La citadelle de Namur

L’ancien Standardman épate à Porto et fait son trou en équipe de France. Il a dépassé les épreuves qui le destinaient aux échecs.

L’existence d’Eliaquim Mangala n’a pas toujours été dorée sur tranche. Il aurait pu être submergé par le souvenir des émotions négatives de sa jeunesse, qu’il n’oublie pas, et s’en contenter comme horizon de vie.  » Eliaquim a toujours regardé devant lui, jamais derrière « , souligne son meilleur ami, Yvan Biyo’o Biyo’o qui joue à Eghezée (P2A).  » Quand il est arrivé à Porto, son intention de réussir était la même qu’à Namur : phénoménale. Pourtant, au début, ce ne fut pas facile et il fut même question d’un prêt mais son discours ne changea jamais : – Ne t’en fais pas, Yvan, je m’installerai bientôt pour de bon en équipe première. Eliaquim a toujours été comme cela. Il n’a peur de rien ni de personne sur un terrain de football.  »

L’entretien se déroule à l’Escapade, le café de Zoran Bojovic, l’ancien coach de l’Union Namur, en face de la gare de Jambes. Des trains pressés filent vers leur prochain rendez-vous. Les petits noirs bien serrés envahissent les tasses. Des journaux froissés témoignent de l’intérêt des clients pour tout ce qui concerne le football. Le portable de Biyo’o Biyo’o réclame la plus grande attention. C’est Mangala en direct de Porto. Comme tous les jours. Conversation de potes pour la vie entre l’étoile qui n’a pas oublié d’où elle vient et son ami resté sur le quai des beaux succès. Biyo’o Biyo’o joue en provinciale, bosse dans une grande surface mais n’en a rien à cirer de ce contraste en forme de grand écart. Il est heureux pour Eliaquim car  » personne autant que lui ne mérite de vivre un tel destin « .

La rumeur évoque l’intérêt de José Mourinho et de Chelsea pour Mangala. Yvan sourit, ne répond pas mais son regard avoue que c’est vrai. La saison prochaine, notre interlocuteur échangera le pont de Porto pour le Tower Bridge de la Tamise.  » Quand je l’ai vu pour la première fois dans le vestiaire des jeunes de l’Union Namur, je me suis dit : – Tiens, c’est le grand Black qui prend le même bus que moi. « , se souvient-il.  » Il est un peu réservé, n’offre pas tout de suite sa confiance ou son amitié. Mais quand on est son ami, on le reste. Je suis fier de cette estime commune.  » Black and black. Ils portent l’Afrique sur la peau et Namur dans le coeur. Yvan a des racines au Cameroun, Eliaquim au Congo.

 » Le coach numéro 1 de sa réussite, c’est sa maman  »

Alors entraîneur des jeunes de Namur, Bojovic est le premier à noter le talent de Mangala :  » Le directeur du club, Dominique Boucher, m’a signalé que deux jeunes de la région passeraient des tests : Eliaquim et Yvan. C’était à moi de donner un avis, de les garder ou pas. A la fin de l’entraînement, j’avais compris, ils étaient pétris de talent. Ils avaient 11 ans et sortaient du lot : – Ces deux-là, je les garde. Eliaquim était déjà comme aujourd’hui : grand, fort, rapide, décidé à s’imposer tous les sacrifices pour réussir. Au départ, Mangala était un attaquant mais je me doutais bien que son avenir se situait à l’arrière ou au milieu défensif. Avec un autre entraîneur, Albert Tchiala, nous avons beaucoup bossé avec lui à Namur : technique, précision de la frappe, placement, lecture du jeu, etc. Mangala n’a pas oublié ses premiers pas. Je reçois de temps en temps des appels téléphoniques de journalistiques portugais. Eliaquim leur dit que je l’avais lancé et ils veulent tout savoir. Cela fait plaisir car, par rapport à Porto, Namur c’est déjà loin. J’adore travailler avec de jeunes et c’est une grande joie d’avoir pu aider Eliaquim. Mais, si je l’ai accompagné à ses débuts, je ne suis pas la clef de sa réussite. Chaque entraîneur a apporté quelque chose à Eliaquim, c’est évident, mais le coach numéro 1 de sa réussite, c’est sa maman.  »

