La chance de sa vie

Le nouvel attaquant des Zèbres est sorti de prison pour se donner une nouvelle chance dans le football. Et ça marche !

Les meilleurs secrets sont faits pour être éventés. Cela faisait plusieurs semaines que le buzz tournait autour du nouvel attaquant des Zèbres, Ilombe Mboyo Pelé. Le Soir a crevé l’abcès. On y découvrait que celui qui avait attiré l’attention par ses cheveux (et chaussures) colorés, par ses buts et ses prestations (également hautes en couleur) et par un sobriquet qui le prédestinait déjà à crever l’écran, avait également un lourd passé. Mboyo avait 17 ans et était condamné à sept ans de prison comme coauteur de faits de m£urs et de violences. Charleroi est allé le dénicher à la prison d’Ittre, se portant garant de son encadrement et lui permettant, de ce fait, d’obtenir une libération conditionnelle pour conduite irréprochable, trois ans après le début de sa peine.

Charleroi l’a placé dans son noyau Espoirs de Dante Brogno, l’a encadré, lui a fourni un logement et un contrat d’Aspirant. Certes, le club n’avait rien à perdre. Ce genre de joueurs ne lui coûte rien, tant le salaire est dérisoire, et peut lui rapporter gros si l’opération est couronnée de succès. Et tant au niveau financier en cas de revente, qu’au niveau de l’image, le club mettait en avant son rôle social. Néanmoins, le pari était risqué et aujourd’hui qu’il est couronné de succès, les dirigeants peuvent pavoiser à juste titre.

C’est en avril 2008 que Mboyo fait son apparition pour la première fois dans le noyau Espoirs.  » Physiquement parlant, il était très, très loin « , explique Brogno.  » Il était à la ramasse mais il avait des séquences avec ballon intéressantes, ce qui nous a poussés à poursuivre l’expérience. Je n’étais pas au courant de son passé. Je lui ai posé les questions d’usage, les mêmes que l’on pose lorsqu’un joueur arrive en test. Je lui ai demandé d’abord où il jouait et il m’a répondu – Nulle part. Il m’a alors expliqué son parcours sportif, qu’il était passé par les écoles de jeunes du Club Bruges et d’Anderlecht avant d’ajouter – Ensuite, j’ai eu un trou de trois ans. Je ne pouvais pas jouer car j’étais en prison. Je suis maintenant dans un cycle de réinsertion. Il était un peu timide et gêné. Je lui ai répondu qu’on n’en avait rien à faire de son passé et qu’on allait essayer de l’aider.  »

Les premiers mois sont difficiles. Le joueur doit s’accrocher et rattraper son retard de condition.  » En été, il a ramé deux, trois semaines « , continue Brogno.  » Il s’agissait de sa première préparation depuis longtemps. Mais on y croyait : il avait du coffre, de la taille et de la puissance. Au niveau du gabarit, il avait tout pour réussir. Il était capable de coups d’éclat mais il ne fallait pas lui demander de faire un effort de repositionnement. Il était vite cuit. Mais au milieu du premier tour, il avait comblé son retard. « 

Et à l’entraînement, il s’érigeait vite en exemple… Brogno :  » Quand on arrive en test, on est toujours un peu seul. Il était calme et à l’écoute. J’ai senti qu’il était respecté dans le vestiaire. Il était un peu plus âgé que les autres. Et puis, son passé l’avait rendu plus mûr. Sur le plan de la discipline, je l’ai entendu donner des conseils aux jeunes. Et il avait faim d’avancer. Il était conscient que l’entraînement était le moment le plus important de sa journée. Comme s’il se disait qu’il avait déjà épuisé les cartes Bruges et Anderlecht et que Charleroi constituait sa dernière chance… Il s’agissait de l’élément le plus complet du groupe mais il faut aussi dire qu’à cet âge-là, une différence de trois ans compte énormément. A 21 ans, tu as forcément plus de vécu qu’un joueur de 18 ans. « 

 » Le football, ce n’est pas que le talent. C’est aussi une hygiène de vie  » (Collins)

