LA BONNE SURPRISE DU CHEF

Le jeune homme a eu 20 ans en février, mais ferait presque déjà figure d’ancien dans le vestiaire de Manchester United. Pourtant, même quand il joue et qu’il marque, Adnan ne semble pas encore faire l’unanimité chez les Red Devils.

Adnan a le sourire aux lèvres. Dans le couloir qui l’emmène jusqu’au pré magique de Wembley, il précède Robin van Persie et Rafael et se permet même de chambrer Patrice Evra. Ce jour-là, il ne le sait pas encore, mais il va connaître sa première apparition sous le maillot mancunien. Nous sommes le 11 aout 2013 et David Moyes n’est pas encore devenu le plus grand pestiféré de Premier League. Mieux, ce jour-là, Manchester se joue de Wigan et remporte son vingtième Community Shield.

Adnan, lui, touche du ballon pendant 7 minutes. Normal, Ryan Giggs n’a toujours pas remisé ses boots et van Persie est toujours un buteur. Près de deux ans plus tard, les choses ont bien changé à Manchester, mais Adnan Januzaj est toujours là. Louis van Gaal a remplacé David Moyes, la génération 92 a définitivement raccroché, RVP s’en est allé et après une saison sans coupe d’Europe, United doit maintenant passer par le stade Jan Breydel pour retrouver la Coupe d’Europe.

Si la situation de Manchester est encore instable, celle d’Adnan, elle, semble reprendre la bonne direction après s’être dangereusement encroûtée la saison dernière. Titulaire et buteur lors de la deuxième journée de Premier League contre Aston Villa, Adnan a, malgré les reproches de Louis van Gaal, enchaîné avec une deuxième titularisation consécutive. Une première depuis février et un bol d’air inattendu au moment où l’intérêt de Sunderland et même de la Juventus semblait plus concret que jamais.

 » MON PÈRE, MON AGENT, ET MON ONCLE  »

Éclair dans la grisaille mancunienne à l’automne 2013, il faut bien dire que le numéro 11 des Red Devils était petit à petit rentré dans l’anonymat. 25 titularisations en deux saisons de Premier League, fût-ce à Manchester United, c’est trop peu. Trop peu pour revendiquer un statut d’indéboulonnable dans la sélection de Marc Wilmots, trop peu surtout pour se faire une réelle opinion d’un joueur classé aux antipodes des profils bling-bling de Premier League.

Mansour Fellaini, frère de Marouane et voisin d’Adnan à Manchester, est réputé proche du joueur, mais a, comme beaucoup de monde, un peu de mal à se faire une réelle idée de qui est vraiment Adnan Januzaj :  » On vit dans la même ville, mais avec Adnan, c’est comme avec Eden (Hazard, nldr) et les autres, c’est bonjour et c’est tout. À la limite, ce que je fais parfois avec lui que je ne fais pas avec les autres, c’est un resto en compagnie de Marouane. Mais ça s’arrête là, parce qu’il ne sort pas dans les établissements de nuit.  »

En fait, pour bien connaitre Adnan, il faut soit être un féru des fins de matchs de United – 17 entrées dans les 25 dernières minutes en deux saisons – soit appartenir au clan Januzaj. Et c’est bien là que ça se complique. Presque invisible médiatiquement depuis ses débuts professionnels, la communication autour d’Adnan est remarquablement orchestrée. Sauf qu’à force d’éviter les relations avec la presse, exception faite de ManU TV à qui Adnan peut difficilement dire non, il commence tout doucement à susciter l’incompréhension.

Comme lors de la conférence de presse organisée par l’Union Belge en mai 2014 pour laisser au joueur la possibilité de revenir sur sa décision d’opter finalement pour les Diables Rouges. Pour la première fois exposé à la folie médiatique d’avant Coupe du Monde, Adnan avait avoué, l’air un peu perdu et bouteille d’eau antistress à la main, n’avoir  » jamais géré les choses. La seule chose que j’ai faite, c’est travailler sur le terrain. Pour le reste, j’ai mon agent et mon père « .

Quelques semaines plus tard, au sortir de son premier match officiel avec les Diables contre la Corée du Sud, Adnan se fait alpaguer dans un couloir par un micro de la RTBF. Et à la question de savoir à qui il désirait dédicacer ce premier match en Coupe du Monde, l’intéressé de répondre, presque laconique :  » Mon père…. mon agent et mon oncle.  » Sans surprise.

UN BOSSEUR INVÉTÉRÉ

Son oncle, c’est Kafer Altindag. Et en quelques mots bien choisis, il a accepté de nous expliquer l’invraisemblable loi du silence qui semble régir les rapports des Januzaj avec la presse.  » Ce n’est pas contre vous, mais on m’a demandé de ne pas parler d’Adnan. Je suis désolé.  » Clair, net et concis. Ce n’est peut-être pas pour rien qu’il se dit que quand on s’approche trop près du soleil, on finit inévitablement par se brûler les ailes.

L’effet est à peu près similaire quand on tente de s’adresser au clan Januzaj. Une formule même pas dénigrée en interne. KasAfrim a vu grandir Adnan Januzaj le long des terrains du FC Kosova à Schaerbeek, mais ne peut s’empêcher de repenser avec nostalgie à cette période où le gamin régalait la galerie à la mi-temps des matchs de l’équipe première.

