La clé brésilienne

Il est arrivé au Standard sans rouler des mécaniques mais a vite prouvé qu’il était le chaînon manquant devant le gardien de but des Rouches : quels sont les secrets de ce transfert réussi ?

D ominique D’Onofrio s’est arraché les cheveux durant des mois au moment de composer sa défense. Il manquait toujours quelque chose : duo trop lent, couple inexpérimenté, axe fébrile, etc. La dalle de béton du Standard était fragile, poreuse, instable. Or, on n’arrive à rien sans une solide assise. Laurent Ciman s’y sacrifia pour le bien commun et y égara ses galons de titulaire tandis qu’ Opare s’installait à droite, la place préférée du Carolo au Standard et en équipe nationale. Ciman était une solution provisoire au c£ur de la défense.

Le T1 du Standard cherchait prioritairement un guide capable de calmer, guider, rassurer et bonifier le jeune Eliaquim Mangala, qui vaudra un jour très gros sur le marché des transferts. Au bout de mois de recherche, un nom a barré la une de la presse : Kanu. Quand on dit arrière central au Standard, tout le monde pense à André Cruz et à Dinga. Elégant, dégoulinant de classe, doté d’une formidable frappe, Cruz est un des meilleurs joueurs de l’histoire du Standard et a formé une doublette défensive de haut de gamme avec Stéphane Demol. Dinga était un arrière fiable hélas trahi par une musculature fragile comme du cristal.

Kanu est différent, plus discret que Cruz, mais Mangala avait besoin de cette force tranquille pour retrouver la sérénité et les chemins du progrès. Le Brésilien a plus de vécu que ses deux compatriotes arrières centraux, Felipe et Victor Ramos. Il règne dans les airs, ne craint pas d’aller au duel, assure les couvertures. Avec lui, la défense du Standard n’est plus la même et ose assumer ses responsabilités. Le Standard avait besoin d’une clé pour sa défense. C’est un Brésilien du Portugal qui joue désormais au taulier sans avoir d’états d’âme.

La question que l’on se pose, quand on fouille un peu dans le passé de joueur de Kanu, c’est de savoir comment son talent a pu échapper aux nombreux recruteurs qui sillonnent l’Amérique du Sud et, particulièrement, le Brésil, à la recherche des meilleurs joueurs. Car s’il ne sera sans doute jamais aussi fort que Luisão ou Lucio, Kanu n’a certainement rien à envier à de nombreux joueurs qui ont déjà reçu bien plus de crédit que lui. Et surtout, il a fait parler de lui en bien dans tous les clubs par lesquels il est passé.

 » Vous savez, au Brésil, quand on n’est pas né à Rio ou à São Paulo, il faut déjà faire tout un voyage avant de pouvoir se montrer dans de bonnes conditions « , objecte le Français Jérôme Palatsi, entraîneur des gardiens de Beira Mar, le club portugais où le Standard est allé chercher Kanu.

António Eduardo Pereira dos Santos (c’est quand même plus facile de dire Kanu) a bien effectué des tests à São Paulo. Mais à l’époque, il était aligné comme attaquant. Sa carrière aurait pu décoller une première fois en 2004, alors qu’il était déjà l’un des joueurs les plus en évidence de l’équipe d’ABC Natal, avec qui il venait d’être sacré champion de l’Etat chez les juniors. Le club songeait d’ailleurs à le faire passer en équipe première mais lui préfère tenter sa chance à Cabofriense, club de l’Etat de Rio de Janeiro, où il ne pourra toutefois jamais vraiment se mettre en valeur.

Puis, il prend le mauvais autocar. En direction du sud-est du Brésil. Il se retrouve d’abord à l’Estrela do Norte puis à Jaguaré, ville de l’Etat d’Espirito Santo, dans le sud-est, à 1.200 km de chez lui. Jaguaré, petite ville de 20.000 habitants, vit dans l’ombre de la capitale d’Etat, Vitória, où un certain Victor Ramos est directement repéré par Trafic, la grande agence de joueurs brésiliens. Kanu, lui, évolue un cran plus bas, à l’Associação Jaguaré Esporte Clube, un club créé en 2001 seulement mais qui a grandi à la vitesse de l’éclair pour se classer, en 2007, à la deuxième place du championnat de l’Etat et accéder à la série C brésilienne. Kanu fait déjà partie de cette équipe. L’entraîneur, Giuliano Paris, un ancien pilier du Vitória, a été le premier à lui faire confiance. Il apprécie déjà sa rapidité et sa présence aérienne sur les phases arrêtées. Cette saison-là, alors qu’il n’était pas titulaire au départ, il inscrit six buts.

