La bataille de Bruxelles

Analyse de la manière dont Anderlecht, le Standard et le Club Bruges repèrent puis engagent les meilleurs jeunes Bruxellois. Et comment les Mauves se protègent vaille que vaille de l’étranger.

De l’Anderlechtois Cheikhou Kouyaté au Waregemois Steve Colpaert en passant par le Brugeois Vadis Odjidja ou le Lierrois Wesley Sonck, le nombre de footballeurs de D1 ayant transité par un des clubs bruxellois, voire de la banlieue immédiate est impressionnant. Avec plus d’un million d’habitants, soit un dixième de la population totale du royaume, la capitale possède le taux le plus élevé de jeunes talents.

Par le passé, ils convergeaient automatiquement vers le RSCA, le Brussels (ou son prédécesseur, le RWDM) ou des clubs plus modestes (SCUP Jette ou FC Ganshoren). Mais la donne a changé. Conscients de cette réalité, le Club Bruges et le Standard ont entrepris des efforts pour sensibiliser ces jeunes.

Le Club de Bruges puise dans la Nseth Academy

Le Congolais Seth Nkandu a 37 ans. Ex-coach des U12 anderlechtois, il a remis son survêt le 6 juin 2010 afin de créer sa propre école de football, la Nseth Academy. Sur le synthétique du VK Berchem, à l’entrée de la capitale, il y accueille chaque semaine une centaine de jeunes. La majorité d’entre eux n’est pas affiliée à un club. Sa pub, il la doit à deux éléments, déjà casés, qui avaient choisi de faire des heures sup chez lui, Andrea Mbuyi Mutombo et Michy Batshuayi.

 » Il y a un peu plus d’un an, j’ai été approché par l’ancien manager sportif du Club Bruges, Luc Devroe « , dit-il.  » Nous avons conclu un accord de coopération qui est toujours en vigueur aujourd’hui, même si Vincent Mannaert l’a remplacé. En gros, les Bleu et Noir ont la préséance en matière de recrutement. L’été passé, 13 joueurs de 13 à 20 ans sont passés dans leurs rangs. A partir de cette année, des plus jeunes entreront en ligne de compte. Des navettes vont être mises en place de manière à véhiculer les U10 par exemple. Parmi ces talents ne figurent pas seulement des Africains. Il y a aussi de purs Bruxellois. Comme Julien Vercauteren, par exemple, proposé aux Flandriens, mais qui évolue actuellement en Réserve au Lierse. Anderlecht n’est pas très heureux de mon initiative. J’y suis désormais persona non grata, sous prétexte que je bosse pour la concurrence. Je comprends sa déception : pendant des années, il a puisé seul dans cet extraordinaire réservoir grâce à l’un de ses scouts, Albert Martens, qui avait sans conteste le nez creux pour dénicher des talents comme Geoffrey Mujangi Bia ou Hervé Kagé. A présent, il n’est plus seul. C’est la vie.  »

Le Standard collabore avec le Brussels

Entre Liège et Bruxelles, il y a 96 kilomètres mais le Standard vient de frapper fort en concluant un accord de collaboration avec le Brussels de Johan Vermeersch. Pas d’effet d’annonce, rien. Pourtant, l’accord est effectif depuis un mois.  » Il y a un vivier à Bruxelles et le club qui a le plus d’atouts à ce niveau-là, c’est le Brussels « , explique Pierre François, le directeur général du Standard.  » Le club est fort inquiet de voir ses jeunes lui échapper contre son gré. Nous voulons travailler avec les dirigeants du Brussels dans une certaine éthique. Comme je le dis à Vermeersch – Tu vas continuer à te faire piquer tes jeunes mais avec désormais ton consentement.  »

A la base de cet accord, une relation de confiance entre Vermeersch et le président du Standard, Roland Duchâtelet.  » Les départs récents de plusieurs jeunes avant qu’on puisse les mettre sous contrat m’avaient fait réfléchir. Je me suis posé la question de savoir s’il y avait moyen de travailler avec un club qui nous respecterait. Et le Standard nous a convaincus « , explique Vermeersch.

