La corde Red

Le départ de Roy Hodgson et l’arrivée de Kenny Dalglish peuvent-ils inverser la tendance ?

Personne n’y pense. Descendre encore plus bas ? Au bout, il y a la relégation. Personne n’y pense tant la situation actuelle relève déjà de l’exceptionnel, de l’apocalyptique. Du moins pour un club habitué au Big Four anglais duquel il a été éjecté l’année passée. En terminant huitième, Rafaël Benitez avait clos son chapitre liverpuldien sur une fausse note. Six mois plus tard, on se rend compte que la fracture était bien plus nette. Benitez a laissé une équipe morte, en panne d’inspiration, de talent et de leaders. Alors, aujourd’hui, on évite de penser qu’il s’agit du plus mauvais départ depuis 1953-54 et de se souvenir que cette année-là, le club avait connu la relégation.

Car finalement, Liverpool nage en pleine lutte pour la relégation. Quatre points séparent le club d’Anfield d’un siège de reléguable et comme tout bon club qui se bat pour ne pas descendre, il a changé d’entraîneur après des défaites contre ce qui s’apparente aujourd’hui à des concurrents directs (Wolverhampton et Blackburn).

1/ Une tradition de mauvais transferts

Mais qu’est-ce qui a conduit Liverpool au bord du gouffre ? En premier lieu une politique de transferts bien mal menée depuis des années. Faut-il blâmer Roy Hodgson dont les transferts n’ont rien apporté ? Non, car si les échecs de Paul Konchesky ou Christian Poulsen, deux transferts que certains veulent déjà épingler dans le livre noir des pires transferts de l’histoire du club, sont les siens, la faillite de Joe Cole ou de Milan Jovanovic, deux renforts voulus par Benitez ne peuvent lui être imputés. Et ces échecs se superposent aux nombreuses erreurs de casting commises par les managers successifs.

Benitez a amené des Emiliano Insua, Andrea Dossena, Lucas Leiva, Fabio Aurelio, Josemi, Mark Gonzalez, Martin Skrtl. Gérard Houllier avait lui dépensé sans compter pour des Milan Barros, Igor Biscan ou Bruno Cheyrou. Roy Evans avait battu un record en déposant 11 millions d’euros pour Stan Collymore.

Aujourd’hui, Liverpool ne peut certainement pas jouer dans la même cour que Manchester City en matière de dépenses illimitées mais force est de constater que les Reds n’ont jamais manqué d’argent. En 20 ans, depuis la fondation de la Premier League, Liverpool a dépensé sensiblement la même somme que Manchester United ! Et alors que leur voisin honni remportait 11 titres, Liverpool n’en gagna aucun.

2/ La faillite fulgurante de Hodgson

Pourtant, le sourire est revenu sur les visages des supporters. Un sourire qui ressemble à celui des ouvriers profitant de la chope du soir mais qui savent que le lendemain ils doivent remettre l’ouvrage sur le métier. Un sourire dû au retour d’une légende à la tête de l’équipe. Vingt ans après sa démission, King Kenny est de retour. Les supporters les plus fervents de la planète ont donc été entendus. Eux qui réclamaient à cor et à cri le retour de l’icône locale, l’homme qui avait offert le dernier titre à Liverpool. C’était en 1990.

Pourtant, Kenny Dalglish avait déjà été recalé en été. A l’époque, alors qu’il s’occupait des jeunes, il avait fait un appel du pied, en se rappelant aux bons souvenirs des dirigeants et en clamant haut et fort qu’un job de manager pouvait l’intéresser. Finalement, alors qu’on les savait sur le départ, les dirigeants américains Tom Hicks et George Gillett avaient préféré Roy Hodgson, nommé quelques semaines plus tôt manager de l’année, lui qui avait conduit le petit club de Fulham en finale de l’Europa League et dont l’élimination d’Hambourg avait été saluée, le soir même par un tonnerre d’applaudissements en salle de presse. Evénement rarissime ! En mai, Hodgson représentait sans doute l’entraîneur le plus bankable du Royaume d’Angleterre. A tel point qu’un mois plus tard, son nom circulait pour prendre la succession de Fabio Capello à la tête de la sélection après le fiasco de la Coupe du Monde en Afrique du Sud.

Mais jamais Hodgson n’a convaincu Anfield. En avait-il l’envergure ? A 63 ans, Hodgson avait la réputation d’être un grand entraîneur de petits clubs. Tous ses succès, il les avait forgés avec la sélection de Finlande et de Suisse, ou à Fulham et Blackburn. A Liverpool, lui qui avait pourtant l’expérience d’un grand club (l’Inter), il a semblé flotter dans un costume trop grand pour lui.

