» La bête à abattre, c’est nous ! »

Le nouveau T1 de Sclessin puise sa vision du football dans un solide vécu. Son expérience après la jeunesse de MPH : le contraste est intéressant…

Le soleil se lève à l’est : Laszlo Bölöni a des racines en Roumanie ainsi qu’en Hongrie et connaît bien ce point cardinal du football européen. L’entraîneur du Standard a su s’en détacher avec des succès et des difficultés ( » A un moment, j’ai été un illégal en France « ) qui ont magnifiquement peaufiné sa personnalité, son approche du jeu et ses idées d’entraîneur.

 » C’est un sacré bosseur « , nous disait Dominique D’Onofrio, le directeur sportif du club, alors que nous venions de quitter le successeur de MPH.  » A peine présenté à la presse, après la signature de son contrat, Bölöni avait déjà tenu à rencontrer notre préparateur physique, Guy Namurois. Le nouveau coach du Standard est un grand professionnel et un gentleman. « . Pierre François, le directeur du Standard, se multipliait d’un dossier à l’autre. Il fallait encore régler, entre autres, le cas du T2 et le nom de Rolao Preto, polyglotte et camarade de route portugais de Bölöni depuis des années, qui tenait le haut du pavé la semaine passée.

Calme, Luciano D’Onofrio était visiblement confiant avant que les joueurs se retrouvent le 29 juin pour reprendre les entraînements et relever deux défis : confirmer leur retour à la une de la D1 et progresser sur la scène européenne avec la volonté de palper les £ufs d’or d’une poule de la Ligue des Champions.

Prendre les rênes d’un club champion, glorifié dans un emballement populaire et médiatique sans égal, n’est-ce pas le plus difficile des défis ?

Laszlo Bölöni : Reprendre une équipe championne, ce n’est pas un cadeau, et c’est même parfois un cadeau empoisonné. Mais je ne le prends pas comme cela. Ce club m’a choisi pour continuer sa progression. J’en suis ravi, évidemment, et je sais que mon vécu, un mélange de moments positifs et parfois moins agréables, constitue un atout dans mon nouveau job. J’ai acquis au fil des années une certaine connaissance qui facilite mon adaptation à d’autres systèmes de jeu, cultures, traditions et habitudes. J’ai roulé ma bosse en Roumanie, en Belgique, en France, au Portugal, aux Emirats : tout cela offre beaucoup de richesses personnelles, c’est utile. Une place s’est libérée au Standard. Je ne sais pas pourquoi et ce n’est pas mon problème. Par contre, je mesure que c’est forcément un magnifique challenge. Vous savez, tout le monde a toujours envie d’être champion, pas que le Standard. En D1 ou en D2, un coach ambitieux veut gagner le championnat. Je l’ai fait à Nancy en L2 puis à la tête du Sporting de Lisbonne.

 » Notre but sera d’améliorer ce qui a été fait « 

C’est ce vécu-là qui vous sera utile au Standard ?

Entre autres. En France, quand un club est champion en L2, cela signifie quelque chose, c’est mis en valeur. Au Portugal, ce fut unique avec le triplé (titre, Coupe, Supercoupe) et je suis heureux d’avoir vécu cela. Je suis dans le même état d’esprit pour mon nouveau challenge. Mais je sais calculer. Au cours de ces 30 dernières années, Anderlecht a empoché 50 % des titres. Le Club Bruges a remporté les trois quarts de la dernière part du gâteau. Le reste est généralement revenu au Standard, à Genk, à Malines, etc.

Ça vous inquiète ?

Non. Tout le monde devine que le progrès passe par le travail. Je connais et j’apprécie la chaleur de ce public de Sclessin, unique en Belgique. On ne fait pas mieux, tout comme on ne trouve pas en Belgique un centre d’entraînement de la qualité de celui du Standard. C’est comparable à ce qui se fait de mieux en France. Mieux que l’Académie Robert Louis-Dreyfus, ce serait même le top du top. Notre but sera d’améliorer ce qui a été fait jusqu’à présent, de décrocher une qualification pour la Ligue des Champions, etc. Si je pouvais aider le club dans cette progression, dépasser la performance de la saison passée ; je serais hyper content. Cela dit, le champion est toujours la bête à abattre. Et c’est deux fois la bête à abattre quand le champion est le Standard.

Avez-vous déjà étudié l’effectif ?

