la compétition sachant qu’il y avait les playoffs pour se rattraper ?

 » J’espère que ce n’était pas prévu dès le début « , affirme le directeur général, Pierre François.  » La nouvelle mouture n’est pas la meilleure mais je la défends en ne la condamnant pas. Finalement, elle va peut-être nous aider…  »

Par contre, les objectifs ont été revus à la baisse avant le match à Saint-Trond. Pendant la semaine, on ne parlait plus de titre, ni de limiter le nombre de points sur Anderlecht avant les playoffs mais de… top-6.  » Bien sûr qu’il faut recoller au duo Anderlecht-Bruges de manière à aborder les playoffs dans une situation moins compliquée au niveau comptable mais notre ligne de conduite se limite aujourd’hui à nous trouver parmi les six premiers « , expliquait le directeur technique Dominique D’Onofrio.  »

N’aurait-il pas mieux valu ne pas penser à la nouvelle réforme ?  » Avec des si… « , poursuit-il.  » La réalité est celle d’aujourd’hui. Nous avons 13 points de retard. Voilà du concret, du réel. Le reste, ce n’est que pure élucubration. « 

Le Standard a-t-il lâché le championnat pour la Ligue des Champions ?

Certes, le Standard a connu beaucoup de malchance quand on voit la liste des blessés qui n’a cessé de s’allonger, mais comment expliquer l’écart entre le niveau des Liégeois en Ligue des Champions et celui en championnat ?  » C’est tout à fait humain de se comporter de la sorte pour une première en Ligue des Champions « , se défend DD.  » Les joueurs savent que c’est là qu’ils vont franchir un palier. Et naturellement, cela va leur servir pour le championnat.  »

 » Il est tentant de comparer les deux compétitions « , lâche Pierre François,  » mais il ne faut pas verser dans cette caricature. Cette équipe a dû composer avec un maximum de contretemps. « 

Les blessures n’expliquent pas tout. La concentration des joueurs ne fut pas la même en Ligue des Champions et en championnat.  » Sans doute avez-vous raison « , concède Bölöni.  » C’est totalement autre chose d’aller jouer à Arsenal ou à Roulers. Et cela fait naturellement travailler le cerveau. Mais l’année passée aussi, le Standard offrait deux visages. Quand on parle de l’évolution d’une équipe, il faut aussi évoquer la gestion de la fatigue mentale. Les joueurs doivent s’habituer à enchaîner les matches et à passer d’Arsenal ou Séville à Roulers ou Saint-Trond. On peut maîtriser beaucoup plus facilement la fatigue physique. Il y a des appareils et des méthodes pour la contrer. En revanche, il faut s’habituer à éliminer la fatigue psychologique. Le joueur doit se dire qu’il doit devenir résistant et efficace. « 

Et c’est là qu’intervient le travail de Bölöni :  » Tu leur parles du championnat, de la situation ; tu leur montres des photos du titre. Et moi, je leur dis que pour arriver à évoluer contre Arsenal, il avait fallu battre Tubize. Mais si c’est facile de leur dire ces choses-là, c’est beaucoup plus difficile de le faire entrer dans leur cerveau. « 

 » On doit comprendre que le championnat est notre pain quotidien « , disait d’ailleurs Olivier Dacourt après le match contre Saint-Trond.

L’Europe valait-elle le coup ?

La question est délicate. Car elle dépend évidemment de l’issue de la compétition. Le Standard peut encore prétendre à la deuxième, troisième mais aussi finir à la quatrième place. Être encore dans la course à la qualification à une journée du terme relève déjà de l’exploit. Surtout pour une première participation. Mais si au soir du match contre l’AZ, les Rouches finissent quatrièmes et pointent toujours aussi loin en championnat, on pourra se demander ce qu’aura rapporté l’Europe. A part de l’argent ! Finir dernier d’une telle poule équivaudrait à un énorme sentiment d’échec.