Fin novembre, il était prêt à faire le bond vers l’équipe première. Cinq joueurs sont allés s’entraîner avec les pros mais pas lui.  » Toutes les semaines, on en parlait avec Mogi Bayat « , se rappelle Brogno.  » Il me demandait quel était son état d’esprit, s’il posait des problèmes au groupe. Le club s’est montré très patient.  »

Le premier signal viendra de Thierry Siquet :  » Le mercredi précédant notre déplacement à Genk, comme il me manquait beaucoup de joueurs, j’ai fait appel à plusieurs jeunes. Pour Mboyo Pelé, j’ai pris la décision à 9 h 45 alors que l’entraînement débutait à 10 h. Je l’ai appelé et Raymond Mommens a dû aller le chercher dare-dare. Il est donc arrivé au centre d’entraînement de Marcinelle alors que les autres joueurs s’échauffaient déjà depuis 10 minutes. Il s’est montré très calme. Il n’y avait aucune raison de le traiter différemment des autres. Il a certes vécu des choses que peu de footballeurs connaissent mais il s’agit de son histoire personnelle et cela ne nous concerne pas.  »

L’arrivée de John Collins n’allait pas freiner l’éclosion du jeune d’origine congolaise. Que du contraire.  » Collins m’a demandé les noms des bons jeunes que j’avais dans le noyau « , explique Brogno. Et la légende raconte qu’un jour, présent au match des Espoirs, il aurait dit à Mogi : – Pourquoi m’a-t-on caché si longtemps cette perle. Il a directement craqué pour Mboyo.  »

 » Il avait fait un bon match en Réserves « , se souvient Collins.  » Il avait marqué mais j’avais davantage été impressionné par sa mentalité. Il avait de l’enthousiasme et j’appréciais son profil. Il était costaud dos au but et c’est ce que je cherchais. « 

Collins le fait monter en A, apprend son histoire et le convoque :  » Je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai dit qu’il avait fait des erreurs mais qu’il avait l’opportunité de se racheter. J’ai ajouté que le foot, ce n’était pas que le talent mais toute une hygiène de vie : bien manger, bien dormir. Il a éprouvé quelques difficultés au début mais a vite progressé sur le plan physique. Il était cuit à la mi-temps, puis à l’heure de jeu. Désormais, il peut gérer toute une rencontre au niveau de la D1. « 

Déclic au Cercle

En attaque, tant Siquet que Collins ont tenté toutes les formules possibles. Le 1er février, contre la Gantoise, Mboyo reçoit sa première titularisation, aux côtés de Cyril Théréau. Mais il sombre avec l’équipe (2-5). C’est la semaine suivante, au Cercle Bruges, que le déclic intervient. Mboyo est de retour sur le banc mais rentre à 27 minutes du terme. Juste le temps d’égaliser d’une frappe de 25 mètres. Depuis lors, il n’a plus quitté le onze de base et son tandem avec Habib Habibou fonctionne très bien.

 » Si on s’entend bien, c’est parce qu’on est comme une famille « , dit Habibou.  » Il y a du respect entre nous, on se connaît et on a les mêmes délires. Comme moi, c’est un passionné de foot. On a presque le même style de jeu. Sur le terrain, il travaille pour moi, je travaille pour lui. On essaie de se mettre l’un et l’autre en valeur. « 

La belle histoire est donc en route. Tout le monde à Charleroi espère que le conte de fées continuera encore longtemps et que le joueur a retiré les leçons de ses erreurs passées.  » En Espoirs, il a laissé de bons souvenirs « , dit Brogno.  » Il vient d’ailleurs encore dire bonjour dans les vestiaires et il reste durant l’entraînement pour regarder. « 

 » Il a fait le premier pas « , conclut Collins.  » Mais il est maintenant exposé à un danger : soit il continue à bosser, soit il ralentit la cadence en pensant qu’il est déjà arrivé. C’est pour éviter cela que je suis sur son dos tous les jours. Il doit oublier le passé. Ce qui compte, c’est aujourd’hui et demain. Avant, il rentrait et surprenait l’adversaire. Désormais, celui-ci connaît ses points forts et ses points faibles. Et c’est là qu’on voit la capacité de réaction d’un attaquant… « 

par stéphane vande velde

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