Cela lui vaut un transfert à Ituano, qui évolue en série B du championnat brésilien. Mais ce club connaît de gros ennuis financiers et, après quelques mois à peine, Kanu fait ses valises. Il faut dire qu’en sept mois, ce club a affilié… 122 joueurs !  » J’ai abandonné tous mes droits « , dit-il à l’époque.  » Le club m’avait promis de me payer au moins mon billet d’avion pour rentrer à Bahia mais finalement, c’est ma mère qui a dû l’acheter. « 

Dans le sud-est du Brésil, on ne l’a toutefois pas oublié. C’est ainsi qu’il signe à Aguia Negra, dans la ville de Rio Brilhante, Etat de Mato Grosso do Sul. Un club relativement jeune également (il a été fondé en 1971) et qui compte sur Kanu pour assurer son maintien en Série C du championnat brésilien, division qu’il vient de rejoindre pour la première fois de son histoire. Pari tenu pour le défenseur, rapidement considéré comme l’un des meilleurs joueurs de l’équipe et qui inscrit à nouveau sept buts. Grâce à cette performance, son horizon s’élargit enfin.

Beira Mar le teste puis le cache

Luis Carlos, un Brésilien qui a évolué à Salgueiros et a conservé de bons contacts au Portugal, emmène quelques DVD de ses prestations dans la péninsule Ibérique et les montre aux dirigeants de Beira Mar, club de la ville d’Aveiro, qui milite en D2. Jadis entraîné par Jean Thissen, c’est également le club qui avait révélé Antolin Alcaraz, un autre défenseur central qui fit un passage-éclair par Bruges avant de signer à Wigan.

Les images plaisent et Kanu est appelé à faire des tests.  » Il s’est entraîné deux jours avec nous puis on l’a caché jusqu’au moment de la signature, pour ne pas qu’on vienne nous le piquer « , explique Jérôme Palatsi.

Nous sommes au début de la saison 2008-2009 et le club est entraîné par AntónioSousa, ex-capitaine de l’équipe du FC Porto qui remporta la Coupe des Champions en 1987 à Vienne. Cette saison-là, Kanu dispute 1.440 minutes d’affilée, série interrompue par une suspension. Car le joueur, déjà exclu plusieurs fois au Brésil, est un peu trop impétueux.  » Il a fallu le temps qu’il comprenne qu’on ne défendait pas tout à fait de la même manière en Europe qu’au Brésil mais cela n’a pas duré longtemps « , dit Palatsi. Au total, il disputera 26 matches cette saison-là et Beira Mar, qui lui avait offert, au départ, un contrat d’un an, s’est empressé de le faire resigner pour trois saisons supplémentaires.

Une riche idée car Kanu devient vite l’une des attractions de toute la D2 portugaise. Le premier club à s’intéresser à lui n’est autre que le FC Porto. Flairant la bonne affaire, Mano Nunes, président de Beira Mar à l’époque, n’hésite pas à clamer :  » Pour Kanu, ce sera un million d’euros minimum « . Pinto da Costa, le président de Porto, n’a pas l’habitude de se laisser dicter la loi. Généralement, au Portugal, c’est lui qui fixe les prix du marché. Porto se retire donc de la course. Encore que…  » Vous savez, cela faisait un an et demi que le Standard observait Kanu « , confie Palatsi. Ce qui veut tout simplement dire que Pinto da Costa a sans doute rapidement tenu au courant son ami Luciano D’Onofrio de la bonne affaire qu’il y avait à réaliser. Par courtoisie ou en se disant que si Kanu confirmait ses bonnes dispositions en Belgique, il ne serait peut-être pas trop tard pour le récupérer.

Anderlecht sur le coup

Mais le Standard n’est pas le seul club belge sur l’affaire. Dès février 2009, le journal O Jogo avait déjà révélé qu’Anderlecht était intéressé par Kanu. Mais quatre mois plus tard, Record, un autre quotidien sportif portugais, annonçait que l’offre d’Anderlecht pour le joueur avait été jugée trop basse par les dirigeants de Beira Mar.

Kanu entame donc à Aveiro une nouvelle saison qui s’avérera historique puisque le club remontera en Liga avec 5 buts de Kanu, pratiquement tous dans la phase décisive du championnat.  » Il a joué un rôle très important dans la montée « , dit Palatsi.  » Il a prouvé qu’il était vraiment très complet. Il faut juste un peu faire attention à son placement mais il a déjà beaucoup progressé et il le fera encore s’il a, derrière lui, un gardien qui le dirige un peu. Si on cherche la petite bête, on peut aussi dire qu’il doit être attentif à son jeu long.  »

Kanu se dévoile aussi petit à petit en dehors du terrain. On apprend ainsi que son épouse va bientôt donner le jour à leur premier enfant, une petite fille qui s’appellera Eduarda. Et que le joueur aime le cinéma, un bon resto, la feijoada (le plat traditionnel brésilien, à base de haricots noirs) et les jus de fruit. Il avoue aussi qu’il est très orgueilleux et qu’il ne suit pas spécialement la mode.  » Mais j’ai du style « , lance-t-il.

