La Coupe sans lie

De retour sur les terrains après une longue absence, le petit Marocain vise une victoire finale en Coupe de Belgique.

Logiquement, Mbark Boussoufa aurait dû disputer la CAN avec les Lions de l’Atlas. Une distorsion des ligaments du genou, qui l’a tenu loin des terrains pendant trois mois, en a décidé autrement. A défaut de s’illustrer au Ghana, le feu follet du RSCA a à c£ur de rattraper le temps perdu et de sauver ce qui peut encore l’être, cette saison, pour ses couleurs. En gagnant la Coupe, par exemple, seul trophée qui manque à son palmarès sur notre sol…

Un an et demi après votre arrivée au RSCA, quel regard portez-vous sur votre parcours ?

Mbark Boussoufa : Je n’en suis pas trop mécontent. J’ai remporté le titre avec le Sporting, je me suis vu décerner le Soulier d’Or. J’ai inscrit 8 buts et délivré 14 passes décisives. Lors de ma dernière campagne à La Gantoise, j’en avais paraphé 9 tout en distribuant 17 assists et j’étais devenu Footballeur Pro. D’un club à l’autre, la différence n’était donc pas bien grande. Pourtant, aux dires de certains, je ne pouvais pas être crédité d’une bonne saison. Je me demande franchement quelles statistiques on attend de moi.

Ils espéraient probablement plus de vous, ainsi que de l’équipe, en Ligue des Champions ?

J’ai été par deux fois à la base d’un but : à l’AEK Athènes et contre Lille. Deux matches qui s’étaient soldés par autant de points. Mine de rien, ce n’était pas si mal, vu qu’Anderlecht n’avait fait que de la pure figuration, au plus haut niveau européen, durant les deux campagnes antérieures. Ce coup-ci, nous étions quand même parvenus à maintenir le suspense jusqu’au bout. D’accord, l’opposition n’était probablement pas comparable à Chelsea ou Liverpool, rencontrés un an plus tôt, mais ce n’était pas, non plus, le FC Brussels ou Zulte Waregem, sauf le respect qu’on leur doit.

Il n’empêche qu’après le match contre Lille, vous-même aviez tenu un langage ambitieux ?

C’est vrai que je n’avais guère été impressionné par le niveau d’ensemble. Si c’était ça la Ligue des Champions, j’estimais que nous avions des chances de passer le tour. Et sans doute y serions-nous arrivés si je n’avais pas loupé l’immanquable, à 1-0 en notre faveur, face aux Nordistes. En doublant la mise, je ne crois pas que les footballeurs du LOSC seraient revenus à notre hauteur. Ensuite, nous avions également loupé le coche en Grèce. Là aussi, il y avait de quoi pester. Ce n’est que contre l’AC Milan que j’ai réalisé ce que signifiait vraiment la Ligue des Champions. Kaka, c’est un extra-terrestre.

Un clip avec Seedorf

Pourtant, c’est avec Clarence Seedorf que vous aviez échangé votre maillot ?

Le passé avait tout simplement dicté ce choix. Alors qu’il était une valeur sûre de l’Ajax, et moi un simple joueur appartenant à l’école des jeunes de ce club, j’avais eu l’occasion, un beau jour, de le saluer. La veille de ce meet and greet, je n’avais pas su trouver le sommeil, tellement j’étais excité à l’idée de le voir de près. Plus tard, dans l’optique de l’EURO 2000, j’avais eu l’opportunité, aussi, d’enregistrer un clip vidéo avec lui. Je le lui ai rappelé au moment de procéder au rituel de fin de match. Il ne s’en souvenait pas, moi si. C’est pour ça que je suis toujours disponible lorsqu’il faut aller à la rencontre des jeunes de tous bords, qu’ils soient footballeurs, déshérités ou malades.

Ces demandes s’étaient accrues après votre Soulier d’Or. Sans que vous vous dispersiez.

A cet égard, je dois une fière chandelle à Frankie Vercauteren. Jadis, il avait lui-même été lauréat de ce trophée et s’était vu confronté à bon nombre de requêtes. Il m’a aidé à faire judicieusement le tri. De la sorte, je ne me suis pas égaré. J’ai continué à livrer de bons matches. J’ai encore en mémoire mes trois assists au Germinal Beerschot, au tout début du deuxième volet de la compétition. Ou encore mon hat-trick face à Beveren, en fin d’exercice, quand nous l’avions emporté 8-1. C’est bizarre, mais on en a à peine parlé. Pourtant, j’ai scoré un jour à trois reprises aussi, avec La Gantoise. Et, le lendemain, il n’était question que de cet exploit dans les journaux.

