La chasse aux clichés est ouverte!

Bruno Govers

Il a un avis autorisé sur tout,… même s’il s’écarte souvent de la norme.

Nous avions d’abord convenu d’évoquer les clichés qui émaillent le jargon footballistique. Mais en l’espace de cinq heures en compagnie de l’ex-international René Vandereycken, qui fut mentor d’Anderlecht, du RWDM, du Standard et de La Gantoise, entre autres, la conversation déborda plus d’une fois le cadre de ces lieux communs. Morceaux choisis.

La Gantoise occupe pour le moment une position privilégiée. Pourtant, le football déployé par les Buffalos ne recueille pas l’assentiment de tous. Le coach, Patrick Remy, se défend en affirmant que « bien jouer, c’est gagner ». Qu’en pensez-vous?

René Vandereycken: Je ne suis pas d’accord du tout. Car on peut pratiquer un jeu agréable sans être nécessairement performant, tout comme il est possible de glaner les trois points en pratiquant un football de piètre qualité. A cette formule, je préfère personnellement l’expression « l’important, c’est gagner ». Dans le contexte actuel, il va de soi que les résultats, à court terme, priment toute autre considération. Reste à voir si, à longue échéance, le club dont cette équipe est le réel porte-drapeau, sortira vraiment gagnant de l’aventure. Hormis le bilan chiffré, d’autres paramètres sont au moins aussi importants: la satisfaction du public ou encore le travail réalisé en profondeur pour préparer la relève.

L’entraîneur-adjoint des Bleu et Blanc, Herman Vermeulen, a lancé un pavé dans la mare en soutenant que La Gantoise gagnerait à évoluer quinze mètres plus haut. Est-ce votre avis aussi?

Pas du tout. Un match est un rapport de forces. Avant chaque confrontation, un coach se doit de soupeser les qualités et défauts de sa formation, pris aussi bien de manière individuelle que globale, et les comparer aux mêmes critères chez l’adversaire.

Qu’est-ce qui caractérise cette phalange? A coup sûr, une bonne assise défensive, comme en atteste le faible nombre de buts concédés mais aussi, dans le registre offensif, un manque évident de percussion. En tant qu’entraîneur, deux possibilités s’offrent à moi, dans de telles conditions. Ou bien je fais monter mon bloc de joueurs d’un ou plusieurs crans sur le terrain, avec la quasi assurance que je me créerai l’une ou l’autre opportunité supplémentaire,… tout en n’étant pas certain de leur concrétisation et en offrant à l’opposant l’occasion de mettre davantage le nez à la fenêtre. Ou bien je reste fidèle à mon système de départ, avec moins de chances d’alourdir la marque mais avec la garantie que la formation d’en face ne profitera pas de la situation.

L’initiative au plus fort

N’était-ce pas votre manière de procéder au RWDM?

A une nuance près, quand même: la volonté de fournir un effort tout particulier devant notre public à Molenbeek. Je suis toujours parti du principe qu’il incombait au team le plus fort sur le papier de prendre l’initiative. Je ne me suis jamais réfugié dans l’anti-football comme certains se sont plu à le soutenir. Je l’aurais fait en refusant le combat. Mais jusqu’à preuve du contraire, j’ai invariablement requis de mes joueurs qu’ils réagissent aux entreprises adverses, même si l’écart en matière de valeur était parfois grand entre mon équipe et l’opposition. Cette différence-là ne m’a toutefois jamais empêché de jouer résolument le jeu au stade Edmond Machtens, peu importait la formation adverse. C’était un témoignage de respect envers ceux qui avaient déboursé de l’argent afin de voir leurs favoris à l’oeuvre.

Pourquoi étiez-vous si frileux en déplacement, …malgré l’appui vocal de vos supporters également?

J’admets que nous n’avons pas toujours fait preuve du même esprit qu’à domicile. Mais il faut replacer Molenbeek dans le contexte de l’époque: par rapport à la plupart des concurrents, le club n’avait manifestement pas les mêmes moyens sportifs. Dans ces circonstances, il me semblait normal d’adopter une démarche plus attentiste loin de nos bases. D’accord, nous n’avons peut-être pas soigné nos supporters comme nous le faisions chez nous, dans ces cas. Mais entre une équipe qui contribue allégrement au spectacle à l’extérieur ou une autre qui essaie, au contraire, de ramener un point, au bas mot, en faisant la preuve d’une belle discipline collective, le choix des sympathisants est vite fait, croyez-moi.

