La bombe Vercauteren pour les nuls

Frankie goes to Abu Dhabi. Décryptage d’un des coups de tonnerre de ce mercato.

Un bilan perso exceptionnel ! Frankie Vercauteren avait hérité en décembre 2009 d’un Genk sous perfusion, aux soins intensifs. Ce qu’il y a réalisé entre-temps est unique. Une qualification européenne via un championnat achevé au rythme d’un TGV. Un titre. Une Supercoupe. La possibilité réelle de qualifier le club pour la Ligue des Champions s’il élimine Haïfa – match aller ce soir, retour mardi prochain. Un trophée d’Entraîneur de l’Année. Le titre de Gardien de l’Année pour Thibaut Courtois, un joueur que personne ne connaissait un an plus tôt. Vercauteren a aussi hissé Jelle Vossen, Marvin Ogunjimi, Kevin De Bruyne et David Hubert dans le noyau des Diables.

Tout roule donc, mais le Bruxellois s’en va aux Emirats, à Al Jazeera. Parce qu’il a peur de la chute ? Parce qu’il a étudié l’histoire de Genk et remarqué que les saisons qui avaient suivi les deux premiers titres avaient été désastreuses ? En 1999-2000, l’équipe avait terminé à la huitième place. En 2002-2003, elle fut sixième. Ou alors, il part uniquement pour l’argent ? Décryptage de la triste réalité actuelle des champions. Depuis une semaine, on entend à Genk beaucoup de discours rassurants, positifs. Mais le club est en plein traumatisme, c’est incontestable.

Vercauteren et son rapport à l’argent

Vercauteren avait plusieurs fois sous-entendu que s’il recevait un jour une proposition financière incroyable, il pourrait faire passer l’argent avant tout le reste. En octobre 2010, il nous disait :  » Je ne m’opposerai jamais à l’ambition d’un joueur qui veut aller voir ailleurs. Si un autre club te propose dix fois plus d’argent pendant cinq ans, est-ce que moi, comme père ou comme entraîneur, je peux t’obliger à rester ? »

En mars dernier, il nous commentait le départ de Joao Carlos en Russie :  » J’aurais accepté aussi. Une opportunité comme celle-là, tu ne l’as qu’une seule fois. Et qu’est-ce que tu peux faire avec un joueur mécontent ? Si mon fils vient me dire qu’il peut gagner deux millions par saison pendant cinq ans, qu’est-ce que je dois lui dire ? -Non, n’y va pas parce que tu ne joueras peut-être pas, parce que tu ne seras peut-être pas bien là-bas. Non, je lui dis : -Vas-y, on verra. Tout le monde a envie d’aller à Milan ou à Chelsea. Moi aussi, comme entraîneur. Mais si ce n’est pas possible, il faut analyser d’autres choses. Choisir entre rester ici et être bien dans la vie, ou opter pour l’aventure, prendre beaucoup d’argent puis revenir.  »

Aujourd’hui, il affirme qu’il ne part pas uniquement pour des raisons financières :  » Ce qui me dérange, c’est qu’on ne parle que d’argent. Je lis plein d’erreurs dans les journaux.  » Mais il ne veut pas en dire plus. Après le match de samedi contre Zulte Waregem, toute la presse a essayé de le cuisiner, de mieux connaître ses motivations. Il n’a fait que tourner autour du pot. Il est probable que la campagne des transferts ne lui a pas donné satisfaction. Il a vu que beaucoup d’argent était entré dans les caisses depuis quelques semaines. Les ventes de Courtois, Koen Casteels et Eric Matoukou ont rapporté près de 11 millions. Il a aussi perdu Chris Mavinga. Mais au moment où il a décidé de partir, Genk n’avait encore réalisé que deux transferts entrants : Jeroen Simaeys et Khaleem Hyland. La perte de qualité n’a pas été compensée.

Depuis qu’il était arrivé dans le Limbourg, Vercauteren se plaignait de son effectif, il réclamait des renforts presque en permanence. Les termes  » manque d’équilibre  » et  » étroitesse du noyau  » étaient régulièrement des fils rouges de ses interviews. En devenant directeur technique, il espérait sûrement avoir plus d’emprise sur les man£uvres de transferts. Mais il a constaté que la direction ne voulait absolument plus faire les mêmes erreurs que dans le passé : dépenser sans compter après un titre. Le DG Dirk Degraen l’a encore rappelé après l’annonce du départ de Vercauteren :  » La direction était – et est toujours – disposée à renforcer le noyau, mais dans les limites du budget disponible. Ce club a énormément évolué depuis quelques années. Il est toujours possible de faire mieux mais Vercauteren savait que nous devions rester raisonnables. En tout cas, il nous a dit qu’il ne s’en allait pas à cause de notre politique sportive. Il affirme que d’autres éléments ont fait pencher la balance. Ce n’est pas à moi de dire si sa décision est éthique ou pas. Et je ne souhaite pas mettre de l’énergie dans une situation de toute façon irréversible.  »

