La banlieue de l’élite

Comment Michel Renquin, Raphaël Quaranta, Etienne Delangre, Marc Wuyts et Régis Genaux coachent-ils loin de la lumière ?

L’addition, s’il vous plaît. Si on fait le total des matches disputés en D1 belge par Michel Renquin (290), Raphaël Quaranta (428), Etienne Delangre (279), Marc Wuyts (271) et Régis Genaux (155), un obtient un chiffre impressionnant : 1423 présences au plus haut niveau de notre football pour les entraîneurs de Visé, Liège, Verviers, Namur et Seraing. Cela constitue évidemment une richesse pour une D3 B qui vibre, se nourrit de ses richesses et de ses misères, de ses espoirs et de ses désespoirs mais est plus que jamais un formidable terreau. C’est dans ces prairies qu’on a découvert des coquelicots comme François Sterchele (retenu pour la première fois en équipe nationale pour le match au Portugal), N’Diaye Mahamad qui a récemment franchi sans problème l’immense espace séparant les Dogues carolos des Buffalos gantois.  » Il y a du talent en D3… « , ont lancé les cinq coaches d’une même voix.  » Mais nos clubs méritent plus d’estime et d’attention. L’avenir du football belge passe aussi par des séries de D3 intéressantes « .

Chaque entraîneur a évidemment sa propre histoire, son parcours et ses ambitions pour l’avenir. Cette série sera-t-elle leur tremplin afin de rebondir ou de poser les fondations d’une nouvelle carrière ? Leur club actuel n’est-il pas leur visa pour les cimes du football belge. Yves Baré s’était élancé de Promotion avant d’intégrer la D1 avec Seraing en 1982. Avant lui, Robert Waseige avait intégré l’élite avec brio en propulsant Winterslag de la D3 à la D1. Francky Dury mijota dans les séries inférieures puis se forgea un nom et une réputation avec Zulte Waregem. En France, Guy Roux a réalisé ses ambitions en même temps que celle de son club, l’AJ Auxerre. Des exemples à suivre ? Certainement quand on sait combien les places sont chères au plus haut niveau belge.

 » La D3 est un magnifique laboratoire, un banc d’essai « , avance Michel Renquin (51 ans, coach de Visé).  » Elle doit être le grand réservoir de la D2, dernière marche vers l’élite. Le raisonnement vaut, selon moi, tout autant pour les joueurs que pour les entraîneurs « .

Raphaël Quaranta (49 ans) suit tout à fait ce raisonnement :  » La réussite de techniciens comme Marc Brys (Germinal Beerschot) ou Dirk Geeraerd (Roulers) ne m’étonne pas du tout. Je connais un peu le premier et c’est un passionné qui vit intensément pour le football. Il a fourbi ses premières armes dans les séries inférieures. Là, on doit parfois faire face à tout. Et celui qui résiste à ces épreuves peut tenir la distance en D1. José Riga le prouve aussi à sa façon à Mons. Ce n’est pas toujours évident. A l’époque où je coachais Tilleur-Liège, cela frisa la folie. J’ai eu la mafia sicilienne devant moi. J’étais tout : l’entraîneur, le psy, le secrétaire et même la banque alimentaire. Les joueurs étaient payés occasionnellement, n’avaient pas de quoi se loger ou nourrir leur famille. Je ne veux plus vivre ce genre de problèmes. Liège m’a offert un beau projet porté par Jules Dethier et des gens stables. Liège a longtemps été le club errant du football wallon. Nous n’avions pas notre maison. Maintenant, Liège est bien à Ans où nous aurons notre nouveau stade grâce au soutien de Michel Daerden. Le club a retrouvé la tranquillité et un avenir. Le public revient et prouve que le c£ur de ce club qui a tant apporté au football belge bat : moi, cela me touche « .

 » Je fais des sacrifies, c’est un investissement pour l’avenir  »