Ce qui l’a surtout convaincu, c’est l’apport financier du club liégeois.  » En plus d’un coup de pouce immédiat, nous allons prendre en compte toutes les charges de formation et nous payerons un montant supplémentaire en fonction de la réussite du jeune qui nous rejoint « , ajoute François.

 » Le coup de pouce immédiat  » s’élève au moins aux 200.000 euros qui ont permis au Brussels de boucler son dossier de licence. Cette somme a prouvé le sérieux de cet accord qui comprend également la fin du dossier Igor de Camargo. Le Standard avait soldé son transfert quelques semaines avant son départ pour Mönchengladbach. Mais Vermeersch a toujours pensé que le club avait clôturé le solde expressément avant le transfert pour éviter de payer sa quote-part au Brussels. Pour repartir sur de bonnes bases, le Standard a accepté de rouvrir le dossier et d’inclure un pourcentage sur le transfert de de Camargo au Borussia Mönchengladbach.

Le rapprochement a également été possible par la présence à la tête de l’Académie Robert Louis-Dreyfus de Christophe Dessy, qui a été coach chez Vermeersch, même si l’accord avait déjà été proposé au club bruxellois avant le retour du technicien au Standard.  » La région de Bruxelles-Capitale est intéressante par sa densité de population et par le nombre important de joueurs issus de l’immigration qui pratiquent le football « , explique Dessy.  » J’ai reçu beaucoup de liberté quand je suis arrivé au Standard et une des premières choses que j’ai décidée fut d’attirer des prospecteurs qui connaissent très bien cette région bruxelloise.  »

Le Brussels, avec ses 800 jeunes, est une cible attirante. Et son centre de formation a largement fait ses preuves ces dernières années ( Benjamin Mokulu, Mbuyi-Mutombo, Arnor Angeli ou Batshuayi). Le Standard aura le premier choix parmi les jeunes du Brussels. Dessy :  » Oui mais in fine, ce sont les parents qui décideront si oui ou non ils veulent que leur enfant finisse sa formation à Liège.  »

Si un jeune plait au Standard, il sera convoqué pour rallier pendant deux ans l’Académie Louis-Dreyfus. Pas question de ne proposer qu’un an afin de respecter les cycles de scolarité qui comptent deux années. Les jeunes ciblés devront avoir 15 ans (ou 14 pour les plus matures).  » Avant, on n’est pas prêt psychologiquement pour s’extraire de la vie familiale, même si le jeune ne sera pas livré à lui-même puisque nous l’encadrerons « , insiste Dessy.  » Il n’y aura pas de quota et nous ne travaillerons qu’avec des jeunes qui ont un double objectif : la scolarité et le parcours sportif. « 

Le Brussels recevra des indemnités en fonction de la réussite du joueur. Tout cela a été fixé noir sur blanc. Soit au bout de ces deux ans de formation, le joueur n’est pas jugé apte à continuer et retourne au Brussels, soit il continue, reçoit un contrat pro (première indemnité au Brussels) et ensuite intègre l’équipe première (deuxième indemnité).  » Mais il n’y a pas que financièrement que nous espérons nous y retrouver « , ajoute Vermeersch.  » Le Standard pourrait très bien nous prêter pour notre équipe A des joueurs qui ne sont pas encore aptes pour celle du Standard ou qui sont surnuméraires. Cela renforcerait notre club et pourrait développer un joueur en manque de temps de jeu. « 

C’est sûr : Vermeersch fait également un pied de nez à son voisin anderlechtois avec lequel il aurait été géographiquement plus facile de travailler :  » Mais j’ai été fortement touché par ce qui s’est passé avec Mohamed Aoulad, parti gratuitement à la trêve à Anderlecht et sans un coup de fil ! »

Le boss bruxellois a également préféré le Standard au projet à grande échelle d’ Aspire, l’académie qatarie qui avait sondé le Brussels avant de jeter son dévolu sur Eupen.  » Tout n’était pas encore clair avec Aspire « , argumente Vermeersch.  » J’ai bien rencontré Jean-Louis Dupont mais j’attendais davantage d’infos. De plus, la formation au Brussels a un côté social, la Ville intervient. Faire de la place aux jeunes Africains fournis par Aspire, devenait politiquement difficile à faire passer.  »

Et de terminer par une tirade à la Vermeersch :  » Dans le football, il y a de l’escroquerie partout. Si on peut éviter des intermédiaires, tout le monde sera gagnant. Je trouve que cet accord avec le Standard repose sur une base correcte et honnête. Ce n’est pas le premier club à me proposer cela mais pour dire oui, cela devait se passer en toute loyauté.  » Le mariage démarre donc sur de bonnes bases.

