La clef anglaise

Le nouvel artiste du Fulham de Mohammed Al-Fayed est unique : on l’a vu (pour la première fois) avec les Diables contre l’Allemagne.

Il faudra encore un peu patienter avant que l’équipe nationale redevienne une grande orfèvrerie du football mondial mais Georges Leekens dispose de cinq bijoux que beaucoup lui envient : Vincent Kompany, Thomas Vermaelen, EdenHazard, Romelu Lukaku et Moussa Dembélé. Ce dernier a fêté son retour en équipe nationale en signant sa toile comme le ferait un grand peintre. Il a glissé toutes les couleurs du football moderne dans son jeu face à l’Allemagne.

 » J’étais dans un bon jour, c’est évident, mais ceux qui me connaissent bien savent que j’ai réussi d’autres rencontres de ce niveau « , dit-il avant se tourner son regard vers la Turquie. Le voyage sur les rives du Bosphore figurait hier au centre de toutes les attentions. Là-bas, comme ailleurs, les amateurs de beau jeu ont étudié avec attention les statistiques allemandes de Dembélé. Ces chiffres en disent long sur la forme, le talent et l’impact d’un joueur sur son équipe : 23 dribbles réussis (5 échecs), 19 bonnes passes (4 ratées), etc. Il ne lui a manqué qu’un but pour friser la perfection. Même les journalistes allemands ont été impressionnés par la facilité et la fluidité de Dembélé. Le public ne s’est pas trompé et a réservé une ovation à ce footballeur hors normes.

Il vivra encore des hauts et des bas mais approche à grands pas de la maturité. C’est un plaisir de le voir conduire le ballon, d’éviter les charges avec une élégance rare, de passer en finesse dans des trous de souris, d’inventer de l’espace là où il n’y en a pas pour le commun des footballeurs. L’équipe nationale n’a probablement plus détenu de joueur aussi doué depuis Enzo Scifo. Il s’était un peu éteint, et même cherché, la saison passée à AZ Alkmaar. A l’image de tout un club d’ailleurs, en rade à la suite de la faillite de son principal sponsor. Mais son talent a déjà éclaboussé la planète foot. Ses buts merveilleusement ciselés ont fait depuis longtemps le tour du net. Et des clubs renommés ont flairé la bonne affaire. Cet artiste n’avait plus rien à faire aux Pays-Bas où il a presque tout gagné avec AZ.

Arsenal, Genoa, Séville, Birmingham City et Fulham, entre autres, sont entrés dans la danse. Arsène Wenger était prêt à déposer 5,5 millions d’euros dans le coffre du trésorier d’Alkmaar. La presse anglaise a suivi le dossier avec intérêt. Arsenal, c’était peut-être un poil trop tôt mais il méritait mieux que Birmingham City (malgré la progression de ce club) pour fêter ses débuts en Premier League. N’est-ce pas pour cela qu’il a fixé son choix sur Fulham (où Philippe Albert joua en 1999), le club de Mohammed Al- Fayed ?

 » Ce n’est pas un problème d’argent « , a déclaré Alex McLeish, le manager de Birmingham.  » C’est le choix du joueur…  » Les Londoniens auraient finalement investi un peu plus de 5,5 millions pour boucler ce dossier.  » Je voulais évoluer dans un club stable d’une compétition de haut niveau « , a déclaré Dembélé en débarquant en Angleterre.  » Un grand club, c’est parfait, mais la chance d’y décrocher une place en équipe première y est plus petite. Je n’ai que 23 ans et j’ai encore un peu de temps devant moi avant de rejoindre un club du top.  »

Déjà brillant en Angleterre

Fulham est un club solide, bien organisé, et en pleine progression depuis que le milliardaire égyptien, propriétaire de Harrods, le grand magasin chic de Londres, en a pris la présidence. Le célèbre homme d’affaires (père de Dody, décédé avec Lady Diana dans un accident de voiture à Paris en 1997), £uvre à Fulham depuis une quinzaine d’années et s’est immédiatement promis de placer sa nouvelle acquisition dans le top 5 du football anglais endéans les cinq ans. Cela passait par la modernisation du centre d’entraînement et du stade de Craven Cottage, la remontée en Premier League en 2000-2001, l’apport d’un coach français ( Jean Tigana), un succès en finale de la Coupe Intertoto (2002-2003), la venue, en janvier 2008, d’un manager de haut vol, Roy Hodgson.