Et puis, Kanu sourit tout le temps. L’attaquant international centrafricain EvansKondogbia, qui évolue aujourd’hui à Sprimont (Promotion D), peut en témoigner car il a croisé le chemin du défenseur central à cette époque.  » J’ai effectué un test à Beira Mar en décembre 2009. Un après-midi qu’il n’y avait pas entraînement, alors que je me promenais au centre commercial, Kanu m’a reconnu et est tout de suite venu vers moi. Il a essayé de me parler mais il ne s’exprimait qu’en portugais et moi qu’en français. Mais on a passé l’après-midi ensemble, à se faire des gestes et des sourires entre quelques mots d’anglais. Je l’ai aussi vu jouer un match de championnat au cours duquel il avait inscrit le but décisif. Il est puissant, rapide et très volontaire.  »

Dans sa rubrique  » En observant les étoiles « , le site Planeta do Futebol dit que Kanu est l’un des meilleurs défenseurs centraux de D2 portugaise.  » Un véritable ascenseur qui fait peur à son adversaire. Son physique (1m87 et 89 kg) est impressionnant. Ce n’est pas un puits de technique mais son timing est excellent. Il est également bon en couverture et il sait sortir balle au pied. Il serait intéressant de le voir jouer en Liga.  » Pour Palatsi, c’est l’un des facteurs qui ont retardé l’éclosion de Kanu.  » Je l’avais renseigné à un club de Ligue 1 et deux clubs de Ligue 2 français mais ils n’ont pas voulu prendre le risque de faire signer un joueur de D2 portugaise, surtout qu’il n’était plus un gamin.  »

Ne pas lui marcher sur les pieds

Les supporters de Beira Mar l’adorent également, comme nous le confirme le responsable du blog maisbeira-mar.  » Dans les moments difficiles, nous savions que nous pouvions compter sur lui car il était toujours là pour empêcher l’adversaire de marquer ou pour débloquer un match fermé.  »

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, juste avant de quitter le Portugal pour la Belgique, Kanu est élu Joueur de l’Année par les internautes, qui le voient quitter le club à regret.  » Ce qui nous embête surtout, c’est qu’on ne sait pas pour quelle somme exactement il est parti. Nous craignons que le club, qui avait besoin d’argent, ne l’ait vendu pour une bouchée de pain alors qu’il était sans doute le joueur le plus important des trois dernières saisons. « 

Beira Mar aurait refusé une offre de 250.000 euros de Braga.  » Ce n’était pas la moitié de ce qu’offrait le Standard « , avance Palatsi pas du tout étonné par la réussite du joueur en Belgique. On pouvait pourtant craindre qu’il mette du temps à s’adapter en passant d’une équipe qui défendait beaucoup à un club obligé de faire le jeu.  » C’est justement lorsqu’il a beaucoup d’espaces devant lui qu’il est le plus à l’aise et sa rapidité lui permet facilement de combler les trous « .

Comme Kondogbia, il est même convaincu que Kanu peut rapidement viser encore plus haut.  » C’est vrai qu’il n’est plus tout jeune mais sa marge de progression est belle et ce n’est pas un garçon blasé. Son attitude le montre : il a toujours l’enthousiasme d’un jeunot et il ne fait d’ailleurs pas son âge. « 

Palatsi ne doute pas non plus que Kanu puisse devenir un leader. Ce qu’il n’était pas nécessairement à Beira Mar, dont la défense était plutôt commandée par Hugo, un ancien joueur du Sporting, plus expérimenté.  » Je peux vous assurer que Kanu saura s’imposer « , ajoute Palatsi.  » Parce qu’il ne faut pas essayer de lui marcher sur les pieds. C’est un brave gars, sociable et tout, mais celui qui lui manque de respect trouve à qui parler. Et il n’aime pas perdre, même pas à l’entraînement.  »

A Beira Mar, en tout cas, on a amèrement regretté le départ de Kanu. Après celui-ci, le club a perdu cinq rencontres d’affilée et d’aucuns prétendent que la démission de l’entraîneur, Leonardo Jardim, est directement liée à la vente du défenseur brésilien. Palatsi tempère :  » Le club avait besoin d’argent. Nous sommes dans le deuxième district le plus riche du Portugal mais les gens d’ici ne vont pas trop au football. En même temps, pour son développement, Kanu devait viser plus haut. Le maintien étant assuré, les dirigeants ont pensé que le moment de le vendre était idéal, même si nous savions très bien que nous n’allions pas trouver son remplaçant sous le sabot d’un cheval. Nous avons aussi perdu Ronny, un bon attaquant. Notre entraîneur, lui, aurait voulu viser l’Europe et réaliser la meilleure saison de l’histoire du club en termes de points. Cela devenait difficile sans ces deux joueurs et c’est pour cela qu’il est parti – NDLA : il devrait être le prochain entraîneur de Braga. Mais nous sommes à présent repartis vers un nouveau projet intéressant avec RuiBento.  »

PAR PIERRE BILIC- PHOTOS: IMAGEGLOBE

Grâce à ses connexions portugaises, Luciano D’Onofrio a été mis au courant de la bonne affaire. A peine arrivé en D2 portugaise, Kanu est pisté par Porto.

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