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La créature d’aspire

Élu parmi les castings à répétition de l’Aspire Football Dreams, Lazare était perçu comme l’un des talents les plus prometteurs d’Afrique. Charleroi espère le voir rattraper le temps perdu.

Novembre vient à peine de pousser ses premiers cris, mais certains ont déjà sorti les gants. Le climat des Cantons de l’Est reste l’un des plus rugueux du pays, mais la venue de Saint-Trond est l’occasion de réchauffer les 2.850 courageux éparpillés dans les tribunes du Kehrweg. Quelques minutes après avoir mis sur orbite Mamadou Sylla, au bout d’un dribble raffiné et d’une passe délicieuse, Jean-Thierry Lazare Amani range son costume de passeur (cinq assists sur ses quinze premières apparitions) et dégaine une frappe du gauche à distance qui ne laisse aucune chance à William Dutoit.

Lazare a encore plus de talent qu’Onyekuru, mais on l’a peut-être trop vite encensé…  » Siebe Blondelle

Dans l’ombre des buts d’ Henry Onyekuru, le milieu de terrain ivoirien est l’une des révélations du retour des Pandas au sein de l’élite belge. Autour d’une colonne vertébrale constituée par l’expérience de Siebe Blondelle et le talent hors norme de Luis Garcia, les talents du projet Aspire sont mis en vitrine par le football spectaculaire affiché par les hommes de Jordi Condom.

Un duel avec Sander Berge à l'époque pas bien lointaine où il était encore Panda tandis que le Norvégien jouait à Genk.
Un duel avec Sander Berge à l’époque pas bien lointaine où il était encore Panda tandis que le Norvégien jouait à Genk.© BELGAIMAGE

Au bout de la première saison, Onyekuru (à Everton) et Sylla (à Gand) décrochent un transfert pour récompenser leur acclimatation réussie à l’univers belge. Lazare, lui, reste à quai.  » Je suis un peu triste de sa situation, on n’a pas su l’élever au niveau escompté « , se désole Christoph Henkel dans les colonnes de L’Avenir, au moment d’évoquer le départ de Lazare pour Charleroi.

Le directeur général des germanophones ponctue ainsi le récit d’une aventure entamée à plein régime, avant de connaître son lot d’aléas lors des trois saisons suivantes. Sous les ordres de Claude Makélélé, l’Ivoirien s’offre bien 48 apparitions en un an et demi, mais n’est plus jamais décisif, à l’exception de l’une ou l’autre rencontre de play-offs 2.

Avec Beñat San José, les comptes s’arrêtent à 492 petites minutes, quand Lazare sort de l’équipe après un naufrage à Mouscron. Pourtant auteur d’une prestation aboutie sur le terrain de Bruges quelques semaines plus tôt, l’Ivoirien fait les frais du nouvel équilibre défensif trouvé par le coach basque des Pandas. Et quitte finalement les Cantons de l’Est avec un goût de trop peu, résumé en une phrase par Siebe Blondelle :  » Lazare a encore plus de talent qu’Onyekuru, mais on l’a peut-être trop vite encensé…  »

D’Oumé à Dakar

Les talents d’Aspire ont-ils du mal à garder la tête sur les épaules ? Très tôt, leur parcours leur indique en tout cas qu’ils font partie de l’élite. Quand Lazare Amani débarque à Eupen, à dix-huit ans à peine, il a déjà survécu à des processus de sélection dignes d’un Survivor de télé-réalité. L’Ivoirien est l’un des produits majeurs du fameux programme  » Aspire Football Dreams « , lancé par le Qatar pour dénicher des talents à certains endroits du globe où il est moins bien casté qu’en Europe.

Entre 2007 et 2016, la caravane à recruteurs d’Aspire sillonne ainsi l’Afrique, invitant des jeunes adolescents de treize ans à tâter le ballon pour en retenir les meilleurs. Au rythme approximatif de 400.000 joueurs testés par an, les élus sont évidemment rares.

 » Les tests étaient faits dans différentes villes, et j’ai donc d’abord été détecté dans ma ville natale « , se rappelle Lazare, qui voit débarquer à Oumé les yeux affûtés des scouts d’Aspire. Le casting se joue en 25 minutes, lors d’un match à onze contre onze. Une sorte de speed-dating footballistique où deux critères sortent immédiatement du lot.