A notre humble avis, le Club Brugeois est la seule équipe de l’élite à évoluer de la même manière, tant à domicile qu’à l’extérieur. Exact?

Le Racing Genk épouse à peu de choses près le même profil, quoique sa capacité à se forger des occasions soit plus prononcée sur ses terres. Le jeu du Club est incontestablement le plus uniforme. C’est ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse. Car dès l’instant où ses lignes directrices sont démontées, il n’a plus d’alternative pour se jouer de l’adversaire. Les Brugeois en ont fait le constat la saison passée, au tout début du deuxième tour, quand ils ont vu leur avance sur Anderlecht fondre comme neige au soleil pour la bonne et simple raison que l’opposant cernait beaucoup mieux ses intentions. La manière d’opérer des Sportingmen ne permet pas la même lisibilité. Une part y est laissée à l’improvisation et celle-là complique, précisément, la vie de l’équipe d’en face. Par rapport à l’année passée, les nombreux changements ainsi que les permutations fréquentes ont toutefois entraîné un effet de surprise non seulement du côté de l’opposition mais aussi dans la formation anderlechtoise elle-même.

Plaidoyer pour Eric Van Meir

Au Standard, Michel Preud’homme s’est ému que certaines valeurs sûres, comme Johan Walem ou Eric Van Meir, croulaient sous le poids du maillot.

Mais toutes les conditions sont-elles remplies pour que ces joueurs s’expriment bien? Pour moi, Johan Walem se révèle d’une grande utilité quand il se situe à la base d’un triangle dont les deux autres coins sont l’attaquant de pointe et son soutien. Dans cette configuration, le Standardman est précieux car il est à la fois capable d’adresser un service précis ou de conserver le cuir. Mais il ne faut pas lui demander de reculer et d’abattre un travail défensif car il n’est pas taillé pour briller dans ce rôle. En ce qui concerne Eric Van Meir, je ne comprends pas pourquoi, tant en club qu’en équipe nationale, on le fait jouer sur la même ligne que ses partenaires défensifs alors que ses qualités s’exprimeraient beaucoup mieux comme dernier homme. Posté en retrait des stoppers, il serait parfaitement à même d’offrir une bonne couverture non seulement à ceux qui font le marquage mais aussi aux deux joueurs qui occupent les couloirs dans la même zone. En outre, cette fonction lui permettrait plus aisément aussi de créer le surnombre dans l’entrejeu et même de pousser une pointe dans les seize mètres adverses. L’Anversois n’a jamais été aussi redoutable que dans sa période lierroise, quand il s’autorisait de telles incursions à intervalles réguliers. A présent, il n’émerge plus que sur des phases arrêtées, de temps à autre. C’est insuffisant pour un footballeur doté de ses qualités.

Un libero, deux hommes en marquage et autant sur les flancs: ce système n’a-t-il pas montré ses limites? La preuve par Anderlecht, en première mi-temps, face au Real?

Le 4-4-2 qu’il pratique en temps normal est-il plus moderne? J’ai mes doutes. Dans l’ensemble, d’ailleurs, le 4-4-2 est défensif à 80% car la plupart de ceux qui le pratiquent font en sorte que chaque élément de l’arrière-garde couvre l’autre. Quand l’une de ses composantes monte, celui qui se trouve le plus près de lui se tient légèrement en recul, imité en cela par le troisième et le quatrième, le tout formant une charnière. Ce schéma serait moderne si les deux hommes de couloir avaient réellement la possibilité de monter et d’appuyer la manoeuvre. La plupart des équipes maintiennent cependant ces joueurs-là à l’arrière, redoutant d’offrir des espaces dans cette zone aux attaquants adverses. Personnellement, je suis d’avis que lorsque l’opposant opère avec un seul avant, comme c’est souvent le cas à Anderlecht, deux hommes suffisent à sa garde: son adversaire direct et celui qui est appelé, derrière cet élément-là, à apporter les corrections d’usage le cas échéant. Ce système présente au moins deux avantages: il permet aux latéraux une plus grande liberté de manoeuvre et, avec un défenseur en décalage par rapport à l’autre on court moins le risque, aussi, de devoir recourir à la faute nécessaire, avec toutes les conséquences fâcheuses qu’elle implique.