 » Les choses ne se sont pas bien goupillées « , explique Pierre François.  » On a connu beaucoup de blessures et deux buts résultent d’une aberration et pourtant, on est toujours en course pour la qualification ! Si nous obtenons sept points, cela serait un bilan très honorable. « 

 » Dans l’ensemble, cette campagne me laisse un petit goût de trop peu. Surtout si on retient le match aller contre Arsenal et le déplacement à l’Olympiacos « , renchérit Dominique D’Onofrio.  » Mais ce goût de trop peu pourrait s’effacer très vite en cas de qualification. Sur le plan de l’expérience, nous avons encore franchi un palier par rapport à la saison passée. Contre l’Olympiacos, par exemple, il y avait cinq joueurs issus de notre centre de formation sur la pelouse. Certes, on dira qu’à Arsenal, on n’a pas tenu la distance. Mais chez eux, on arrive à se créer quatre franches occasions alors qu’on est dominé. Et chez nous, on leur plante deux buts. Dites-moi qui peut en dire autant ? »

La Ligue des Champions a certainement coûté des points en championnat mais dès le départ, cette donnée était connue. Tous les clubs belges qui ont participé à l’aventure ont perdu des points en compétition belge, à cause du manque d’envie qu’on ressent après voir côtoyé les vedettes ou de la fatigue engendrée par la succession des matches.

Faut-il revoir la politique de recrutement ?

Cela fait deux ans que le Standard est champion avec un noyau étriqué. La première saison, le club avait été épargné par les blessures. L’année dernière, les Rouches ont dû composer avec l’absence de quelques titulaires mais cette fois, l’hécatombe est criante. La question de la composition du noyau se pose car à Saint-Trond, on a pu se rendre compte que quelques joueurs n’avaient pas le niveau adéquat pour faire la différence.

Fallait-il acheter plus tôt des joueurs d’expérience au lieu de mettre tous ses £ufs dans le même panier (celui de la jeunesse) ? Ricardo Rocha et Olivier Dacourt, arrivés trop tardivement, n’ont pas encore intégré véritablement le groupe.  » Faut-il remettre en cause notre politique parce que nous avons beaucoup de blessés ? », lâche Pierre François.  » Notre politique est la bonne. Elle est utile sur le plan des finances car posséder un noyau trop lourd, c’est autant de contrats à assumer. Elle limite le nombre de cas à gérer et elle donne la possibilité de hisser un certain nombre de jeunes en équipe première. Pour que cela se complique, il faut que la guigne s’abatte sur notre noyau comme c’est le cas actuellement.  »

Néanmoins, le banc manque de talent.  » Gand peut laisser un Tim Smolders sur le banc « , se lamente Bölöni,  » Moi, je n’ai pas de Smolders.  » Mais également d’expérience.  » Nous, on construit et cette construction forcée, dans un an, elle sera bénéfique « , continue Bölöni.  » Cependant, c’est plus facile d’intégrer un Steven Defour quand tu le jettes à l’eau au milieu de vieux nageurs comme Oguchi Onyewu, Sergio Conceiçao ou Ricardo Sa Pinto que de lancer un Cyriac au milieu de Witsel, Carcela et Traoré. C’est vrai que si on regarde la résistance au contact ou au stress, il faut bien admettre que nous sommes encore très verts. C’est normal. La moyenne d’âge de notre entrejeu est celle d’une équipe juniore.  »

Est-on à la fin d’un cycle ?

 » C’est bien probable « , analyse Pierre François.  » Cela a déjà été dit et envisagé il y a quelques mois d’ici. Mais c’est la beauté du football que de se battre pour son blason tout en se demandant s’il ne convient pas de tourner la page. Maintenant, on verra quels noms nous estimerons indispensables de garder pour ce nouveau cycle afin que le passage de témoin se fasse sans heurts entre cette équipe et la suivante. C’est une réflexion que nous menons tant au niveau des joueurs que de celui du staff technique. « 

Si cette phrase n’est pas une mise en garde envers Bölöni, elle y ressemble furieusement. Même si Dominique D’Onofrio se veut plus diplomate :  » C’est prématuré de parler de la fin d’un cycle. Les joueurs ont tous un contrat de longue durée. Ils ne partiront pas tous. « 

par stéphane vande velde

« On doit comprendre que le championnat est notre pain quotidien. (Olivier Dacourt) »

« La fin d’un cycle ? C’est bien probable. (Pierre François) »

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