© EMILIEN HOFMAN

La Carolorégienne

Les grandes équipes ne meurent jamais ? Tombée dans l’oubli depuis 2012 et les problèmes financiers qui ont provoqué sa chute, La Villette Charleroi cherche à se refaire une santé. Avec quelques jeunes pépites, un coach expérimenté et un marketing soigné, il y a de quoi être optimiste à Lodelinsart.

Sur les tables des arbitres, les marqueurs ne restent pas longtemps au repos. Machinalement, les deux juges retournent les fiches score en faveur de Simon Arvidsson. Revenu de longues semaines de blessure, le pongiste suédois de Diest pense réussir son come-back face à Valentin Pieraert en menant 2-0. D’entrée de jeu nerveux, son adversaire carolo se rebiffe et trouve finalement la force pour empocher les trois sets qui suivent. Le regard tourné vers son coach, Pieraert savoure l’exploit.

Tout autour de lui, les applaudissements se font rares. Il faut dire qu’en cette veille de jour férié, il n’y a pas foule au Centre de Loisirs de Lodelinsart, une centaine de personnes tout au plus.  » Ce match a dû être décalé pour que certains de nos joueurs puissent évoluer au niveau international.  »

Assis dans la buvette, costard bleu sur chemise noire, le président du club Michel Beirens affirme pourtant ne jamais prévoir de rencontres lors des tournois européens où ses joueurs sont susceptibles d’être sélectionnés.  » Mais il arrive qu’ils soient convoqués à des opens que l’on n’avait pas prévus. Dommage, parce que face à Diest, il y aurait pu y avoir une belle assistance.  »

Dans la philosophie actuelle de La Villette Charleroi, le public a autant d’importance que les performances.  » Nous revenons de très loin : le club a bien failli disparaître, purement et simplement. Nous avons remis tout en route progressivement et on continue à travailler sur l’avenir en gérant ça en bon père de famille.  » Loin des gloires européennes d’antan. Pour le moment.

La dure chute

35 titres de champion de Belgique – dont 25 consécutifs entre 1987 et 2012 – 20 Coupes nationales et 7 Ligues des Champions. Le Royal Villette Charleroi figure encore aujourd’hui parmi les clubs les plus prestigieux d’Europe aux côtés du Borussia Düsseldorf ou du nouveau riche du TTC Gazprom Orenbourg. Mais depuis le début des années 2010, le club carolo a tout simplement disparu des cartes nationale et internationale du tennis de table.

Hiver 2011, lorsque le mythique entraîneur Dubravko Skoric, 19 saisons au compteur, annonce son futur départ pour le club d’Ochsenhausen en Allemagne, les mines commencent à se renfrogner. Surtout que, quelque temps plus tard, les problèmes financiers de La Villette sont dévoilés au grand jour : les dettes s’élèvent alors à 400.000 euros.

L’ASBL « Europe », chargée de la partie professionnelle du club, est mise en liquidation volontaire en juillet 2011. L’équipe première tient encore un an en Superdivision, le temps d’enlever le titre, avant de chuter en Division 1 lors de l’été 2012 faute de moyens.

Plus de sept ans après les faits, Michel Beirens n’en démord pas.  » La Villette n’est aucunement responsable de ce qu’il s’est passé. Au départ, la Ville de Charleroi a voulu se donner une image positive via le sport. Mais les affaires qui l’ont touchée ont fait partir tout le sport carolo à vau-l’eau*.  »

Engluée dans ses tracas judiciaires, la Ville coupe les vannes, les sponsors deviennent plus que frileux et La Villette se retrouve complètement démunie, sans apport.  » On n’est pas le seul club à en avoir souffert : Action 21, les Dauphines et les Spirous n’ont plus jamais connu les mêmes succès par après « , ajoute le président.

 » Pour nous, c’était catastrophique puisque du sommet, on s’est retrouvé au plus bas.  » Finalement, La Villette sauve sa peau et ses infrastructures grâce à son équipe féminine, restée en Superdivision. Mais après le cataclysme, il faut tout reconstruire.  » On a pris une feuille blanche et on s’est demandé ce qu’on pouvait faire pour redonner vie au club « , se souvient Sylvio Di Dio, sponsor avec Euro-Finances et actuel responsable relationship.

 » On a écrit les noms des joueurs qui restaient, ceux que l’on voulait transférer et la somme qu’il nous fallait. Puis on a lancé les recherches de partenaires en leur proposant un maximum de visibilité.  » Le tout sans le concours de l’atout marketing principal depuis plus de 20 ans : Jean-Michel Saive.

Le deuil Jean-Mi

Fidèle jusqu’au dernier titre du club carolo en 2012, Jean-Mi regrette aujourd’hui que ses deux dernières saisons – jouées pratiquement gratuitement – n’aient pas été ne fût-ce qu’en partie rémunérées. Lors de son retour à Lodelinsart sous la vareuse du Logis Auderghem en octobre 2018, juste avant un service, il affirme ainsi qu’ on lui doit encore 136.000 euros.