 » Je ne participe pas à l’omerta autour de Adnan, mais depuis son départ à Manchester quand il avait 15 ans,  » ils  » ont des consignes et même à nous,  » ils  » ne nous disent pas tout.  » Si Kas Afrim ne peut pas nous en apprendre plus sur l’actualité récente d’Adnan Januzaj, il peut par contre nous éclairer sur les méthodes d’AbedinJanuzaj, le père d’Adnan :

 » C’est quelqu’un d’ultra-protecteur, mais aussi de très strict. Lui vient encore nous voir deux fois par an, mais on ne voit plus Adnan. La vérité, c’est qu’encore aujourd’hui, il ne lâche pas Adnan d’une semelle et gère son emploi du temps. Il faut dire qu’ils vivent ensemble, ça n’aide pas.  »

La seule option qui vaille pour percer le mystère Adnan Januzaj, serait donc de revenir cinq ans en arrière, avant son transfert à Manchester United. À l’époque, Adnan étrennait sa timidité du côté de Neerpede. À ses côtés, Jean Kindermans était le directeur du centre de formation mauve et blanc :

 » Contrairement à ce qu’on peut penser vu son talent, c’était un bosseur invétéré. L’autre bizarrerie, c’est que son père était présent à tous les matchs, tous les entraînements, j’avais rarement vu ça.  » Tellement exigeant qu’Adnan Januzaj est obligé de se coltiner les entraînements du dimanche, normalement dévolu aux remplaçants.

 » Il était titulaire à tous les matchs du samedi après-midi, mais était systématiquement présent à la première heure pour les entraînements du dimanche matin. « Une preuve d’humilité rare pour Yannick Ferrera entraîneur chez les U15 d’Anderlecht à l’époque. Un préliminaire indispensable à la réussite du fiston pour le paternel.

L’EURO, C’EST DANS 289 JOURS

Un père assidu, un fils surdoué, pas étonnant que les Januzaj aient opté pour la difficulté en rejoignant Manchester alors que le marmot n’était âgé que de 15 ans. Ce qui a un peu plus surpris par contre, c’est la volonté exprimée en juin dernier par DirkDeVriese, son agent, de rester à Manchester United  » pour {y} devenir une légende du club « .

Un choix dont le timing avait de quoi déconcerter à un an de l’Euro en France et après la saison difficile traversée par Adnan. Souvent très bon avec les Diables (contre le Luxembourg, la Corée du Sud ou l’Islande notamment), Januzaj prenait pour la plupart des observateurs le risque de louper le bon wagon en restant à Old Trafford.

Après avoir plus souvent connu le  » Théâtre des rêves  » dans sa version dégarnie et benjamine avec les U21 de Manchester en fin de saison dernière, il y avait en effet de quoi se poser des questions.

RobertWaseige, ancien sélectionneur national de 1999 à 2002, appartenait lui aussi à la catégorie des circonspects au moment de l’annonce faite par Dirk De Vriese :  » Que ce soit Wilmots ou Tartempion n’est pas la question. Si le sélectionneur voit un joueur reculer dans sa hiérarchie, cela relève de son devoir de prendre position. Dans ce cas-ci, et vu la réputation du clan Januzaj, le coach doit tenter quelque chose auprès du pater familias. Avoir un entretien avec le père pour lui expliquer ce qu’il risque à force de s’entêter à vouloir faire de son fils une légende de Manchester « .

Robert Waseige a trop longtemps éprouvé les conséquences néfastes d’un entourage omnipotent pour rester insensible à pareille situation. Sauf qu’entre-temps, et même s’il est évidemment trop tôt pour tirer la moindre conclusion, il faut bien avouer que le début de saison d’Adnan Januzaj a de quoi surprendre. Malgré les critiques répétées de Louis van Gaal sur l’implication de son joueur, Adnan est en train de répondre à la condition sine qua non pour entrer en ligne de compte en équipe nationale en accumulant de plus en plus de temps de jeu.

SUR LA ROUTE DE MEMPHIS

En quelques semaines, Adnan est donc parvenu à déjouer les pronostics les plus pervers pour devenir la bonne petite surprise belge d’outre-Manche du début de saison.  » Ce n’était pas gagné d’avance pour lui, parce que van Gaal n’est pas un entraîneur qui se fie à la réputation de ses joueurs « , explique le journaliste DavidMeek du Guardian avant de poursuivre :

 » Je peux même vous dire qu’Adnan ne faisait pas partie des plans du Hollandais au mois de juillet. Il comptait beaucoup sur Pedro, mais comme les négociations avec Barcelone ont capoté, il a redonné sa chance à Adnan. Et honnêtement, je pense que s’il était titulaire contre Bruges lors de la manche aller, c’est que Van Gaal compte très sérieusement sur lui cette saison.  »

Les derniers signaux sportifs envoyés par Van Gaal sont, en effet, positifs. L’objectif de ce dernier sera maintenant de façonner la personnalité d’Adnan Januzaj pour en faire un guerrier. Sur et en dehors du terrain :  » Ce que Van Gaal souhaite, c’est faire de Adnan un Memphis Depay. Le genre de joueur qui n’est jamais content de lui et qui en veut toujours plus. Vous l’avez vu contre Bruges, Depay ? Eh bien, après le match, il regrettait publiquement de ne pas avoir inscrit de troisième but.  »

Difficile, aujourd’hui, d’imaginer Januzaj se mettre en colère sur WayneRooney ou tenter sa chance une dizaine de fois par match. Il n’empêche que si van Gaal réussit la métamorphose d’Adnan, il y aura bien plus que le  » clan Januzaj  » pour profiter de l’émancipation de l’ancien pensionnaire de la maison mauve. Parce qu’un Diable Rouge indispensable à Manchester United ne peut pas rester éternellement dans l’ombre en équipe nationale.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Ce que Van Gaal souhaite, c’est faire d’Adnan un Memphis Depay. Le genre de joueur qui n’est jamais content de lui.  » DAVID MEEK, JOURNALISTE AU GUARDIAN

 » La vérité, c’est qu’encore aujourd’hui, son père ne lâche pas Adnan d’une semelle et gère son emploi du temps.  » KAS AFRIM, AMI D’ENFANCE

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