» LA CHINE, C’ÉTAIT UN ACCOMPLISSEMENT PERSONNEL « 

Xavier Chen est de retour à Malines après trois saisons passées en Asie, au plus près de ses racines.

Vue depuis le Mont Qianlin, la ville de Guiyang a des allures de Manhattan. Pourtant, la région du Guizhou dans laquelle cette ville de quatre millions d’habitants est érigée fut pendant de nombreux siècles l’une des plus pauvres de Chine. L’une des plus difficilement accessibles aussi. C’est dans ce cocon assez particulier, à cheval entre une culture qu’il rêvait de découvrir et des conditions de vie particulières, que Xavier Chen s’est épanoui pendant trois ans.

Arrivé au bout de son contrat sur place, il a choisi de revenir en Belgique. Pour rendre à sa compagne une vie plus normale, elle qui a consenti de nombreux sacrifices. Mais aussi pour se lancer un ultime défi sportif. À Malines donc, où il a signé pour dix-huit mois. Reste à savoir s’il aura toujours son niveau d’autrefois, qui en avait fait l’un des meilleur backs droits du pays.

SORTIR DE SON CONFORT

Xavier Chen a le sourire. Pourtant, depuis son retour au pays, son agenda est chargé. Et sa tête est encore pleine des souvenirs ramenés de Chine. Aux confins de l’Asie, il a bien, très bien gagné sa vie, a étoffé son palmarès avec une victoire en coupe de Chine mais il a aussi et surtout grandi sur le plan humain.

 » Je n’étais pas dans la région la plus touristique de Chine « , glisse-t-il.  » Mais je le savais en m’engageant à Guizhou et je ne peux donc pas me plaindre. Quand je suis parti, j’avais plusieurs opportunités sur place mais si j’ai choisi ce club, c’est d’abord parce que les dirigeants, un frère et une soeur, qui se sont déplacés en Belgique pour me rencontrer, m’inspiraient confiance, et aussi, évidemment, parce que financièrement, c’était excessivement intéressant. Je mentirais en affirmant le contraire.

Mais il faut dire également que la réalité a été difficile à vivre. On a pris ça de plein fouet. J’étais considéré comme Chinois, dans la mesure où j’ai un passeport thaïlandais mais malgré mes affinités avec la culture chinoise et ma volonté de découvrir ce pays passionnant, cela a été… étrange. J’ai bien tenté d’apprendre le chinois pendant les premiers mois mais j’ai abandonné par fainéantise « , précise l’Ucclois.

 » Néanmoins, je conseillerais à n’importe qui de vivre un dépaysement comme celui-là parce que cela permet de sortir de son petit confort habituel, de se mettre en difficulté et très personnellement, je l’ai vécu comme un accomplissement personnel. Pour ma compagne, ce ne fut pas toujours simple. Elle a fait de nombreux allers et retours. Elle a aussi suivi une formation à Taïwan mais la vie au quotidien était compliquée. Si j’ai décidé de revenir, c’est aussi parce que je lui devais bien ça après ce qu’elle a fait pour moi pendant trois ans.  »

SUPERMARCHÉ, HÔTEL, ET CHAUFFEUR

Pour le défenseur, c’était non seulement une façon de mieux connaître ses racines asiatiques mais aussi d’aller à la rencontre d’un peuple en pleine expansion et d’un football qui, s’il attire actuellement de nombreuses stars en fin de carrière, pourrait un jour atteindre le sommet, comme la Chine le fait dans de nombreuses autres disciplines.

 » Un gars comme Robinho gagne plus de 10 millions € par an à Guangzhou, le club le plus puissant de la compétition. C’est un championnat qui regroupe seize équipes mais en Chine, c’est tout ou rien. Un club peut jouer le titre et être relégué la saison suivante. Il n’y a pas vraiment de logique sportive et je suis bien placé pour en parler.

Avec Guizhou, j’ai fini 4e la première saison et nous avons gagné la coupe, puis nous avons fini 6e… et dernier la saison passée ! Je suis relativement désolé d’avoir quitté le club sur une chute en D2 et la présidente souhaitait que je reste mais j’avais fait le tour de la question. La ville dans laquelle je vivais était assez peu ouverte sur le plan international et pour un Européen qui débarque, ce n’est pas évident.