 » Pour quelqu’un qui possède une expérience aussi vaste et cosmopolite, il a semblé perdre pied à Anfield « , écrivait l’analyste de la BBC, Phil McNulty.  » Même son passage à l’Inter apparemment ne l’avait pas préparé à une telle pression, à être autant scruté et analysé comme c’est le cas de tous les managers de Liverpool.  »

3/ On s’est trop éloigné des supporters

Et comble d’erreur de communication, le voilà qui se met à dos les supporters, véritable fondement de ce club.  » Cette capacité à rassurer et ce flair l’ont déserté à des moments cruciaux lorsqu’il n’a pas su délivrer les messages que les supporters attendaient de lui « , ajoute McNulty.  » Ces messages peuvent sembler anodins dans certains clubs mais ils sont essentiels dans un club comme Liverpool. A Old Trafford, il n’a pas défendu Fernando Torres critiqué par Alex Ferguson. Et face à des supporters furieux d’avoir subi la loi d’Everton, il a nié la mauvaise performance de son équipe. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase survint quand Hodgson s’est plaint des critiques et du manque de support après la défaite encourue face à Wolverhampton. Il signait en quelque sorte son arrêt de mort.  »

Malgré des excuses publiques, Hodgson n’arriva plus à combler la faille qu’il avait créée entre lui et les supporters. Le jour de l’An, face à Bolton, en signe de protestation, ils ne furent que 35.000 à se rendre au stade et trois jours plus tard, lors du déplacement à Blackburn, ville distante de quelques kilomètres seulement, il y avait des sièges vides dans le compartiment visiteur de Liverpool. Du jamais vu depuis 1983 !

Finalement, le nouveau propriétaire arrivé en novembre, l’Américain John W. Henry (représentant de New England Sports Ventures) a décidé de suivre la vox populi en rappelant Kenny Dalglish. Une légende. Partie bien trop tôt, il y a vingt ans, en 1991, rongé par le stress. Dalglish, c’est également le symbole d’un Liverpool qui gagnait encore. Appelé au poste de manager en 1985, après la tragédie du Heysel, il offrit au club, en qualité de joueur-entraîneur, le premier doublé de son histoire en 1986. S’ensuivirent les titres de 1988 et de 1990.

Mais Dalglish représentait davantage que le joueur de légende (501 matches) qui avait succédé brillamment à Kevin Keegan et que le manager charismatique. Dalglish avait façonné son image lors de la tragédie d’Hillsborough, en prenant part à la majorité des funérailles des victimes, se fondant dans la foule.  » Si on l’aime autant, c’est parce qu’il est comme nous. Il partage nos peines, nos chagrins et nos joies « , pouvait-on entendre à l’époque.

En quittant son poste en 1991 pour des problèmes de santé, vidé de toute l’énergie consacrée après le drame d’Hillsborough en 1989, et alors que son équipe luttait pour la reconquête de son titre, il a laissé tout un peuple orphelin. Depuis vingt ans, à chaque crise, c’est son nom qui est scandé.

Revenu aux affaires en 2009, en s’occupant de l’Académie des jeunes, il ne s’est jamais vraiment éloigné de son club de c£ur.  » Liverpool avait besoin de quelqu’un capable de galvaniser les supporters et de remettre les joueurs sur la bonne voie. J’ai joué sous les ordres de Kenny et je peux dire qu’il transpire Liverpool de partout « , a expliqué l’ancien capitaine de Liverpool, Alan Hansen, aujourd’hui consultant pour la BBC.  » Naturellement, il y aura une amélioration avec Dalglish car il aura toute une ville pour le soutenir « , ajouta Mark Lawrenson, autre analyste de la BBC et ex-défenseur des Reds.  » J’espère simplement que ce qui se passera entre maintenant et la fin de saison ne ternira pas sa réputation.  »

4/ Le club vit trop dans le passé

Car, cette nomination a fait quelques sceptiques.  » Au contraire d’Arsenal, Liverpool vit constamment dans le passé et se repose sur sa légende « , affirme le journaliste Gavin Hamilton, de World Soccer . Ces propos ont été corroborés par d’autres confrères.  » King Kenny ne va pas sauver Liverpool : Dalglish est une relique du passé alors que le club a besoin d’une vision du futur. Il ne peut être vu comme une solution à long terme car aujourd’hui, la croissance de Liverpool est bloquée tant que le projet du nouveau stade n’est pas entériné. « , affirme James Olley, éditorialiste du London Evening Standard. Or, pour concurrencer les Manchester, Chelsea et Arsenal, Liverpool devra avoir de l’imagination (puisque la construction du stade mobilisera tous les fonds disponibles). C’est pour cette raison que le propriétaire et le directeur général, le Français Damien Comolli avaient, dans un premier temps, privilégié la piste d’un entraîneur plus jeune avant de confier la mission jusqu’à la fin de la saison à Dalglish.

Premier mauvais point : Dalglish n’est plus tout jeune (60 ans). Or, on attend du nouveau manager une refonte totale de la politique footballistique du club.  » Harry Redknapp fait un boulot fantastique avec Tottenham et il n’est pas plus jeune que moi « , s’est défendu Dalglish.  » Cela fait 30 ans que Fergie ( NDLR : Sir Alex Ferguson) est dans le circuit et il continue à accumuler les succès. Je suppose que la question de l’âge et de l’implication dépendent de l’individu. Chacun est différent. L’expérience est très importante dans ce métier et parfois, ton expérience suffit amplement.  »

Deuxième mauvais point : Il a été hors-circuit pendant de nombreuses années. Depuis son départ de Liverpool en 1991, il n’a effectué que trois piges (le temps de décrocher le titre avec Blackburn en 1995 et avec le Celtic en 2000, et de terminer 2e avec Newcastle en 1997). Depuis le Celtic, plus rien. Dix ans à contempler le football des coulisses.  » C’est un faux débat. Il connaît plus le football que n’importe qui d’autre « , le défend Alan Hansen,  » Il connaît absolument tous les joueurs de la Premier League.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

En 20 ans, Liverpool a dépensé la même somme de transferts que Manchester United ! Et alors que leur voisin honni remportait 11 titres, Liverpool n’en gagna aucun.

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