 » Il n’a pas été gentleman sur ce coup « , estime Ignace Martos, le directeur sportif, pris par son organisation de jour de match.  » Jean-Michel Saive et La Villette ont une histoire commune importante et je pense qu’il sait au plus profond de lui que le club s’est comporté avec respect : il était par exemple au courant que l’on avait des soucis.  »

Au téléphone, l’ancien champion de Belgique persévère , plus triste que rancunier :  » J’ai passé 22 années fantastiques à La Villette. Ce que je regrette, c’est que l’on m’ait pratiquement traité en paria lors de mon départ et qu’on ne soit jamais venu une seule fois s’excuser ou me dire : On n’arrivera pas à tout te donner, mais on fait le maximum. Pour qu’on puisse reboire des pintes ensemble en parlant du bon vieux temps.  »

La Ville de Charleroi a voulu se donner une image positive via le sport. Mais les affaires qui l’ont touchée ont fait partir tout le sport carolo à vau-l’eau.  » Michel Beirens, président de la Villette

Les dirigeants carolos ne sont pas tout à fait d’accord avec les propos de l’ancien champion de Belgique.  » Jean-Michel a été privilégié et on a fait le maximum jusqu’à la dernière échéance « , soutient Ignace Martos.  » On ne peut pas être tenu responsable de l’ardoise éventuelle, puisque les ASBL de l’époque ont été mises en liquidation « , complète Michel Beirens.

Certaines sources affirment que l’avocat de Jean-Michel Saive aurait fait opposition à la distribution par la Ville d’une somme de 40.000 euros au club. L’argent serait alors rentré dans le budget de la Ville alors qu’il aurait pu être distribué aux joueurs. Au bout du fil, Maître Flagothier nuance.

 » Un subside de 36.000? aurait pu être octroyé à La Villette à condition que le club communique ses documents comptables et que soit rendu le contrôle de l’autorité de tutelle. La Villette n’a donné aucun document, il n’y a donc pas eu de subside.  » La Villette ne cherche pas à remettre de l’huile sur le feu et envisage un dialogue futur.  » Un jour, nous mettrons les choses au clair avec Jean-Michel et on fera un communiqué commun « , ponctue Michel Beirens sur un ton optimiste.

L’atout Lauric Jean

Après un aller-retour furtif en 2014, La Villette se réinstalle durablement en Superdivision depuis 2017. Cet été-là, le comité flaire le bon coup en recrutant Lauric Jean. Le jeune homme évolue alors depuis dix ans en Allemagne, à Jülich, mais connaît le club carolo pour y avoir joué avec l’équipe de la Division 1 alors qu’il n’avait que 11 ans.

 » Il nous fallait un porte-drapeau, un relais précieux et Lauric s’est montré très honnête en donnant sa parole un an à l’avance « , précise Ignace Martos. Même s’il a quitté la Belgique très jeune, l’Erquelinnois n’est pas inconnu lors de son retour au Plat Pays. En 2010, à 17 ans, il avait créé la sensation en éliminant en quart de finale du championnat de Belgique un Jean-Michel Saive qui n’avait plus mordu la poussière depuis 2003.

Lauric deviendra lui-même champion de Belgique en 2015 et 2016.  » Lors de mes rencontres avec le comité, je leur ai bien dit que je ne reviendrais pas pour prendre mon argent et repartir après une saison « , déclare l’intéressé, qui a abandonné la coupe à la Agassi pour un look plus discret.  » Dès le départ, mon objectif était de ramener La Villette au top, même si ça prenait du temps.  »

Lauric Jean et le comité se sont fixé trois ans pour parvenir à leurs fins. La première saison en Superdivision s’est déroulée en deuxième partie de classement pour éviter le maintien, la suivante s’est clôturée aux pieds du podium et la troisième, l’actuelle, devait en théorie être celle de la reconquête du titre. En cette fin d’automne, La Villette titube toutefois dans le ventre mou.

 » Il manque encore quelques repères et peut-être un ou l’autre joueur d’expérience « , confesse Lauric Jean. Pourtant, l’effectif dispose d’une certaine dose de qualité. Valentin Pieraert (20 ans) s’entraîne au centre de formation de Liège en parallèle à ses études et vise le top 10 belge alors qu’ Adrien Rassenfosse (16 ans) a été sacré champion de Belgique junior il y a quelques semaines.

L’expérience Danchenko

 » C’est la relève en Europe « , ose le coach Oleg Danchenko.  » Adrien s’entraîne en Allemagne et a un calendrier extrêmement chargé donc il a été convenu dès le départ qu’il ne jouerait pas tous les matchs pour privilégier l’international.  » En 2012, à la chute du club en Division 1, Oleg avait décidé de rester à Lodelinsart. Il s’était alors défait de son statut professionnel et avait couplé son activité de joueur à Charleroi avec un poste d’entraîneur au sein de la Fédération belge. Depuis 2017, l’Ukrainien est également entraîneur du Royal Villette.

