La bave aux lèvres

Chez les Zèbres, ça pue la revanche.

Gauthier Remacle a des statistiques qui le font grimacer. Quand il quitte le Standard pour Charleroi, en juin 2000, il est un des joueurs sur lesquels le Sporting compte le plus. Il décroche d’ailleurs, directement, un contrat de quatre ans. Sa première saison avec les Zèbres ne se déroule pas trop mal: 25 matches joués et un but marqué. Par contre, sa deuxième campagne n’est pas loin de lui donner la nausée: 17 matches (dont très peu de complets) et un tout petit assist. Insuffisant pour un joueur auquel on prédisait un avenir doré quand il évoluait avec les sélections nationales de jeunes puis chez les Espoirs.

Gaugau n’est pas aveugle, malhonnête ou de mauvaise foi. « Cette deuxième saison à Charleroi n’aurait pas pu se passer plus mal », reconnaît-il. Pour oublier ses malheurs, il est parti se ressourcer sur des plages exotiques pendant une bonne partie de ses congés.

« J’en avais vraiment besoin. Il fallait que j’évacue toute la frustration accumulée pendant cette année noire », explique Gauthier Remacle.. « Je me suis efforcé de penser à un tas d’autres choses qu’au football. Je suis allé en Espagne avec Grégory Dufer et je suis parti au Mexique avec ma soeur. Là-bas, j’ai été frappé par le manque d’enthousiasme des Mexicains pour le foot alors qu’on était en pleine Coupe du Monde. Je suis sorti dans les rues après leur victoire contre la Croatie: j’étais sûr que ce serait une fiesta inoubliable. Au coup de sifflet final, il n’y avait rien. J’ai attendu, certain que les supporters allaient débouler subitement. Mais je n’ai pour ainsi dire rien vu, rien entendu. A peine quelques coups de klaxon. Pas de drapeaux ou de débordements comme on en voit dans la plupart des pays qui ont une tradition de football. Etrange…

Dans mon hôtel, il y avait plein d’Américains. Ceux-là, ce n’est même pas la peine de parler de leur absence d’intérêt pour le foot. Je ne suis même pas sûr qu’ils savaient que leur équipe nationale était au Mondial ».

Comment avez-vous accueilli l’annonce du départ d’Enzo Scifo?

J’ai surtout été surpris. J’étais sûr que je le reverrais à la reprise des entraînements. Avant de nous quitter en fin de saison, il nous avait dit qu’il garderait son job, quoi qu’il arrive. Mais cette année a été tellement difficile, qu’il a finalement cédé. Il est dommage qu’un personnage pareil ait gâché une partie de son image de marque dans cette aventure d’entraîneur. Le groupe le voyait souffrir jour après jour. Il a tout fait pour que ça marche. Il a même essayé d’aborder ses problèmes avec nous. Mais ça n’a pas voulu rouler pour lui.

N’êtes-vous pas inquiet quand vous voyez que Charleroi n’a transféré personnedurant l’été?

Le point positif, c’est qu’il ne faudra pas passer par une phase d’intégration des nouvelles têtes dans le groupe (il rit). Quand un noyau est compétitif, le mieux est de n’y faire que quelques petites retouches, d’année en année. Or, je suis persuadé que le nôtre est compétitif. Evidemment, certains joueurs importants nous ont quittés: Daniel Camus était une vraie personnalité qui portait l’équipe à bout de bras quand ça allait mal, Sergio Rojas savait conserver un ballon devant et revenir donner un coup de main en défense, et Darko Pivaljevic était de la trempe des vrais voleurs de buts. Il faudra compenser ces absences. Mais je pense que la motivation de ceux qui ont très peu joué la saison dernière nous aidera à ramener Charleroi au premier plan. Ronald Foguenne n’a jamais été aussi déterminé. Branko Milovanovic est dans le même cas. Des joueurs pareils ont pas mal de choses à mettre au point, ils ont vraiment envie de prendre leur revanche, de prouver qu’ils ont trop de qualités pour se planter dans ce club. Ils sont conscients que des bonnes places se sont libérées dans l’équipe. Parmi les réservistes de la saison dernière, il y en a qui peuvent contribuer à remettre le Sporting sur les bons rails. Nous ne viserons pas le titre, mais nous pouvons surprendre si tout le monde s’applique et si la mayonnaise prend dès le début du championnat. « Je ne peux plus me permettre une saison pareille »

La direction ne cache pas qu’elle est prête à vendre n’importe quel bon joueur en cours de saison!

C’est la loi du foot. Quand un club reçoit une offre intéressante, il est normal qu’il l’étudie. Je ne suis même pas inquiet. Evidemment, il ne faudrait plus vendre une demi équipe, mais si un autre joueur de base s’en va dans les semaines à venir, voire deux, nous prouverons que nous avons assez de talent pour faire face.

Foguenne et Milovanovic sont motivés comme jamais. Vous aussi, sans doute?

Evidemment, j’ai la rage. La bave aux lèvres. En arrivant à Charleroi, j’étais convaincu que j’avais assez de qualités physiques et mentales pour jouer plus régulièrement qu’au Standard. Je n’étais même pas sur une voie de garage là-bas: je ne jouais pas assez à mon goût, c’est différent. Je n’ai pas changé d’avis entre-temps: je reste persuadé que je peux me faire une place à Charleroi. Je n’ai pas perdu mon football en l’espace de deux ans. Je peux apporter quelque chose à cette équipe. Si je travaille sérieusement, si je suis en pleine possession des mes moyens et si l’entraîneur est honnête, je dois jouer. Quand un coach m’accorde sa confiance, je la lui rends.