Les Whites, qu’on appelle aussi les Cottagers, étaient sur la bonne voie. La saison passée, ils ont perdu la finale de l’Europa League contre l’Atletico de Madrid (2-1) à Hambourg après avoir écarté entre Shakhtar Donetsk, la Juventus, Wolfsburg et Hambourg. Hodgson a donc écrit les plus belles lettres de noblesse de Fulham (un quartier du sud-ouest de Londres où se trouve aussi Chelsea) avant de prendre le chemin de Liverpool. Mark Hughes a pris la succession du sympathique Hodgson. Sa mission est simple : Fulham doit accentuer sa progression. Dembélé a lié son sort pour trois ans à un club qui est dans l’ascenseur en se donnant les moyens de ses ambitions. Il peut mûrir à Craven Cottage, se mettre en évidence, découvrir les secrets de la Premier League, avant de songer à autre chose. Il a la tasse de thé sous le nez : à lui d’y ajouter un nuage de fantaisie.

 » Je suis content d’avoir joué 30 minutes contre Manchester United pour mes débuts dans le championnat anglais « , a-t-il déclaré le 22 août dernier. Pour la circonstance, Dembélé remplaça Clint Dempsey et se plaça dans le sillage immédiat de l’attaquant de pointe, Bobby Zamora.  » Je suis vraiment heureux de le voir à l’£uvre chez nous « , prétend Hughes.  » Moussa est fort et très rapide. Il donnera une autre dimension à notre ligne d’attaque.  » Le Belge sera-t-il la clef… anglaise de Hughes, cet outil qui s’adapte à tous les boulons.

Dembélé est capable de desserrer toutes les défenses :  » Je peux occuper beaucoup de postes à l’attaque : à gauche, à droite, en décrochage, derrière le pivot ou même seul en pointe. Le jeu est plus rapide qu’aux Pays-Bas, c’est évident, mais je m’adapterai. Le groupe m’a bien reçu et je sais ce qu’il me reste à faire : travailler. « 

Cette première impression a été confirmée contre Port Vale en Carling Cup (6-0) avec un but à son actif. A Blackpool, Fulham a arraché son troisième match nul (2-2) en trois matches. Dembélé s’est chargé des deux assists à Blackpool : c’est en prenant connaissance de cette facilité que Leekens l’a rappelé en dernière minute avant Belgique-Allemagne et le voyage en Turquie. Invaincus, les Cottagers sont en attente de leur premier succès dans le cadre du championnat. Ils reçoivent Wolverhampton lors de la prochaine journée de championnat.

Besoin d’espaces ?

On peut estimer que Leekens et Marc Wilmots prendront régulièrement l’Euro Star dans les mois à venir. Ils y étudieront de près le jeu de position de Dembélé. Personne n’a jamais douté du talent de cet extra-terrestre. En équipe nationale, il alterné le brillant et l’inconstant. Mais la Belgique étant la Belgique, le réalisme est souvent plus important que le talent. Dembélé a parfois cherché sa voie. Au point de perdre ses galons d’international ? Il y a bien longtemps, en 1986, une partie de la Belgique du football ne croyait pas trop en Scifo. René Vandereycken et d’autres lui reprochaient de ne pas assez défendre. Guy Thys trancha et confirma Enzo en pleine Coupe du Monde 86. Et le talent fit la différence durant des années. En équipe nationale, Dembélé a dû vaincre les mêmes doutes que Scifo qui reste, longtemps après sa retraite, le footballeur belge le plus connu et le plus apprécié à l’étranger.

L’ère Dembélé a-t-elle véritablement commencé ? On peut le penser car Leekens a certainement compris que la Belgique ne peut pas se passer d’un joueur qui brillerait aussi au c£ur de l’équipe nationale espagnole, c’est tout dire. Le public du stade Roi Baudouin l’a compris en applaudissant ses raids et son travail défensif. N’est-il pas parfois obligé de décrocher trop bas dans le jeu ? Dembélé a certes besoin d’espace pour accélérer, inventer et surprendre. Malgré tout, en partant de loin, il laisse le temps à ses adversaires de se regrouper, de refermer le filet défensif. Dembélé ne serait-il pas encore plus tranchant en étant en prise directe avec l’attaquant de pointe de l’équipe nationale, Romelu Lukaku, comme c’est le cas à Fulham, pour le moment, avec Zamora. Dembélé est aussi brillant en jouant plus haut. On ne se pose jamais autant de questions à propos des mauvais joueurs…l

par pierre bilic, photos : reporters

« En équipe nationale, Dembélé a dû vaincre les mêmes doutes que Scifo. « 

« Je n’ai que 23 ans et j’ai encore un peu de temps avant de rejoindre un club du top. »

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