Quaranta ne se départira jamais de sa volonté et de son optimisme. Il en va de même pour Marc Wuyts (39 ans) qui en cours de saison a pris la succession de Claudy Verlaine à l’Union Namur. Avant cela, il avait notamment bossé à Tournai.  » Ce sont deux clubs et deux univers différents « , affirme le technicien bruxellois.  » Tournai est un club très politisé : c’est un constat, pas du tout une critique. Les pouvoirs locaux et régionaux s’y investissent beaucoup. A Namur, par contre, le président Jean-Claude Baudart est beaucoup plus seul. Il offre toute son énergie, et bien plus que cela, à nos couleurs. Sans lui, ce club ne pourrait pas être aussi ambitieux. C’est une série difficile où le dernier peut battre le premier. Sprimont a la chance du champion. L’Olympic est plus hésitant depuis quelque temps. On fera le point en fin de saison. Mais notre ambition, c’est au moins par une présence dans le tour final. Ce grand rendez-vous de fin de saison est toujours une loterie mais si l’avenir de Namur passe par là, nous serons prêts. Je me consacre entièrement à mon métier. J’avais un magasin d’articles de sports à Anderlecht mais je l’ai remis. Je n’ai pas de temps pour autre chose que le football avec quatre entraînements par semaine, le match de la Première, la Réserve, le scouting de nos adversaires, etc. Un entraîneur de D3 est payé mais cela n’a rien de commun avec les tarifs de l’élite. Je fais des sacrifices, c’est un investissement pour l’avenir. Je dresserai un bilan dans un petit temps pour voir s’il convient de continuer sur ma lancée ou de passer à autre chose « .

Dynamique comme toujours, Régis Genaux (33 ans) a saisi sa chance à deux mains quand la direction du FC Serésien lui proposa de remplacer José Jeunechamps. C’est le benjamin de notre bande des cinq. La saison passée, il s’occupait des jeunes du CS Verviétois. Cette saison, il était un des adjoints d’Etienne Delangre avant d’atterrir au Pairay. En 2005-2006, Genaux a mené les Juniors provinciaux de Verviers vers le titre national. Un bel exploit qui lui a fait grand plaisir.  » Je ne pouvais pas repousser une offre comme celle de Seraing « , raconte Genaux.  » Même s’il a vécu plusieurs vies, a été englobé au Standard, a retrouvé la vie via la RUL, Seraing, c’est Seraing. Il s’est passé des choses formidables dans ce stade. Cette pelouse a été le théâtre d’expression des Edmilson, Wamberto, Olivier Doll ou, avant eux des Nico Claesen, Jules Bocandé, Juan-Carlos Oblitas, Peter Kerremans, etc. J’en parle avec mes joueurs car c’est un héritage dont il faut être fier et qui doit revivre. Le Pairay a été le théâtre de soirées de gala. J’aimerais que le public revienne aussi. Les assistances sont trop maigres. Or, c’est important car c’est la région qui revit. Seraing redevient une rampe de lancement pour les jeunes du coin. Le pays de Liège a toujours été un vivier de promesses : Liège et Seraing l’ont souvent prouvé. L’outil est excellent et Seraing vit une saison d’adaptation à la D3B. Le directeur technique du club n’est autre que Marc Grosjean. Son apport est évidemment très important. C’est lui qui m’a contacté et je lui en serai éternellement reconnaissant. Des anciens ont intégré la direction comme Marinko Rupcic, Albert Piroton, etc. Je ne le vois jamais mais j’apprécie cette mobilisation. C’est une lutte permanente en D3B avec son cortège de derbies, de matches au sommet, etc. Seraing est un club ambitieux. Le futur passera par la D2. Je n’ai pas dit quand mais cela arrivera un jour. La patience est aussi une qualité. Moi-même, je ne veux surtout rien précipiter. J’ai commencé avec des jeunes, je suis désormais en D3 et le reste suivra : j’ai le temps. En plus de ce métier, je me suis un peu lancé dans l’immobilier et je suis consultant pour Belgacom TV « .

 » Pour moi, c’est avant tout du plaisir  »