En dehors du football, je n’avais strictement rien à faire. Le moment le plus excitant de ma journée était d’aller au… supermarché ! Nous avons d’abord vécu dans un appartement puis le club a décidé de mettre ses quelques joueurs étrangers dans un superbe hôtel de la ville. Ce n’était pas hyper passionnant. J’avais un chauffeur en permanence parce que les étrangers ne peuvent pas conduire en Chine.

Ça aussi, c’est un aspect auquel il faut s’habituer. Les quelques étrangers que j’ai connus en trois ans se lassaient vite de cette vie. Il y a eu des Espagnols, un Polonais ainsi qu’un Suédois avec lequel je m’entendais très bien et qui avait évolué brièvement à Gand par le passé : Magnus Eriksson. Beaucoup sont partis assez rapidement parce qu’ils n’étaient pas prêts à vivre de la sorte. Ce n’est pas une expérience à la portée de tous.  »

CHOC DES CULTURES

Footballistiquement aussi, Xavier Chen a été confronté à un choc des cultures. On ne le conçoit pas de la même manière qu’en Europe. Les voyages sont incessants et durent plusieurs jours. Et, sur le terrain, il faut aller au charbon pour pallier certaines lacunes.

 » Globalement, le niveau est moins bon qu’en Belgique. D’autant que le foot belge est en pleine croissance comme en attestent certains résultats sur la scène européenne. En Asie, on sent que les joueurs locaux n’ont pas vraiment de formation. Tactiquement, le jeu est assez fermé. Il n’y a pas non plus de véritable centre de formation. Petit à petit, je pense que l’on va s’en rapprocher, tout comme il existe déjà une université du sport à Pékin où débarquent des enfants venus des quatre coins du pays dès le plus jeune âge. Les Chinois sont très différents de nous dans leur façon d’appréhender le sport et la vie en équipe. Ils sont d’abord très respectueux des règles et aiment le vivre-ensemble.

Il arrive fréquemment que deux joueurs chinois habitent ensemble dans la même chambre et ils estiment que c’est normal. Je me souviens d’un stage hivernal que nous avons fait en Turquie. On y a passé cinq semaines, enfermés dans le même hôtel à manger les mêmes trucs. C’était infect. Pourtant, les Chinois aiment ça et ils trouvent ça logique.

Tout comme le fait de partir deux jours avant un match et de rentrer 24 heures plus tard. J’ai dû me faire violence à de nombreuses reprises et il faut une grande faculté d’adaptation sinon c’est le crash assuré. Il fallait prendre l’avion pendant 2 h 30 pour se rendre à Shanghai par exemple. Quand je disais à mes équipiers que dans mon pays, on traversait le pays en voiture dans le même laps de temps, on me prenait pour un fou !

Mais je l’avoue, dans l’absolu, je me suis pris au jeu. Rien ne dit d’ailleurs que je n’y retournerai pas. Peut-être dans quelques années. Même si je n’ai pas prolongé mon contrat, je suis vraiment resté en bons termes avec beaucoup de gens et on ne sait jamais de quoi demain sera fait…  »

L’ÉNERGIE ASIATIQUE

Le bon côté des choses, c’est que Xavier Chen a pu voyager. Énormément. En équipe ou avec sa compagne : il a en pris plein les yeux.

 » J’ai beaucoup aimé Shanghai, qui est un peu le New York de l’Asie. Dès que nous avions un week-end de libre, on en profitait pour aller sous d’autres cieux. Il y a eu la Thaïlande, le Japon, le Cambodge mais aussi des villes hallucinantes comme Pékin ou Hong Kong. Pour un Eurasien comme moi, c’est la ville parfaite parce qu’elle est restée une colonie britannique pendant 150 ans, jusqu’en 1997, et qu’il en reste une forte attache anglaise.