D’accord, mais l’adversaire s’appelait alors le Club Bruges. Un autre niveau que Beveren.

Au moment où la critique était virulente à mon égard, j’ai contacté mon ancien club afin d’obtenir un exemplaire des cassettes de tous les matches que j’y ai livrés. J’ai visionné ce match entre La Gantoise et le Club à plusieurs reprises. Honnêtement, hormis mes trois réalisations, je n’avais sûrement pas fourni une prestation d’anthologie ce jour-là. Elle était moyenne, sans plus. J’avais eu la chance de me rattraper quelque peu grâce à ces trois buts, c’est tout. A Anderlecht, j’ai disputé des matches plus aboutis. Comme la Supercoupe contre le même adversaire brugeois, l’été passé. Pourtant, la plupart des gens m’associent toujours avec ce fameux 4-1 réalisé contre le Club à Gentbrugge.

Fenerbahce, un tournant

On a cru le RSCA lancé en cette circonstance mais tout est allé de mal en pis. Pourquoi ?

Il y a eu une accumulation de facteurs. En premier lieu, notre élimination en Ligue des Champions face à Fenerbahce. Tout le monde a cru que nous franchirions cet écueil, d’autant plus que nous avions offert une excellente réplique à cette équipe à Istanbul. Ce n’est qu’au Parc Astrid qu’on a pu mesurer la différence de niveau entre un ténor du football turc et son homologue en Belgique. Chez nous, cette élimination a eu l’effet d’un uppercut. Ce n’est pas pour rien que certains ont été méconnaissables après coup. Ce fléchissement s’est d’ailleurs traduit par les mauvais résultats d’ensemble de l’équipe lors de la récente proclamation du Soulier d’Or.

Votre blessure ainsi que la longue indisponibilité de Nicolas Frutos, ont joué un rôle aussi ?

C’est sûr. Mais, par-dessus tout, celui qui aura réellement manqué, et dont le départ n’a d’ailleurs toujours pas été comblé, c’est Mèmè Tchité. Combien de fois ne nous avait-il pas sorti de situations épineuses l’année passée ? A Saint-Trond déjà, lors du match d’ouverture, c’est lui qui avait sauvé les meubles. Au Brussels, dans un match complètement fermé, c’est encore lui qui avait plié la rencontre grâce à un fantastique rétro. Le club a peut-être empoché pas mal d’argent en le vendant à Santander. Reste à voir toutefois si, à l’heure des comptes, son départ ne laissera pas d’énormes regrets. Il y a peut-être beaucoup de joueurs de talent au RSCA mais nul n’était aussi indispensable à la bonne marche des événements que lui.

Vous vous entendiez comme larrons en foire, dit-on.

C’est fou : au départ, je ne maîtrisais pas le français et lui ne baragouinait que quelques mots d’anglais et encore moins de néerlandais. A la longue, on est parvenu à se comprendre, aussi bien sur le terrain que dans la vie de tous les jours. Si je parle la langue de Molière aujourd’hui, c’est grâce à lui. Il me manque et je ne suis pas surpris que d’autres, tels Ahmed Hassan, ressentent également le même vide depuis son départ. On a beau dessiner de beaux mouvements, la touche finale n’en reste pas moins absente. Et nos résultats s’en ressentent.

Les meilleurs sont petits

Hassan parti à la CAN, vous jouez dans un rôle libre. Vous convient-il mieux ?

Contrairement à ce que l’on croit, je n’ai jamais revendiqué la fonction de meneur de jeu auprès de Vercauteren. Je lui ai simplement dit que je me sentais davantage à l’aise dans une mission où il m’était loisible de plonger dans les espaces, à gauche ou à droite. Ceci induit un poste de départ axial et je puis aisément comprendre que l’équipe ne peut jouer avec l’Egyptien et moi-même dans cette attribution. Comme Hassan a eu un écolage uniforme, en tant que régisseur exclusivement, il était normal que je glisse sur l’aile, où j’ai d’ailleurs évolué en formations d’âge de l’Ajax. Je n’ai pas le sentiment de m’être sacrifié. J’ai £uvré pour le bien commun mais aussi pour le mien car j’étais d’avis de pouvoir apprendre beaucoup à cette place. En définitive, j’en ai été récompensé sous la forme du Soulier d’Or, même si je dois l’essentiel de mes points à ma période chez les Buffalos.

Que vous inspire le lauréat de ce trophée, Steven Defour ?