Les yeux de Michel Renquin (55 ans) pétillent de malice. Sa carte de visite est aussi longue qu’un jour sans pain. Il s’est promené partout après sa brillante carrière de joueur, coacha le FC Servette Genève, les Espoirs suisses, le FC Sion, l’OGC Nice, Mouloudja Alger, Delémont (Suisse), Virton, Bastogne et fut le T2 de Johan Boskamp au Standard. Quand Bos fut écarté au profit de Michel Preud’homme, l’Ardennais se retrouva lui aussi sans boulot et dans l’impossibilité de vivre sa passion au quotidien. Quand Guy Thiry lui proposa de remplacer Jean-Pierre Philippens à Visé, un grand sourire revint sur ses lèvres. Le foot, c’est plus que jamais sa vie. Et, malgré ses états de service, peu lui importe le théâtre : il se donne au stade de la Cité de l’Oie comme s’il s’agissait du Nou Camp.  » Pour moi, c’est avant tout du plaisir « , dit-il.  » Je suis heureux d’être là et je ne conçois pas le travail sans la joie de nous retrouver. L’univers de la D3 est tout à fait passionnant. Mais je me rends compte aussi que rien n’y est facile. Moi, je ne parle pas trop, je préfère les actes et la recherche de solutions essentielles. J’entends être le plus juste possible dans tout ce que j’entreprends. L’ambition était évidemment de nous éloigner au plus vite de la zone dangereuse de notre série. Nous y sommes parvenus. Maintenant, c’est à chacun de continuer à progresser, de prouver en D3B qu’il a la valeur de la D2. S’il y a une déception, elle concerne l’attitude des pontes de l’Union Belge à l’égard de la D3. Tout le monde ne cesse de le dire : la D3 est un formidable vivier. Je ne dis pas que les clubs de l’élite peuvent y réaliser une pêche miraculeuse chaque année mais les petits clubs réalisent un remarquable travail de détection des talents. Quaranta avait percé à Visé avant d’intéresser Liège. Le Standard est venu me chercher à Wibrin, Delangre est un enfant de Martelange, etc. Malgré ces richesses, on ne connaît vraiment que la D1. La D3 est la banlieue de l’élite. C’est loin des sommets et on ne mesure pas les problèmes des clubs de ce niveau. Je ne citerai qu’un exemple : en D3, le coach ne peut retenir que 15 joueurs pour un match. En D1, il y a 18 noms sur la feuille d’arbitrage. Je ne me retrouve dans l’obligation d’écarter trois personnes de plus. C’est démotivant pour ceux qui sont privés de leur grand match du week-end. Certains affirment que cela permet aux clubs de payer 15 primes au lieu de 18 : je n’y crois car il y a toujours une solution pour ces petits problèmes financiers. Je préférerais avoir tout mon groupe autour de moi « .

 » On peut aller au bout de ses idées  »

Les entraîneurs de D3 B sont réservés quant à l’idée d’intégrer les équipes réserves de l’élite dans leur championnat. Selon eux, ce serait un bonus pour les clubs de D1 (leur championnat des Réserves ne ressemble à rien) mais les D3A et B y retrouveraient-elles leur compte ? Il y a du pain sur la planche afin de défendre le projet et de convaincre tout le monde. L’argent est le nerf de la guerre et les cercles de D3B vivent avec des petits budgets tournant autour de 500.000 euros. C’est le cas du CS Verviétois (fondée en 1986, matricule 8, ex-sociétaire de D1, finaliste de la Coupe de Belgique en 1956, battu 2-1 par le Racing Tournai) qui a misé à fond sur les jeunes. Les Lainiers ont un budget de 575.000 euros pour tout le club (jeunes, frais de fonctionnement) et consacrent 180.000 euros à leur équipe fanion. C’est peu mais le budget sera encore revu à la baisse, le public se réduisant comme peau de chagrin. En D3B, à part Liège, la plupart des clubs ont 100 abonnés, accueillent entre 200 et 500 spectateurs dont beaucoup, comme les jeunes du club, ne payent pas. Avec des assemblées aussi maigres, il est difficile de payer les joueurs. En D3B, un joueur confirmé peut gagner un bon 1.000 euros par mois (300 euros de fixe, 200 euros par match). La crise se confirme de jour en jour même si cette série est bien suivie par les médias régionaux.

 » Rien n’est facile mais en D3, on peut aller au bout de ses idées « , commente Delangre (44 ans).  » Moi, contrairement à mes collègues, je ne veux plus jamais entraîner en D1. J’ai assez donné à Charleroi. J’ai compris que des personnes qui n’y connaissent rien en football peuvent vous bloquer tout net. Après, il faut se reconstruire. Si je dois retravailler un jour en D1, ce ne sera pas en Belgique. A Verviers, il y a un message, une philosophie. Tout ou presque passe par les jeunes. Et c’est très bien ainsi. C’est une vision qui me convient. La formation est la seule voie à suivre. Chez nous, les jeunes savent qu’ils auront leur chance. Si les autres clubs de D3B ont trois entraînements par semaines, deux séances de travail nous semblent suffisantes. Le week-end, je constate que notre fraîcheur est souvent un atout important. Je me sens parfaitement bien, heureux et libre à Verviers qui est soutenu par la Ville. En plus de cela, je donne des cours au Foot études du centre scolaire Eddy Merckx à Woluwé-Saint-Pierre « .

par pierre bilic – photos : reporters/alain schroeder

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