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L’usine à fabriquer des stars

Suite à l’effondrement du toit d’une de ses tribunes, l’AZ a dû jouer tous ses matches en déplacement jusqu’à présent. Cela n’empêche pas le club d’Alkmaar d’être le seul à pouvoir rivaliser avec l’Ajax dans la lutte pour le titre. Et avec de nombreux jeunes. Visite au centre de formation du club néerlandais.

« Nous n’achetons pas le succès, nous le créons « , déclarait voici peu Marijn Beuker, responsable du département Prestation & Evolution de l’AZ, dans De Voetbaltrainer, un magazine destiné aux entraîneurs. Cette philosophie est venue par nécessité. Il y a dix ans, après le deuxième titre décroché par le club, la banque de Dirk Scheringa, sponsor, président et propriétaire du club, a fait faillite. L’existence de l’AZ était menacée. C’est la formation des jeunes qui l’a sauvé.

Ici, tout est axé sur la compréhension du jeu plutôt que sur l’exécution d’un schéma tactique imposé par l’entraîneur.  » – Paul Brandenburg, directeur du centre de formation

 » Avant, nous avions beaucoup d’argent « , raconte Paul Brandenburg, le directeur du centre de formation, qui nous reçoit dans son bureau de l’AFAS Trainingscentrum, à Wijdewormer.  » Si un joueur partait, nous en achetions pour ainsi dire trois meilleurs. Quand le club est pratiquement tombé en faillite, nous avons réfléchi tous ensemble et nous nous sommes dit que ça ne pouvait plus jamais arriver. Nous avons misé sur la formation et nous nous sommes fixés un objectif : en 2020, la moitié du noyau de l’équipe première devait être composée de jeunes formés au club. Nous y sommes déjà mais il y a trois ans, nous avons revu nos ambitions à la hausse : ces jeunes devaient avoir une influence directe sur le résultat. Cela voulait dire qu’ils devaient être plus complets et prêts plus rapidement. Comme nous étions déjà au maximum sur le plan de la charge physique et comme notre programme en extérieur était déjà bien rempli, nous avons ajouté des séances de travail en intérieur. De la préparation mentale, par exemple. Nous avons utilisé les périodes de repos pour leur permettre de créer de nouvelles connexions neurologiques, des activités que le cerveau enregistre à long terme. C’est notamment grâce à cela qu’aujourd’hui, cinq à huit titulaires sont des joueurs formés au club.  »

Et ils ont de l’impact sur l’équipe. Le mois dernier, Calvin Stengs (20 ans) et Myron Boadu (18 ans) ont effectué leurs débuts en équipe nationale néerlandaise. Le capitaine, Teun Koopmeiners (21 ans), et Owen Wijndal (20 ans) évoluent pour les Espoirs bataves tandis que que Ferdy Druijf, a inscrit deux buts face au Partizan, permettant ainsi à son équipe d’assurer sa qualification pour les seizièmes de finale de l’Europa League.  » Sans oublier Pantelis Hatzidiakos (22 ans), qui est arrivé chez nous en U14 et est aujourd’hui international grec.  »

Screening poussé

Nous sommes à peine installés que Max Huiberts, le directeur sportif, fait son apparition et nous donne une brochure intitulée :  » Winnen met onze jeugd  » (Gagner avec nos jeunes). On y découvre notamment que, la saison dernière, les joueurs formés au club ont pris part à 49,7 % du temps de jeu. Le chiffre le plus impressionnant, c’est que 42,2 % des U13 sont devenus professionnels.  » Nous sommes fiers de pouvoir offrir cette perspective à nos jeunes « , dit Brandenburg.  » C’est notre ADN et notre ligne de conduite.  »

L'effondrement d'une partie du toit de l'AFAS Stadion a causé des soucis au club batave en ce début de saison.
L’effondrement d’une partie du toit de l’AFAS Stadion a causé des soucis au club batave en ce début de saison.© BELGAIMAGE