Anderlecht organise ses Talent Days et contre l’étranger

 » Notre scouting sur la capitale est plus performant encore qu’à l’époque où nos prospecteurs Albert Martens et Eddy Van Dale y écumaient toutes les aires de jeu « , dit JeanKindermans le responsable de l’école des jeunes d’Anderlecht.  » Depuis qu’ Urbain Haesaert est entré en fonction, il y a deux ans, ce sont cinq recruteurs qui sillonnent les clubs et les parcs. Nous n’avons pas peur des autres, car outre le Standard et le Club Bruges, Gand a étendu son rayon d’action sur Bruxelles aussi. Nous continuons à innover. Cette année, par exemple, nous avons organisé pour la première fois des Talent Days. Pas moins de 550 joueurs ont été passés en revue et 48 retenus. Via nos accords avec l’Institut Saint-Nicolas et l’Ecole Léonard De Vinci, nous mettons aussi sur pied des stages, pendant les vacances scolaires, qui nous permettent d’étoffer nos catégories de jeunes. Rares sont les éléments qui échappent à notre coup d’£il. Et s’ils aboutissent ailleurs dans la capitale, ils sont automatiquement repérés lors des matches ou des tournois. C’est ce qui est arrivé avec Ziguy Badibanga notamment, que l’on a transféré de Dieleghem Jette « .

A l’automne 2007, Ariel Jacobs vient de prendre la succession de Frankie Vercauteren : il doit remettre la Première sur les rails et repêcher un certain Odjidja. Le jeune Belgo-Ghanéen, 18 ans à l’époque, est considéré comme l’un des plus grands talents mauves mais sa tête ne revenait pas à l’ancien coach qui le snobait comme pas permis. Jacobs s’acquitte bien de sa tâche. Non seulement le RSCA reprend de la hauteur mais le petit prodige a droit à quelques apparitions avant d’être titularisé contre le Club Bruges. Dans la foulée, il est invité à discuter d’une revalorisation salariale.

Le directeur général Herman Van Holsbeeck, est prêt à une petite folie car Vadis est particulièrement courtisé. Il suggère au président Roger Vanden Stock un contrat de 500.000 euros bruts par an alors que le big boss du Sporting propose 800.000 euros ! Mais il est déjà trop tard : Hambourg, où évolue Vincent Kompany, a fait une offre plus alléchante encore et en janvier 2008, Vadis rejoint son pote au HSV.

Récemment, un cas de figure similaire s’est produit mais avec un autre dénouement. Le talentueux Dennis Praet, arraché à Genk en 2010, vient de parapher un contrat progressif qui devrait bientôt l’amener à cette barre de 800.000 euros. Pisté par de nombreux ténors dont Arsenal et le Real, le Brabançon a préféré rester et ne pas prendre les mêmes risques que Vadis ou Romelu Lukaku. Les jeunes n’ont toutefois pas toujours cette patience. En 2003, le RSCA avait été confronté à une première fuite de talents de gars de moins de 17 ans : Floribert Ngalula cédait à l’appel de Manchester United, tandis que Mikael Yourassowsky et Urko Pardo optaient pour les Boca Juniors et le FC Barcelone !

Werner Deraeve, ancien responsable de l’école des jeunes de Neerpede :  » Il n’était pas possible de mettre tout le monde sous contrat à 16 ans. Et même si ces gars-là sont toujours actifs, je ne crois pas que ce trio se serait inscrit dans la durée chez nous.  »

En revanche, le cas d’un autre élément parti à Man U reste en travers de la gorge au Parc Astrid : celui d’ Adnan Januzaj, l’une des plus belles promesses de Neerpede, qui a signé chez les Red Devils avant ses 16 ans. Chez les Mauves, on espérait que l’exemple de Romelu Lukaku, qui était resté après avoir signé un premier contrat de 500.000 euros, servirait de référence aux autres. Mais les 12.000 euros mensuels proposés au Belgo-Albanais ainsi que la prise en charge des parents par le club mancunien auront pesé plus lourd que toute autre considération.

