La barmaid et le ministre

Avant la finale de Juju-Titine à Wimbledon, il y avait eu celle de Clijsters à Roland-Garros. Je l’avais suivie dans un club-house liégeois, où une trentaine de plus tout jeunes comme moi s’évertuaient à disputer des interclubs de plus ou moins vétérans. Ceux d’entre nous qui avaient fini de raquetter en simple n’étaient pas pressés d’entamer leur double, préférant chopiner devant la télé: pour regarder Kim, la Flamande de tous les Wallons, en train d’imposer un train d’enfer à Jennifer. La télé était décentrée dans un coin à gauche du bar, et tous les mecs avaient déplacé leur chaise face à cette télé: de telle sorte que, dans l’axe du bar, le centre du clubouze était désert face à la barmaid. Laquelle était, ma foi, jolie et fort bien faite.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai pas dit que Clijsters ou Capriati étaient ce que les jeunes chébrans d’aujourd’hui appellent des thons. Je ne le dirai pas, et je ne le pense d’ailleurs pas du tout. Mais bon, c’était deux gamines virtuelles qui se disputaient une petite balle jaune, alors que la barmaid était bien réelle à deux pas, avec un t-shirt rose créé par Dieu pour elle: entre les trois, y’avait pas photo même s’il y avait télé. La barmaid était vraiment jolie quoique les mots me manquent pour vous en convaincre, c’est dur à vivre de n’être pas poète comme Frédéric François. Mais surtout, la barmaid était jolie pour PERSONNE, elle trônait dans son bar face à PERSONNE: vu que les 20 ou 25 mâles, comme moi normalement constitués, s’étaient groupés sur le côté comme au cinéma, préférant river les yeux sur Kim et Jennifer bataillant ferme!

Je rivais comme eux mais d’un oeil, hanté par l’idée que nous tous, dans cette buvette, étions peut-être l’image du monde à l’envers, de l’absurdité des pulsions artificielles! Le monde à l’endroit en effet, l’attitude naturelle et saine, écologique (respectueuse de l’environnement!), n’eût-ce pas plutôt été que nous, les mecs, soyions massés devant le bar et sa reine, babas face au spectacle d’elle seule, nous disputant les quelques tabourets pour mieux conter fleurette? Et que seul un obsédé bizarre soit resté devant la télé pour compter les points? Mais ce n’était pas comme ça. Car telle est la Toute-Puissance du sport de compète, capable de nous faire prendre les vessies du supportarisme pour les lanternes du bonheur.

Sérieusement. J’ai beau être heureux pour Kim et Justine, pour l’accomplissement d’elles-mêmes qu’elles atteignent via leur sport, il n’empêche que ce torrent d’enthousiasme autour d’elles est parfois cucul! Que les fanas belges de tennis exhultent par procuration, d’accord, je peux comprendre. Mais que tout un chacun, qui n’en a rien à battre en temps normal du sport féminin, mouille tout à coup d’amour pour deux tenniswomen sous prétexte que ce sont des compatriotes et qu’elles gagnent, ça, ça peut devenir du patriotisme de débile mental! Mais j’dis ça, j’dis rien, le raffût autour de nos deux chéries ne m’empêchera pas de dormir sur mes deux oreilles.

Un qui dort sur les deux siennes, c’est ce verni de Rudy Demotte. Voici quelque temps, le ministre des Sports s’offusquait d’une pratique sportive insuffisante chez ses administrées, lançant en conséquence et dans l’indifférence générale une campagne en faveur du sport féminin, avec même des crédits que personne ne sollicitait! Et voilà que deux locomotives en jupette lui tombent du ciel: si bien que demain, des ribambelles de fillettes vont s’affilier par ci par là, et Rudy pourra croire que c’est grâce à lui!

Alors, pour tempérer son enthousiasme et parce que j’aime charrier, je pose trois questions à Monsieur le Ministre, à propos de toutes ces Belges insuffisamment sportives : lui semblent-elles globalement moins épanouies et moins valeureuses que les mecs, sont-elles statistiquement en moins bonne santé et meurent-elles plus tôt? J’ai peur que la réponse soit trois fois non! Dès lors, est-ce bien judicieux que les gonzesses fassent plus de sport pour mieux nous ressembler? Nous les mecs, sommes-nous si parfaits grâce au sport? Je n’y mettrais pas ma main à couper, ni rien d’autre.

Bernard Jeunejean x

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