Bojovic sait que les parents peuvent parfois poser des problèmes au bord du terrain. Pas Madame Mangala.  » Non et elle était sereine face aux progrès de son fils « , continue Bojovic.  » Pour elle, le sport faisait partie intégrante de l’éducation de ses enfants. Eliaquim a intégré le Foot Etudes de Waremme. J’ai compris la démarche mais il était impossible que je l’aligne le week-end sans aucune présence en semaine chez nous. J’en ai parlé à sa maman et Eliaquim a repris le rythme normal des entraînements à Namur. Un peu plus tard, à 16 ans, il a pris la direction du Standard. Je savais qu’il réussirait Sclessin où il faut du mental. Or, il en a revendre, on a toujours adoré cela au Standard.  »

Biyo’o Biyo’o se frotte les yeux. Ce transfert, il s’en souvient comme si c’était hier. Eliaquim quitte alors l’univers des petits clubs pour celui du top, les magnifiques paysages namurois pour les paysages enfumés du bassin sidérurgique liégeois. C’est le jour et la nuit. Le terrain de son premier club, l’AC Lustin, est la couronne verte d’un magnifique village. Les maisons en pierres du pays y sont installées depuis toujours ou presque. Robustes, elles ont probablement façonné le caractère de Mangala. Au départ de la Meuse, Lustin se mérite car la route est parfois pentue. Après Lustin, Maman Mangala a emmené son gamin vers un autre havre de paix, le CS Wépionnais. Là, les hérons qui viennent du grand fleuve doivent parfois voir un enfant avec un maillot du Standard gravé au nom de celui qui est déjà le plus grand footballeur de la région, Mangala. La Citadelle de Namur, bâtie par Vauban, n’est pas loin. Elle surplombe toute la vallée. Belle vue sur Namur, carte postale de la vie de Mangala.

 » Pour nous, Africains, ce calme est une bénédiction « , convient Biyo’o Biyo’o..  » Dans cet univers, il n’y avait qu’une tentation : le football. Après une première rencontre hésitante, nous sommes devenus des amis inséparables. J’ai souvent été chez lui et lui chez moi. J’ai tout compris en regardant vivre les Mangala. Sa mère est une héroïne car elle a eu plus que sa part de problèmes dans la vie. Eliaquim voulait réussir via le football. Sa mère a émis des conditions : réussir les études, pas de télévision ou d’ordinateur dans la chambre, tôt au lit.  »

Quand Biyo’o Biyo’o évoque les soucis de la famille Mangala, il songe probablement au départ du Congo, à l’installation à Sartrouville, dans la banlieue parisienne et à Colombes où Eliaquim est né le 13 février 1991. C’est le monde des cités que le gamin aimait bien, ses racines françaises. Sournois, le malheur frappe. Biyo’o Biyo’o ne dit rien. Eliaquim nous en avait parlé un jour :  » Mon frère Daniel, né cinq ans avant moi, jouait au football près de notre immeuble. A un moment, la porte électrique d’un garage est tombée accidentellement. Daniel se trouvait en dessous : on l’a relevé paralysé à vie, Et c’est en Belgique que sa mère a trouvé les meilleures soins pour lui.  » Pour Eliaquim et les siens, c’est le drame. C’est quelque part la fin d’une existence, le début d’une autre. Une lente renaissance familiale et individuelle qui dépasse un événement traumatique, Eliaquim fait preuve de résilience, renaît à l’espoir au coeur de ce drame. Et, jour après jour, il éteint les incendies qui auraient emporté tant de têtes et de volontés.