Après Januzaj, c’est au tour de Musonda Junior (15 ans) d’être la cible d’une véritable chasse à l’homme, même si Anderlecht a engagé son papa après sa carrière active (en qualité de préposé au matériel…). Charly n’est pas bonasse. Puisque son plus jeune fiston avait la possibilité de rallier la fameuse Masia du Barça, il y rendit une visite de courtoisie. Et vu qu’une visite similaire était dans l’air à Arsenal, la direction mauve prit le taureau par les cornes : en plus de l’assurance de bénéficier des services du petit dernier jusqu’en 2018 au moins, les deux autres rejetons Musonda, Lamisha et Tika, ont eux aussi signé un contrat pro au RSCA !

Sans frères à aider dans la vie, M athias Bossaerts (15 ans lui aussi) quittera bien le centre de formation des Mauves en fin de saison à destination de Manchester City. Dans ce dossier, deux personnes ont été tout particulièrement influentes : l’agent du joueur, l’ancien professionnel Dirk De Vriese mais également Kompany, qui a vanté les mérites des Citizens. Une attitude qui ne fait pas que des heureux dans les hautes sphères anderlechtoises, dans la mesure où Vince aurait aussi influé sur le départ d’ Anthony Vanden Borre, à qui il aurait conseillé de ne pas faire de vieux os au Parc Astrid. Dossiers identiques : DavidHenen, repris du Standard l’année passée, mais dans le viseur de Manchester United, et Nabil Jaadi, dont le frère, Reda, est actif chez les Rouches.

 » La lutte est inégale « , observe Van Holsbeeck.  » En Belgique, on ne peut offrir de contrat professionnel avant l’âge de 16 ans. Les clubs anglais en profitent et offrent souvent un package total pour les parents en se permettant des largesses financières. On essaie de raisonner joueurs et parents en arguant qu’il ne faut pas tenter la grande aventure et l’argent trop tôt, vu que les exemples de réussite ne sont pas légion. Le bon sens l’emporte le plus souvent mais parfois l’appel des îles est plus fort que tout.  »

Faible riposte, la direction anderlechtoise a pris la décision, au début de la saison, de ne plus distribuer de feuilles de match lors des rencontres de ses jeunes ! L’initiative a d’ailleurs fait des émules dont le Standard.  » Il n’est pas rare qu’il y ait autant d’agents de joueurs que de parents autour des terrains « , avance Jean Kindermans.  » Chaque semaine, ils jouent des coudes pour obtenir les coordonnées du gamin. Et certains n’hésitent pas à se manifester jusque dans leurs établissements scolaires « .

Le Sporting est toutefois impuissant pour tout ce qui a trait aux équipes nationales de jeunes.  » La plupart des clubs anglais disposent de scouts qui scrutent le continent européen « , observe Harald Svain, l’homme de confiance de Trond Sollied et de bon nombre de joueurs scandinaves.  » Chelsea, par exemple, a pu mettre le grappin sur le jeune Français Gaël Kakuta de Lens ou de l’espoir néerlandais Patrick van Aanholt du PSV. Sans oublier que dès l’âge de 14 ans, Romelu Lukaku était aussi suivi.  »

L’herbe est peut-être plus tentante au Royaume-Uni mais elle n’est pas meilleure. La preuve : Kakuta se refait actuellement une santé sportive à Dijon, tandis que Van Aanholt a été prêté à Vitesse Arnhem. Quant à Lukaku, avec son temps de jeu famélique à Stamford Bridge, il devrait suivre le même exemple.

PAR BRUNO GOVERS ET STÉPHANE VANDEVELDE

 » Le Standard a déjà payé 200.000 euros pour permettre au Brussels de boucler son dossier licence. « 

Vermeersch a préféré le Standard à Aspire.

 » Le Mauve Adnan Januzaj : 12.000 euros par mois, à 16 ans, à Manchester United ! »

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