Pour lui, tout commence au moment du recrutement.  » Il faut bien faire ses devoirs avant d’engager un joueur.  » À l’AZ, on commence par définir le talent. Brandenburg sort son ordinateur portable.  » Notre formule c’est : talent = capacités X marge de progression X temps « , ajoute-t-il.  » Pour nous, les capacités, c’est la combinaison des possibilités cognitives et physiques ainsi que du tempérament. La capacité cognitive, c’est la faculté d’enregistrer les informations. Le tempérament, c’est la personnalité.  »

À l’AZ, la formation débute en U11 mais on recrute dès les U8.  » Nous avons des écoles de football à cinq endroits de la province de Hollande-Septentrionale : une fois par semaine, nous rassemblons les meilleurs U8, U9, U10 et U11 de la région. Ils s’entraînent avec l’équipement de l’AZ et sous la direction d’un entraîneur du club. Ce jour-là, ce sont des joueurs de l’AZ. Les autres jours, ils s’entraînent avec leur club. Ils ne doivent dès lors pas changer d’école, ils ne perdent pas de temps dans les déplacements, ils ont donc tout le loisir de jouer et de découvrir la vie dans un environnement familier. Mais en suivant ces joueurs pendant trois ans et en les mettant chaque semaine en situation ludique et sans pression, on en sait déjà beaucoup sur leur attitude, leur marge de progression, leur technique, leur potentiel physique et leur intelligence de jeu.  »

Tous les deux mois, on teste également leurs capacités cérébrales par le biais de jeux sur ordinateur. L’AZ travaille en collaboration avec la firme de ressources humaines BrainsFirst et avec l’Université Libre d’Amsterdam.  » Les enfants peuvent jouer de chez eux « , dit Brandenburg.  » On teste leur cerveau sur neuf points : la vitesse de réaction, la vitesse d’assimilation de l’information, la vue d’ensemble, la réflexion, la résistance morale, la capacité à filtrer, à tenir compte des détails, à penser avec un temps d’avance et à contrôler ses impulsions. Pour jouer à un certain niveau, les trois premiers points sont essentiels. Cela nous permet d’avoir une vue sur les capacités de ces enfants. Par la suite, nous faisons un choix et ceux pour qui nous optons ont le temps de s’épanouir.  »

Rêve et sacrifices

L’AZ se distingue aussi des autres clubs par le programme qui lui permet de faire évoluer les joueurs recrutés.  » Nous voulons de fortes personnalités « , dit Brandenburg.  » Des joueurs capables de faire des choix. C’est pourquoi ils n’apprennent pas seulement à jouer au football mais aussi à évoluer sur le plan physique et à faire du sport de haut niveau. Ça veut dire que 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, ils ne doivent penser qu’à une chose : prester, donner le meilleur d’eux-mêmes. Ils doivent savoir comment y arriver aujourd’hui mais aussi demain.  »

En pénétrant au centre d’entraînement, on tombe sur un slogan : The winning tradition. On est ensuite confronté aux succès en coupe, en championnat et en Ligue des Champions.  » C’est le niveau que nous voulons atteindre, nous mettons donc la barre très haut. Nous le disons clairement aux parents dès le départ : Ici, c’est chouette mais aussi très difficile. Celui qui veut réaliser son rêve doit faire des sacrifices. On est tout de même dans une formation de sport de haut niveau. Nous travaillons avec 17 écoles puis il y a le travail effectué au club, qui est tout aussi exigeant.  »

À l’AZ, les enfants apprennent à prendre leurs responsabilités et à être sûrs d’eux. On les met au défi afin de les préparer intellectuellement, physiquement et mentalement, de leur apprendre à survivre et à évoluer.  » Mais le premier entretien de la saison avec le nouvel entraîneur se fait toujours en situation familiale. On n’y parle pas d’évolution ni de prestation. On veut savoir qui est l’enfant, quelles sont ses normes et ses valeurs, ce qu’il trouve important dans la vie, quelles sont ses qualités et ses défauts. À partir des U14, nous utilisons des tests de personnalité afin d’encore mieux comprendre l’enfant, de pouvoir le titiller là où c’est nécessaire et de pouvoir lui offrir un enseignement sur mesure.  »