La tendance: un seul homme en pointe

Si le 4-4-2 est essentiellement défensif, pour vous, quelle est donc votre définition du football offensif?

Je me souviens avoir posé la même question lors des cours organisés dans le cadre la Licence Pro pour les entraîneurs. Trois ans plus tard, j’attends toujours la réponse. Comme quoi il est très difficile d’y répondre. Certains de mes collègues disent que la notion de football offensif est déterminée par le nombre de joueurs qui se trouvent devant le ballon. Mais sur un dégagement du gardien, ses dix coéquipiers ne se trouvent-ils pas automatiquement devant lui? Et sont-ils réellement animés d’intentions offensives pour autant? D’autres affirment que c’est la position du dernier homme, en cas de monopolisation du cuir par l’adversaire, qui traduit cette inclination. Désolé, mais on peut être aussi bien défensif à 15 ou à 40 mètres de son but. Si je dois donner une définition de ce qu’est le foot offensif, je dirai qu’il découle de l’intention, plus ou moins prononcée, d’une équipe à créer le danger dans la surface de réparation adverse. Plus cette tendance est marquée, plus le football véhiculera de l’émotion et du spectacle. Ce qui m’autorise à dire qu’avec le RWDM, j’étais offensif mais sans doute pas toujours spectaculaire ( il sourit).

A quel type d’évolution vous attendez-vous?

Je remarque une tendance accrue chez pas mal d’équipes, même les plus huppées, à ne plus opérer qu’avec un seul attaquant de pointe, soutenu par un entrejeu meublé de quatre, ou cinq joueurs qui jaillissent à tour de rôle. Le plus bel exemple, à ce propos, c’était la partie entre Manchester United et le Deportivo La Corogne en Ligue des Champions, avec Ruud Van Nistelrooij seul en front de bandière chez les Anglais et Diego Tristan dans le même rôle dans le camp espagnol. Malgré la présence d’un seul avant, sur le papier, de part et d’autre, ce match était une véritable ode au foot offensif. Comme quoi ce n’est pas le nombre de forwards qui détermine l’inclination d’une équipe mais plutôt l’animation du système. Avec un schéma similaire, la Belgique a d’ailleurs donné la réplique à la Croatie à Zagreb. Mais, ce jour-là, la volonté consistait bien plus à protéger ses arrières, chez nous, qu’à faire mal à l’adversaire.

Vous en avez surpris plus d’un en soutenant que la Belgique n’aurait dû opérer qu’avec trois défenseurs là-bas…

Avec deux hommes chargés de tenir de près Goran Vlaovic et Alen Boksic et couverts par Eric Van Meir, nous aurions pu faire coulisser un homme supplémentaire dans l’entrejeu, à l’image de la Croatie où Zvonimir Soldo, Igor Tudor et Dario Simic se relayaient sans cesse pour apporter leur appui au sein de la ligne médiane. Nous étions constamment en infériorité numérique à ce niveau. De surcroît, Nico Van Kerckhoven, rompu au système qu’il joue à Schalke, a eu trop souvent tendance à quitter son flanc pour accompagner un adversaire qui rentrait dans le jeu. C’était du pain béni pour Stjepan Tomas, qui s’engouffrait toujours dans cet espace, avec Walter Baseggio à ses trousses. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’Yves Vanderhaeghe n’ait jamais su à quel saint se vouer. Je comprends son désarroi mais je ne conçois pas que certains aient voulu jeter la pierre à Walter Baseggio après coup. Il a fait ce qu’il devait faire et, dans la même situation, je n’aurais sûrement pas agi différemment que lui, jadis, en ma qualité de médian défensif.

Bruno Govers

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