Je le connais, je l’ai vu à l’oeuvre il y a un an et demi. J’avais pris des notes, je me suis renseigné, j’ai des cassettes vidéo. Je sais que le Standard dispose d’une équipe de base de qualité. Pour le noyau au complet, je n’oserais pas dire la même chose. Vu nos ambitions, il faudra acquérir des éléments pour renforcer tout ça en gardant un maximum de la structure actuelle. Mes dirigeants le savent. J’ai des idées et mon rôle s’arrête là : la direction verra si c’est faisable ou pas.

Milan Jovanovic va partir ?

J’ai entendu cela. Mais je ne cite jamais de noms ou de places. Je préfère parler de l’équilibre que tout coach tente d’atteindre dans son équipe. Et chaque joueur doit apporter plus et dépasser le cadre habituel de ses activités sur un terrain.

Etonnant pour un coach qu’on dit assez sévère…

Pas du tout. Un joueur discipliné, ce n’est pas suffisant. Il fait son devoir, mais s’il ne s’en tient qu’à cela et ne sort pas de son rôle, ce footballeur est forcément limité. A ce niveau, son apport n’est alors pas assez rentable. Je donne toujours de la liberté à mes joueurs. Il faut dépasser les exigences de son coach. Un numéro 6 connaît la nature de son travail habituel : balayer devant sa défense, coulisser à gauche et à droite, prendre la place de l’arrière central, apporter son savoir-faire. C’est bien mais insuffisant si le 6 ne met pas de temps en temps le nez à la fenêtre, ne se présente pas dans la zone de vérité adverse pour décocher une frappe, émerger de la tête, créer la surprise. C’est une obligation dans le foot actuel et cela vaut pour tout le monde, pas que pour le numéro 6.

En Belgique, ce numéro 6 s’appelle désormais un box to box comme l’est Marouane Fellaini ?

Je ne parle pas d’individualités,… Je suis ici pour entraîner les joueurs, les protéger face au monde extérieur. Et ce qui se dit dans le vestiaire, c’est de la cuisine interne. Les joueurs exercent un métier très difficile, sont exposés et je dois les défendre ; c’est l’expression de mon respect pour eux. Certains seront heureux ou malheureux, en fonction de leur temps ce jeu, mais je me bats toujours pour le groupe. Il y a du jeune talent ici : la marge de progression de ces joueurs dépendra de leur motivation et de leur travail. Pour aller plus loin, il faut se dépasser tous les jours.

 » Monaco, c’était l’enfer « 

Le jeu de votre Standard ressemblera-t-il à celui de l’équipe nationale de Roumanie, du grand Steaua Bucarest ou du Sporting Portugal de… Cristiano Ronaldo que vous avez lancé ?

Laissez le temps au temps. L’équipe nationale roumaine a toujours été patiente, bien organisée et elle sait attendre son moment pour tenter un coup. Le Steaua était différent et a fait partie de la crème de la crème européenne durant quatre ou cinq ans dans les années 80. Notre arsenal était plus varié, plus dominateur. Au Portugal en 2001, j’ai découvert un jeu formidable, jeune, chaud, technique, emballant. Mais il fallait prendre garde. Sans rappel des consignes, les gars finissaient par jouer pour eux, le public, les médias. Il fallait garder le contrôle pour que leur talent rapporte d’abord au groupe, soit rentable. Je me suis beaucoup amusé avec eux. Dans ma carrière, je n’ai qu’un regret : j’aurais dû terminer mon travail de coach de la Roumanie. Le gros du boulot avait été fait. L’équipe avait été complètement rajeunie. J’ai choisi d’en rester là pour différentes raisons personnelle ou sportives et de répondre à l’appel du Sporting qui est venu un peu tôt. C’était impossible à refuser…

Et Monaco en 2006 ?

J’y ai été heureux 10 minutes.

Pas plus ?

Non…

Là où il y a le ciel, le soleil et la mer ?