Les modalités financières du départ

Genk n’a pas négocié avec Al Jazeera. Et n’a même pas essayé d’augmenter le contrat de Vercauteren pour le faire changer d’avis.  » A partir du moment où un club des Emirats est sur le coup, on ne peut rien faire « , dit Degraen. Vercauteren a tout réglé lui-même avec la direction limbourgeoise : il était sous contrat jusqu’en 2013 et versera un dédit.

Degraen ajoute :  » Nous avons convenu de régler son départ entre quatre-z-yeux, en adultes. Pour moi, il n’est pas nécessaire de mettre des avocats sur le coup. Vercauteren et le club souhaitent que son départ se fasse de commun accord et de la manière la plus correcte possible. « 

Le timing foireux

Vercauteren avait-il encore la tête à Genk quand le championnat a repris ? Certaines sources signalent qu’en juillet, il a été vu à Paris où il aurait négocié avec des agents mandatés par Al Jazeera, mais aussi par un club de Dubaï et un autre d’Arabie Saoudite. Des insiders sont aussi certains qu’il a signé son contrat avec Al Jazeera quelques heures avant le match de la deuxième journée au Lierse. On apprend aussi qu’il aurait trouvé un accord avec Luciano D’Onofro, en avril, pour entraîner le Standard cette saison. C’est le rachat par Roland Duchâtelet qui a fait capoter le plan.

Fallait-il qu’il reste en place pour le match contre Zulte Waregem et le déplacement à Haïfa ? Après son expérience de dépanneur en équipe nationale, Vercauteren a dit plus d’une fois qu’il était condamné d’avance là-bas car les joueurs savaient qu’il était simplement de passage et ne le prenaient pas tous au sérieux. Dès l’annonce de son départ pour les Emirats, il s’est retrouvé dans la même situation à Genk. Il s’est exprimé sur le sujet, samedi soir :  » J’ai dit à mes joueurs que s’ils ne se sentaient pas capables de gérer sereinement les événements des derniers jours, ils devaient me le dire et laisser leur place à d’autres. A partir du moment où l’agitation des à-côtés devient plus importante que l’objectif sportif, il y a un problème. « 

La direction lui a demandé de rester pour ces deux matches après avoir demandé les avis du reste du staff technique et de quelques cadres de l’équipe. Personne ne voyait d’inconvénient à ce qu’il coache.

L’impact sur le groupe

Vossen affirme que  » si Genk recommence à gagner, on ne parlera bientôt plus de Vercauteren. Il a repris un groupe qui ne savait plus rien faire et en a fait une équipe championne. Maintenant, il part mais la vie continue. Nous avons commencé une super aventure avec lui, nous la poursuivrons sans lui. C’est ce que doivent aussi comprendre les supporters qui n’acceptent pas son départ. « 

Le public a scandé son nom samedi soir, puis il a quitté la zone neutre dès le coup de sifflet final, sans saluer les gens de Genk alors qu’il venait d’y faire sa dernière apparition.  » Je ne voulais pas d’adieux pompeux. Je retiendrai que je quitte ce club sur une bonne note, dans une bonne ambiance. Ça n’a pas toujours été le cas.  » Allusion à son départ chahuté d’Anderlecht, qu’il ne digérera jamais.

Comme Vossen, Elyaniv Barda veut que tout le monde tourne rapidement la page :  » Il ne faut surtout pas que cette affaire divise le noyau « . Thomas Buffel :  » Il y a eu des réactions émotionnelles quand nous avons appris le départ du coach, mais ça n’a finalement pas duré bien longtemps. Nous sommes conscients d’une chose : l’équipe qui fait des miracles depuis un an et demi est toujours là, presque au complet. Et ce groupe est assez adulte pour gérer les événements.  »

Daniel Tözser est fataliste :  » Les footballeurs peuvent faire des transferts inattendus quand une bonne occasion se présente, pourquoi on devrait interdire aux entraîneurs de faire la même chose ? »

Le blocage (imposé par Vercauteren) des transferts sortants

Fatigué des bruits de transfert depuis le début des vacances, Vercauteren s’était fâché et avait décrété un blocage de toutes les négociations jusqu’au lendemain des préliminaires pour la Ligue des Champions. Il voulait tous des joueurs frais dans leur tête et concentrés exclusivement sur Genk. Degraen lance :  » Cette interdiction de partir s’adressait aux joueurs et j’étais bien d’accord avec la décision de Vercauteren. Je ne m’étais jamais imaginé que c’est notre coach qui déciderait de s’en aller. On a toujours le droit de mettre fin à tout moment à n’importe quel contrat, mais là, Frankie nous a pris de vitesse. « 