Le Standardman le mérite, pour sa régularité, même si d’autres, comme Hassan ou Lucas Biglia, pouvaient fort bien le revendiquer aussi. Dans une certaine mesure, je me reconnais en lui. Le football est peut-être son métier mais c’est avant tout un jeu pour lui. Il se fait plaisir tout en offrant de la satisfaction aux supporters. C’est ainsi que je conçois le football également. Une autre similitude entre nous, outre la jeunesse, c’est notre taille. La preuve est ainsi faite que le football n’est pas uniquement l’apanage des grands gabarits. Au contraire, les meilleurs sont bel et bien les pocket players. Comme Diego Maradona autrefois ou encore Lionel Messi, Xavi et Deco de nos jours. C’est eux qui font chavirer les foules. Tout comme moi dans un bon jour.

Geste à l’appui, on vous voit parfois, aussi, demander le soutien du public.

Je devrais peut-être le faire plus souvent. Avant de botter le coup de coin sur la phase du but, contre le FC Malines, j’avais levé les bras en direction de la foule massée près du corner et le résultat ne s’était pas fait attendre (il rit). Hassan est coutumier du geste aussi. C’est peut-être pour cela que les inconditionnels nous adorent.

Est-ce pour cela que vous êtes resté un an de plus ? Car l’Ajax vous réclamait cet été ?

Si j’ai quitté la Hollande un jour, ce n’est pas pour faire déjà marche arrière. J’ai encore pas mal de choses à découvrir en Belgique. Qu’irais-je faire ailleurs, dans la mesure où mon apprentissage est loin d’être terminé ici. Sous la conduite de Frankie Vercauteren, j’avais déjà appris pas mal de choses, surtout en matière de positionnement. Avec Ariel Jacobs, je parfais mon bagage à présent. Depuis qu’il a repris en main les rênes de la Première, l’accent est mis essentiellement sur les combinaisons au sol. Peut-être est-ce dû aux circonstances, puisque Nicolas Frutos n’est pas disponible pour le moment. Il n’empêche que cette inclination-là n’est pas pour me déplaire. Je m’y sens comme un poisson dans l’eau.

Vercauteren était trop perfectionniste

Que retenez-vous de Vercauteren ?

Que du bien pour ainsi dire. J’ai rarement vu un coach qui était à ce point passionné par son métier et tout ce qui s’y rattache. Le problème, avec lui, c’était son perfectionnisme. Or, la perfection n’est pas de ce monde. Il faut pouvoir admettre les erreurs de temps à autre, a fortiori lorsqu’elles sont tout à fait involontaires. L’entraîneur pestait toujours dans ces conditions. S’il avait été plus positif, par moments, je pense qu’il serait encore des nôtres aujourd’hui.

Et certains joueurs aussi. Comme Vadis.

Son cas devrait effectivement donner à réfléchir. Vu ses qualités, il n’est pas normal qu’il n’ait pas servi la cause du club avant de se lier à Hambourg. Je ne comprends pas qu’il n’ait pas eu sa chance par moments alors que l’équipe n’était pas souveraine. Je suis sûr que Vadis va se réaliser en Allemagne, au même titre que des garçons comme Cheikh Tioté ou Roland Lamah s’épanouissent actuellement aux Pays-Bas. C’est dingue : le club cherche des renforts alors que deux éléments qui lui appartiennent font le bonheur de Roda. Comprenne qui pourra.

La direction dit :  » Ce n’est que Roda. Anderlecht, c’est une autre dimension « .

Je ne pense pas qu’on l’emporterait haut la main contre les gars de Kerkrade. Et ce même constat vaut pour les équipes du top comme Ajax, PSV ou Feyenoord. Ceux-là font des résultats tout en faisant la part belle aux jeunes. Un peu comme le Standard chez nous. Cet exemple-là mérite qu’on s’y attarde. Si les Rouches sont champions, ce sera grâce à son blé en herbe.

Que peut-on encore attendre d’Anderlecht cette saison ?

Compte tenu de tous ceux qui nous précèdent, nous aurons fort à faire pour arracher un ticket européen en fin de saison. Par la voie normale, à savoir le championnat, nous devrons surtout compter sur le gaspillage des autres. En Coupe, par contre, nous avons toujours notre sort entre les mains. Le tirage nous a été favorable, avec Dender. Ce serait une honte de ne pas passer le tour, vu les circonstances. Après, c’est le Germinal Beerschot ou La Gantoise qui nous attendra. Sur deux matches, je suis d’avis qu’un Anderlecht motivé peut forcer les portes de la finale. J’espère alors qu’on touchera au but au Heysel. J’ai déjà été champion, j’ai remporté la Supercoupe et tous les trophées individuels possibles. Seule la Coupe manque à mon palmarès. Ce serait chouette de combler cette lacune.

par bruno govers – photos: belga

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