Elevé dans un pays longtemps communiste, je m’attendais à découvrir le paradis sur terre. C’était l’enfer. A Rennes, juste avant, c’était une famille, un club dirigé loyalement. Il n’y a pas de secret : un club ne progresse que s’il y a cohésion entre le président, le directeur, le directeur technique et le coach. C’était le cas à Rennes où j’ai entraîné des Frei, Cech, Gourcuff, etc. Après ces années de bonheur, Monaco m’attendait : 11 coaches sur 10 signeraient là les yeux fermés. C’est ce que j’ai fait. Quand je suis arrivé, la porte s’est entrouverte, on a dit : -Tiens, il est là. Puis, on m’a oublié. Je pourrais écrire un roman sur Monaco. Il fallait mentir au Prince Albert II qui ne pouvait pas tout savoir, éviter que le président apprenne ceci ou cela. Quand je voulais avoir un renseignement, certains mettaient 10 jours avant de me retéléphoner. A un moment, un responsable du club me signala en catimini : -J’ai rendez-vous avec Pavel Nedved en pleine mer. Il va signer à Monaco. Oui, il a été blessé mais ça va mieux. Nedved court sur son bateau. Enfin, il fait du home trainer, quoi. De la folie. Moi, je ne pouvais pas tenir le coup dans ces conditions-là. Tous ces incapables ont été défenestrés plus tard, heureusement pour l’AS Monaco. Mais aux yeux du grand public, c’est le coach qui a échoué et payé la note. Personne ne savait ce qui se passait vraiment.

Et les 10 minutes de bonheur à Monaco, c’était quand ?

J’avais prévu une surprise pour ma fille. Je lui avais réservé une place dans l’hélicoptère qui se rend de l’aéroport de Nice à Monaco. A l’arrivée, j’ai vu un immense émerveillement dans ses yeux. Mon Monaco se résume à cela. C’était une erreur de casting.

Avez-vous toujours voulu être entraîneur ?

Non, comme joueur, je n’y avais même jamais pensé. Un footballeur a beaucoup de temps. S’il veut faire autre chose ou étudier, il y a moyen. Oui, même de nos jours, c’est une question de volonté et cela prend un peu plus de temps. J’ai décroché mon diplôme de chirurgien dentiste en huit ans au lieu de cinq. A Orléans, je m’ennuyais et je me suis inscrit à des stages d’entraîneur. De fil en aiguille, j’ai avancé. J’étais en stage quand j’ai appris que la Roumanie changeait de pouvoir. Au lieu de rentrer chez moi, j’ai accepté un poste de T2 à Nancy où je suis resté neuf ans. Je m’y suis occupé longtemps du centre de formation mais à la longue, j’en ai eu assez. C’était intéressant mais je pouvais faire mieux et plus. A mon étonnement, on m’a finalement confié les pros. Nancy a lancé beaucoup de jeunes suite à la limitation du nombre de ses transferts en raison de ses problèmes financiers. Nancy est monté en D1 et doit ses succès à une direction formidable qui a su se battre partout.

 » Steaua, c’était les pros et le Racing Jet, les grands amateurs « 

Si je vous dis Racing Jet, vous me répondez quoi ?

Raymond Goethals, Daniel Renders qui est un ami pour toujours, Josef Barmos, un médecin qui habitait au Rond Point Montgomery, Georg Bognar mon agent, etc. C’était une autre époque. Connaître Goethals, travailler avec lui, c’était un honneur. Le football belge détenait encore une magnifique cote.

Vous avez découvert les distributeurs de billets à Bruxelles mais le club était incapable de vous payer une télé…

J’ai oublié. J’étais venu en Belgique pour autre chose.

Pour la liberté ?

Pour découvrir une autre vie, l’Ouest. Steaua, c’était le professionnalisme et le Racing Jet, le grand amateurisme. Comme footballeur, je me suis souvent demandé ce que je fabriquais là.

De nos jours, avec votre palmarès…

Avec mon palmarès ? Avec le dixième de mon palmarès aujourd’hui, c’est le top en Espagne ou en Italie. Mais je ne nourris aucun regret. J’étais arrivé au c£ur de l’Europe, ma fille allait apprendre une autre langue. Je me suis accroché et je suis resté. D’autres n’ont pas eu cette chance. Je me suis totalement épanoui en tant qu’homme. C’était le plus important. Après cela, je n’avais pas de visa pour aller à Créteil. A Bucarest, les files pour obtenir ce genre de sésame étaient interminables. Des jours et des jours. Bognar a trouvé un chemin pour que j’arrive en France mais j’ai quand même vécu et travaillé comme un illégal durant six mois à Paris. En tout cas, je n’oublierai jamais l’Atomium…

Pourquoi l’Atomium ?

La nuit, quand ce monument était éclairé, je l’ai souvent et longtemps regardé. Pour moi, c’était le symbole de l’Europe. Mes parents l’ont admiré. Magnifique. Quand ma mère est entrée pour la première fois dans un GB, son étonnement fut énorme : elle n’avait jamais vu autant de pommes dans un magasin. Elle croyait que c’était un décor…

par pierre bilic – photos : reporters / gouverneur

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