Il y a une partie de la ville assez British avec des pubs et fast-food. L’Asie, elle, dégage une énergie particulière, quasi inépuisable et c’est très excitant. Dans le cadre de la Champions League asiatique, j’ai aussi eu l’occasion d’aller en Australie. Je sais que c’est paradoxal de se dire que l’on va disputer un match sur un autre continent mais c’était fantastique.  »

Pour boucler sa première saison en Chine, le défenseur a gagné la coupe. Une performance de choix ? Un exploit ? Non, plus encore :  » A vrai dire, nous affrontions Guangzhou et personne ne nous donnait la moindre chance. Même dans le vestiaire nous pensions que nous n’avions aucune chance !

Et finalement, devant 50.000 personnes et dans une ambiance incroyable, nous avons gagné. Quand on jouait à domicile, il y avait tout au plus 15.000 personnes dans un stade qui peut en accueillir trois fois plus. C’est aussi ça le football en Chine : cela ne fait pas encore partie des moeurs. Pourtant, j’en suis convaincu, dès que les clubs commenceront à former leurs propres joueurs, c’est une nation qui va vite grandir sur la scène mondiale.  »

Reste que, trois ans plus tard, il se pose franchement la question de savoir s’il a encore le niveau ou s’il a régressé. Tous ceux qui le connaissent vous le diront : Xavier est pourtant un grand professionnel.

RETOUR MAISON

 » A la fin du mois d’octobre, j’ai réellement pris la décision de revenir. L’heure était venue de rentrer. Ma famille me manquait de plus en plus. J’étais toujours resté en contact avec Olivier Renard pendant ces trois ans et via lui, le club malinois m’a proposé de revenir. Dès ce moment-là, je n’ai pas hésité une seconde.

En Belgique, le KaVé est mon club de coeur. J’y avais passé cinq belles saisons et j’avais même porté le brassard par moments. Je m’y suis toujours senti apprécié et soutenu par les supporters. Sur le fond, pas grand-chose n’a changé au sein du club et c’est rassurant pour moi. Le noyau par contre, c’est différent !

Et puis, il y a une nouvelle tribune qui donne une tout autre allure au stade. Je sais que je suis un chanceux parce qu’il y a énormément de joueurs sans club qui cherchent du boulot et moi, il s’est quasiment offert à moi.

Je reviens avec beaucoup d’humilité et, à vrai dire, je n’ai rien à revendiquer dans l’immédiat. Mon concurrent au poste d’arrière-droit, LaurensPaulussen, livre de bonnes prestations et dans ma tête, je dois repartir de zéro.  »

Après deux mois d’arrêt, en novembre et en décembre, Xavier Chen a accusé un certain retard physique. Mais il compte mettre les bouchées doubles dans les semaines qui viennent :  » Je me suis rendu compte durant le stage que j’avais du pain sur la planche et que tout allait plus vite qu’en Chine. Je suis réaliste et je pense que c’est la bonne attitude à adopter. Cela me permettra de ne pas être déçu si les choses devaient, dans le pire des cas, mal se passer.

Je sais que l’on m’attend au tournant et que mes prestations vont être analysées de près. Le discours du coach m’a plu. Je sais qu’il va me donner le temps de revenir et, sincèrement, je suis un mec heureux.  »

Dans l’univers du foot belge, où les têtes des professionnels résonnent parfois d’inanité, Xavier Chen fait figure de « cerveau ». Et son avenir ne semble pas le tracasser.

 » Je ne sais pas encore ce que je ferai quand tout sera fini. J’ai une licence en droit ainsi qu’un master en notariat. C’est l’une de mes grandes fiertés d’avoir su combiner football professionnel et études de haut niveau. Des amis avec qui j’ai fait mes études m’ont proposé certains projets mais il est encore un peu tôt pour y penser. Ça m’aurait fait mal d’arrêter maintenant.  »

PAR DAVID DUPONT – PHOTOS BELGAIMAGE – DAVID STOCKMAN

 » L’Asie dégage une énergie particulière, quasi inépuisable et c’est très excitant.  » – XAVIER CHEN

 » Le moment le plus excitant de ma journée était d’aller au… supermarché !  » – XAVIER CHEN

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