 » Il a formé un mur infranchissable avec Kanu « 

C’est parce qu’il a assumé ses rêves et fait sa part que Mangala y est arrivé. En 2007, il débarque au Standard et Dominique D’Onofrio s’en souvient :  » Je n’ai jamais vu un tel phénomène. Il était dans le radar de la cellule scouting. Vincent Cicarella en parlé le premier car il l’avait vu à l’IPES de Waremme. Il n’a pas fallu deux tests. En un an, il est passé de Namur à la D1 et à la Ligue des Champions. Son caractère, son attitude et sa force de travail me font penser au destin de Daniel Van Buyten. C’est déjà fabuleux. Mais je pense que Mangala ira encore plus loin car il est déjà un des meilleurs arrières centraux d’Europe et ce n’est pas fini. Marc Wilmots aurait voulu qu’il opte pour la Belgique, je le comprends.  »

 » Mais les Bleus le suivaient. Il a grandi à Namur et son rêve consistait, je crois, à s’imposer dans le pays qui l’a vu naître. C’est une revanche par rapport au malheur qui s’est abattu sur sa famille. Il a vite fait son trou chez les Bleuets. Didier Deschamps l’a retenu pour la première fois avec les A contre l’Uruguay. Il sera bientôt indispensable. Au Standard, il a formé un mur infranchissable avec Kanu. Le Brésilien est une terreur et Mangala faisait peur à tout le monde. Même à l’entraînement. Il s’entraîne comme il joue : pour la gagne. Il n’épargne personne, lui le premier. Je me souviens de  » 4 contre 2  » homérique en semaine. Mangala se jetait comme un affamé sur tous les ballons. En championnat, il a failli tuer Felipe lors d’une collision aérienne. Bilan : deux joueurs le flanc. A l’entraînement, je lui ai expliqué qu’il n’était pas nécessaire de prendre tous ces risques. C’était à la fois une bombe et un diamant. La saison qu’il a passée avec moi et Sergio Conceiçao lui a fait bien : c’était peut-être le premier déclic de sa carrière.  »

Biyo’o Biyo’o mesure tout ce que cela veut dire. L’ami fidèle se souvient :  » Il a fait ses débuts en D1 contre Gand en 1999. Il m’a téléphoné avant le match : – Le coach m’a dit que je jouais. Moi, nerveux ? Mais tu rigoles ou quoi ? Trois heures plus tard, nouvel appel : – Je te l’avais dit, cela a été comme sur des roulettes : j’ai même fait un assist à Milan Jovanovic. J’ai accompli mon boulot : à toi d’en faire autant demain. Vingt-quatre heures plus tard, je découvrais la D2 avec Namur. J’étais plus nerveux que lui au Standard. Oui, il a saisi sa chance mais il mérite tout ce qu’il vit. Rien ne le déstabilise. Il a marqué en Coupe d’Europe, en finale de la Coupe de Belgique, à Genk lors du match décisif pour le titre, etc. Pour lui, c’est normal, cela va de soi. Eliaquim joue comme il est contre n’importe qui. Les grands noms ? Il ne stresse pas…  »

Laszlo Bölöni l’adorait et, l’a utilisé à toutes les sauces, même à l’arrière gauche, ce qui est arrivé aussi à Porto.  » Bölöni l’appréciait, bien entendu, mais il ne savait pas très bien où le placer « , se souvient Dominique D’Onofrio.  » Eliaquim est polyvalent. C’est un ancien attaquant. Il frappe fort et avec précision. Sa taille lui permet d’émerger facilement dans le jeu aérien défensif et offensif. Au Standard, on a travaillé son jeu court et sa technique. Et il bosse. Sa zone de prédilection, c’est l’axe. Je l’ai parfois retenu au poste de milieu défensif mais c’est en défense que je le préfère et je ne suis pas le seul.  »

Chaque fois qu’il revient en Belgique, Mangala va revoir son ami d’origine camerounaise arrivé à Namur à cinq ans. Leur amitié n’a pas changé et Eliaquim, qui vaut une fortune, rêve de se rendre au Brésil avec les Bleus.

PAR PIERRE BILIC

 » Coupe d’Europe, Coupe de Belgique, match décisif pour le titre : rien ne le déstabilise Eliaquim  » (Yvan Biyo’o Biyo’o, son meilleur ami)

 » Mangala est déjà un des meilleurs arrières centraux d’Europe et ce n’est pas fini.  » (Dominique D’Onofrio)

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