Vossen, par exemple, était en contact avec la Fiorentina jusqu’au jour où son coach lui a imposé de mettre fin aux discussions. Le buteur n’aurait éventuellement le droit de reprendre les négociations qu’après le verdict des barrages de Ligue des Champions. Vossen :  » Je ne peux pas dire que je me sente trompé par Vercauteren, mais bon… Je suppose que sa décision de partir, par rapport à son ordre d’arrêter nos discussions avec d’autres clubs, provoque des sentiments divers chez certains joueurs. « 

Les limites de l’équipe actuelle

Genk sans Courtois, De Bruyne et Ogunjimi, c’est un peu comme le Standard privé de Steven Defour, Axel Witsel et Eliaquim Mangala : une équipe qui a perdu une partie de son génie. Contre Zulte Waregem, c’était poussif. Vercauteren a avoué que ça avait manqué de qualité, que son équipe ne méritait pas plus qu’un point.

Tözser était diplomate :  » Zulte Waregem va surprendre cette saison. Ils sont venus ici pour jouer un foot positif, je n’ai jamais eu l’impression qu’ils avaient peur de nous sous prétexte qu’ils jouaient dans le stade du champion. Je n’avais pratiquement jamais un mètre de liberté, il y en avait toujours un qui me serrait de près. Je vois rarement ça ici, il n’y avait aucun complexe chez eux. Et de notre côté, ce n’était pas terrible. Contre Haïfa, ce sera du 50/50. « 

L’avenir sportif de Genk

Le mardi 23 août en fin de soirée, on saura si Genk joue ou pas les poules de la Ligue des Champions. Il restera une semaine pour bouger sur le marché des transferts. En cas de qualification, il est probable que tout le monde reste et que le groupe soit renforcé car il est actuellement trop maigre pour bien batailler en championnat et en Coupe d’Europe. Et dans le cas d’une élimination, on ne serait pas surpris qu’il y ait l’un ou l’autre départ. Parce que plusieurs joueurs restent courtisés.

 » Ce serait suicidaire d’aborder la Ligue des Champions avec le noyau actuel « , prévient Tözser.  » Les matches européens en milieu de semaine, toutes les rencontres internationales pour lesquelles des joueurs de Genk sont sélectionnés, le championnat : ce groupe est bien trop court. Les grands clubs ont une trentaine d’hommes capables de monter sur le terrain et d’être performants à tout moment ; nous en sommes loin. J’entends que la direction a plusieurs fers sur le feu, des dossiers prêts à être bouclés très vite si nous nous qualifions. J’espère que c’est le cas. « 

Le Hongrois ne cache pas qu’il craint un exode rapide en cas d’élimination.  » Il ne faut pas cacher la vérité. Un des principaux sujets de conversation dans le vestiaire aujourd’hui, c’est : qui va rester, qui va partir ? La période des transferts est ouverte pour tout le monde jusqu’à la fin du mois. Il faut se préparer à tout. Nous n’étions pas prêts par rapport à un départ de Vercauteren et on voit les dégâts que ça a fait dans nos têtes. Moi, j’ai encore du mal à digérer le choc. « 

Et une heure après le match contre Zulte Waregem, ce Tözser résigné en profitait pour aborder son cas personnel :  » Est-ce que je serai encore ici en septembre ? Je n’en sais rien. Je suis dans ma dernière année de contrat, je pensais depuis longtemps que la direction allait me fixer un rendez-vous mais rien ne bouge. Et tu sais, je suis loin d’être le seul joueur dans ce cas : il y en a d’autres qui ne sont pas certains de faire toute la saison ici. « 

Barda confirme :  » Si je calcule, je vois neuf joueurs convoités par des bons clubs. Alors, tout peut arriver, oui. Quand le coach a l’occasion de multiplier son salaire par cinq ou dix, il s’en va. C’est compréhensible même si le timing n’est vraiment pas idéal. Alors, si un joueur du noyau peut lui aussi gagner subitement beaucoup plus, pourquoi devrait-il avoir des sentiments ? Il me reste deux ans de contrat, mais qu’est-ce que ça veut dire ? « 

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Neuf joueurs sont suivis par des bons clubs. Alors, tout peut arriver avant la fin du mois.  » (Elyaniv Barda)  » Un des principaux sujets de conversation dans le vestiaire, c’est : qui va partir, qui va rester ? » (Daniel Tözser)

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