Pour le coach Oleg Danchenko, le jeune Adrien Rassenfosse (16 ans) constitue la relève en Europe.
Pour le coach Oleg Danchenko, le jeune Adrien Rassenfosse (16 ans) constitue la relève en Europe.© EMILIEN HOFMAN

Physiquement, le joueur Danchenko n’est plus le même qu’il y a vingt ans, mais se rompt à quelques belles performances à l’occasion. En dehors, l’entraîneur a de l’expérience à revendre.  » J’ai eu la chance de côtoyer les meilleurs joueurs du monde. Je me sers des discussions avec le Chinois Jian Jun Wang ou le Coréen Oh Sang-eun pour guider les plus jeunes.  »

Et pas uniquement. Contre Diest, alors que Lauric patauge face à Alekseï Smirnov, un ancien de La Villette, Danchenko s’adresse à son joueur, lui tourne la tête et lui souffle deux-trois conseils.  » Si ça avait été quelqu’un d’autre, je ne l’aurais peut-être pas écouté de la même manière « , argue Smirnov, qui s’exécute et remporte son match. Pour le reste, Damien Delobbe et Christian Blondeau complètent un noyau dont ne fait plus partie Vitali Levshin pour une question de double appartenance**.

Il y a quelque temps, l’Ukrainien a disputé un match de Coupe d’Europe avec une formation de son pays.  » Dans son esprit, cela ne comptait pas comme une double appartenance « , développe le président Michel Beirens.  » Mais la Fédération belge a eu un autre avis et comme il était trop tard pour l’enregistrer en double appartenance, il a été sanctionné et n’évoluera pas avec nous cette année.  » Un fameux coup dur.

Les jeunes et l’ambition

Les contrats signés entre l’ASBL de La Villette et les joueurs sont de type bénévole.  » Il n’y a pas un pongiste professionnel chez nous, on n’en a plus les moyens « , glisse Sylvio Di Dio, le responsable relationship. Du coup, le club cherche à renforcer son centre de formation.

 » Nous avons actuellement une cinquantaine de jeunes « , précise le directeur sportif Ignace Martos.  » Aujourd’hui, les trois meilleurs joueurs belges dans leur catégorie ( Nolan Lerat (12 ans), Xavier Wats (13 ans) et Adrien Rassenfosse, ndlr) sont chez nous et vont donner envie à d’autres jeunes de venir ici pour continuer leur progression.  »

Préparé par son histoire, le club ne vit pas uniquement pour sa Superdivision et possède également une D1 nationale et une P2 qui se bat pour monter en P1.  » C’est important de disposer de ces différentes équipes sinon les jeunes s’en vont voir ailleurs « , pense Michel Beirens, toujours mesuré dans ses propos.

De l’aveu même du président, la salle de Lodelinsart se remplit davantage aujourd’hui qu’à la grande époque de La Villette.  » Les gens venaient surtout quand on jouait en Ligue des Champions. J’ai rarement vu 200-250 spectateurs en championnat comme cette saison. On sait que si on marie nos moyens à nos ambitions, cela va recréer une dynamique.  »

À ce propos, le budget du club flirte avec les 70.000 euros auxquels s’ajoutent 115.000 euros d’échanges médiatiques. L’objectif est de continuer à l’augmenter sans dépenser l’euro que le Royal n’a pas.  » Il nous faudrait encore un sponsor ou l’autre pour envisager la suite avec plus d’appétit « , place Sylvio Di Dio. Le championnat et la Coupe de Belgique semblent être des objectifs atteignables dans les prochaines années.

Pour l’Europe, il y a peu de chances que les étoiles (des joueurs, la Ville, des sponsors, un président avec un portefeuille et bon réseau) s’alignent de nouveau. En attendant, la buvette carolo exhibe fièrement l’enseigne qui consacre La Villette meilleure équipe du monde en 2001.  » On est toujours champion en titre « , sourit Michel Beirens avec un clin d’oeil. Il faut dire qu’aucune autre compétition n’a eu lieu depuis.

*Il a notamment été prouvé que l’argent de la régie communale autonome, la RCA, était en partie détourné afin de financer des clubs sportifs de la région via une ASBL baptisée « Charleroi infra sport ».

** Un joueur peut évoluer dans deux clubs de deux pays différents, mais il faut que son autorisation de double appartenance soit demandée chaque année avant début septembre. Un club ne peut aligner qu’un joueur en double appartenance par match.

Pour le coach Oleg Danchenko, le jeune Adrien Rassenfosse (16 ans) constitue la relève en Europe.
Pour le coach Oleg Danchenko, le jeune Adrien Rassenfosse (16 ans) constitue la relève en Europe.© EMILIEN HOFMAN

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