 » La base du projet, c’est la qualité technique « , explique Josep Colomer, ancien directeur de la Masia devenu visage sportif d’Aspire et installé jusqu’en septembre dernier comme directeur sportif d’Eupen.  » Mais l’autre aspect primordial, c’est la personnalité. Parce qu’un joueur sans personnalité, si tu le mets dans une équipe avec dix inconnus et qu’il n’a que 25 minutes pour prouver ce qu’il sait faire, tu ne le vois pas. Surtout sur un terrain en pente, plein de rebonds… En Europe, on n’appellerait même pas ça un terrain.  »

Sorti du lot à Oumé, puis encore sélectionné parmi les quatre meilleurs Ivoiriens au bout d’un test de trois jours à Abidjan, Lazare Amani rejoint Doha et la fameuse  » Aspire Zone « , où de grands clubs se succéderont bientôt pour leur stage hivernal. Là, il rencontre Jordi Condom, qui est son coach lors des finales internationales de l’Aspire Football Dreams, rassemblant les meilleurs joueurs détectés aux quatre coins du globe. Une nouvelle fois, le petit format ivoirien sort du lot, et fait finalement partie des dix-huit joueurs sélectionnés pour intégrer l’académie africaine d’Aspire, située à Dakar.

No stress

Loin de sa famille, presque cloîtré dans un complexe où les moments d’évasion se limitent à trois ou quatre heures de sortie toutes les deux semaines, Lazare dévore du football au rythme de deux rations par jour. Son objectif, comme celui de tous ceux qui l’accompagnent dans cette vie footballistico-monastique, est de rejoindre l’Europe via Eupen, point de chute choisi par Aspire pour y développer ses meilleurs talents.

Les aventures des Pandas, et leurs nombreuses tentatives avortées pour rejoindre l’élite, sont donc suivies depuis Dakar, où on ne manque jamais non plus les matches du Barça, dont le football est forcément une source d’inspiration pour ces talents éduqués au jeu à l’espagnole par des formateurs souvent passés par la Masia.

La montée tant attendue intervient finalement en 2016. Elle coïncide avec le dix-huitième anniversaire de Lazare, et l’amène à franchir la Méditerranée. Installé aux côtés de Luis Garcia sur le terrain, l’Ivoirien boit les conseils du vétéran espagnol, et se distingue rapidement par sa capacité à éliminer son adversaire direct dans l’axe du jeu, une zone où les dribbles créent des avantages conséquents. Malgré son mètre 72 et son âge encore tendre, il s’installe donc rapidement dans le onze de Jordi Condom.

 » S’il joue aussi souvent, c’est parce qu’il ne ressent pas le stress « , explique alors le coach des Pandas.  » Les jeunes de l’Académie débarquent ici, et tout est nouveau pour eux : ils n’ont jamais disputé une compétition où ils jouent chaque semaine pour des points. Gagner un championnat, monter ou descendre, ils ne connaissent pas. Jouer devant des supporters, devant la presse qui note ta prestation, perdre ton poste de titulaire si tu ne prestes pas, ce sont toutes des nouveautés pour eux.  »

Une réalité à laquelle Lazare parvient, comme Onyekuru et Eric Ocansey avant lui ou Moussa Wagué quelques mois plus tard, à s’adapter sans trembler.  » Nous savions qu’il avait énormément de talent, mais pas qu’il ferait preuve d’autant de calme malgré son âge « , affirme à l’époque Christoph Henkel.

Divorce inéluctable

Lazare commence-t-il à planer, rêvant trop haut de transfert ? Ou bien a-t-il été écarté pour des raisons uniquement sportives ?  » J’ai beaucoup développé mon jeu à un moment, mais beaucoup de choses se passent en interne « , s’est contenté d’expliquer le nouveau Zèbre lors de sa conférence de presse de présentation dans le Pays Noir.  » J’avais parlé avec la direction et depuis un certain temps, je sentais qu’il était temps d’aller voir ailleurs.  »

Le départ de Jordi Condom a fait passer au second plan le développement des talents d’Aspire. Makélélé avait amené un football plus réaliste, à la française, qui mettait davantage en exergue les routiniers de la Pro League que les pépites de l’académie. Aujourd’hui, avec la fermeture des académies africaines, Eupen semble avoir perdu son statut de vitrine, et devient de plus en plus un club comme les autres au sein de l’élite belge.

Les jeunes talents sont rares sur le terrain, et Beñat San José préfère muscler le coeur du jeu avec un Jens Cools, plaçant généralement Lazare sur un flanc les rares fois où il a décidé de lui faire confiance. Les symptômes d’un divorce inéluctable.

En quête d’un joueur prometteur au milieu de terrain, Charleroi saute sur l’occasion en profitant du passeport footballistique belge de Lazare, obtenu grâce à ces saisons passées dès sa majorité sur les prés belges. Les Zèbres espèrent relancer la carrière d’un talent qui a allongé ses crocs à force de ronger son frein hors du terrain.

Un profil revanchard qui entre parfaitement dans le casting habituel des recrues du Pays Noir, le tout condensé en une phrase, glissée avec un ton discret, presque timide, en total contraste avec l’ambition des mots :  » Même lors de ma première saison, ce n’était pas le vrai Lazare. Je n’ai encore rien fait en Belgique, je suis capable de beaucoup plus.  »

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