Comment avez-vous vécu votre statut de réserviste, la saison dernière?

Très mal. Je pensais jouer beaucoup plus. Malheureusement, Enzo Scifo avait d’autres priorités. Je devais respecter ses choix, même si je ne les trouvais pas toujours très logiques. J’avais l’impression de bien faire mon boulot. Je n’ai jamais levé le pied à l’entraînement. Scifo l’a reconnu implicitement en fin de saison, puisqu’il m’a remis dans l’équipe pour les derniers matches. Il m’a avoué qu’il avait été satisfait de ma réaction, notamment de mes prestations en équipe Réserve, où j’avais tout donné et marqué quelques buts. En fin de championnat, j’ai dépanné en équipe Première comme médian défensif et je crois avoir prouvé que j’avais des qualités pour être titulaire à ce poste-là. Finalement, j’y suis même plus à l’aise que sur le flanc droit: courir, être endurant, faire jouer mon physique, ce sont au bout du compte mes armes principales. J’ai terminé le championnat sur une bonne note, mais ce n’est pas suffisant. Je ne peux plus me permettre une saison comme celle-là.

Vous vous êtes plus d’une fois échauffé en cours de match, avant de revenir vous asseoir sur le banc dès que Scifo avait effectué son troisième remplacement…

Il n’y a rien de plus frustrantquand on est convaincu de tout donner pendant la semaine ! En cours de saison, j’ai envisagé de changer d’air. J’ai fait des tests en Angleterre parce que je voulais jouer chaque semaine. Mais un départ n’est plus d’actualité, aujourd’hui. Je veux percer au Sporting, ça me ferait trop mal d’entendre que Remacle s’est planté ici. Je sens à nouveau qu’on croit en moi et c’est le meilleur stimulant pour un sportif.

Vous ne pouvez pas nier qu’entre Scifo et vous, ce n’était plus le grand amour depuis plusieurs mois…

Je préfère ne pas en parler. Je le respecte trop, que ce soit comme sportif ou en tant qu’homme, pour dire un mot de travers à propos de lui. Il a fait des choix et les a assumés.

Quelle était l’origine de votre différend?

Je n’ai rien à dire sur ce sujet. Je me contenterai d’une explication toute simple: je voulais jouer et Scifo me laissait sur le banc. Notre différend, il était surtout là.

Comment un pro vit-il sa rentrée au vestiaire après un match où on ne lui a pas donné l’occasion de jouer?

C’est difficile à vivre. Une fois rentré à la maison, je trouvais difficilement le sommeil quand j’étais persuadé que j’aurais pu faire aussi bien, voire mieux que les joueurs qui étaient sur le terrain. On se pose forcément des questions quand les efforts consentis à l’entraînement ne payent pas. »Les Belges, les Africains, les hispanophones: le noyau n’était plus soudé du tout »

Qu’avez-vous retenu de votre première rencontre avec Etienne Delangre?

Il nous a directement expliqué qu’il respecterait tous ses joueurs de la même façon, qu’ils soient titulaires ou réservistes. Il n’y aura pas de privilégiés. En retour, il nous demande d’être sérieux sur le terrain et en dehors, d’avoir le même respect avec nos coéquipiers et de former un groupe compact. Il est prêt à punir celui qui ne ferait pas tous les efforts nécessaires pour s’intégrer dans le noyau. C’est une très bonne idée…

Que voulez-vous dire?

Il y a un gros manque à combler à ce niveau-là. L’année dernière, notre noyau n’était pas soudé du tout. Il n’y avait pas une vraie équipe sur le terrain mais un amoncellement d’individualités. Il était fréquent que les joueurs à vocation offensive oublient complètement leurs obligations défensives. C’était une équipe… plic ploc. Il y avait des clans, sur le terrain et en dehors: les Belges, les Africains, les hispanophones,… La notion de respect entre les joueurs avait disparu et on n’acceptait plus les remarques d’un coéquipier. Pourtant, les anciens peuvent apporter énormément aux jeunes, même si ce sont des éléments plus âgés qui ne jouent pas chaque semaine. Je pense par exemple à Ronald Foguenne: il n’était pas titulaire la saison dernière, mais tout ce qu’il a vécu l’autorise à conseiller les gamins. Encore faut-il qu’ils soient réceptifs et ne considèrent pas les remarques constructives comme des attaques personnelles. Tous les jeunes doivent se mettre dans la tête que, si un joueur plus âgé crie sur eux, ce n’est pas dans le but de les assassiner.

Comment expliquez-vous l’apparition de ces clans?

L’obstacle de la langue est plus préjudiciable qu’on ne le croit généralement. Si certains joueurs ne font pas l’effort d’apprendre le français, c’est dangereux pour tout le groupe dès la première série de mauvais résultats. Une fois qu’on perd quelques matches, tout s’effiloche.

Pierre Danvoye

« Enzo avait dit qu’il resterait entraîneur quoi qu’il arrive »

« Charleroi avait une équipe plic ploc… »

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