Calvin Stengs, l'un des produits de l'AZ récemment appelé en équipe nationale néerlandaise.
Calvin Stengs, l’un des produits de l’AZ récemment appelé en équipe nationale néerlandaise.© BELGAIMAGE

Le programme de sport de haut niveau est affiché dans le bureau des entraîneurs. Chaque mois, chaque section reçoit un thème. On peut constater que les U11, U12 et U13, qui font partie de la section Onderbouw (Base), participent à des ateliers sur le sommeil, l’alimentation et la visualisation.  » Nous leur expliquons de façon ludique pourquoi c’est important mais nous leur permettons aussi de voir quels sont les effets sur leur corps. C’est ainsi que nous jetons les bases d’une culture du sport de haut niveau et que nous les préparons à une vie de sportifs de haut niveau. À eux de voir ensuite ce dont ils ont besoin pour donner le meilleur d’eux-mêmes pour prester au mieux et réaliser leur rêve.  »

La saison dernière, à l’AZ, les joueurs formés au club ont pris part à 49,7 % du temps de jeu.

Le discernement plutôt que la tactique

Dans la section des U14 aux U16, on met l’accent sur comment jouer.  » Nous ne croyons pas en la tactique « , dit Brandenburg.  » Nous croyons dans le discernement, la combinaison de la cognition et de l’intelligence de jeu. Ici, tout est axé sur la compréhension du jeu plutôt que sur l’exécution d’un schéma tactique imposé par l’entraîneur. Nous voulons pratiquer un football varié et dynamique. Des intentions et des principes de jeu mais pas quelque chose de figé. Nos joueurs doivent chercher l’espace et les possibilités mais décider ensemble du moment où ils attaquent, par exemple. Nous ne voulons pas d’entraîneurs qui les couvent et pensent à leur place. Par contre, après le match, nous les questionnons intensément. « Tu as fait le bon choix ? Que pouvais-tu faire dans cette situation ? Dans quel domaine dois-tu progresser ? Ce n’est qu’à partir des U17, U19 et Espoirs, dans la dernière phase de formation, que nous leur apprenons à gagner. Là, la tactique est autorisée mais toujours selon nos principes. On parle de détails : comment utiliser nos armes face à celles de l’adversaire et remporter le match ?  »

À l’AZ, les entraînements sont basés sur l’apprentissage implicite : les enfants apprennent à trouver eux-mêmes les solutions, à évaluer les situations, à prendre une décision et à passer à l’action. Brandenburg explique qu’en matière de neurologie, on retient plus facilement les choses qu’on vit que celles dont on parle.  » Comment apprenait-on à jouer au football par le passé ? Dans la rue ou sur un petit terrain. Dans les catégories de base, la première demi-heure de l’entraînement se passe comme dans le jardin. Ils peuvent jouer au foot-volley, au foot-squash et au teqball (sorte de foot-tennis de table, ndlr). Ils peuvent aussi taper contre un mur ou marquer dans un but de handball. On apprend à jouer au football dans un environnement qui incite au défi.  » Afin de développer les capacités d’adaptation, les jeunes de l’AZ s’entraînent sur des surfaces et des superficies différentes. Les marques de ballons changent régulièrement aussi. À l’AFAS Trainingcentrum, on trouve des terrains en herbe, synthétiques, asphaltés et en sable. Il y a même un terrain en mauvais état.  » Nous tentons toujours d’imaginer des formes d’entraînements qui nous permettent d’insérer un maximum de nos principes de jeu. Quand un enfant fait quelque chose spontanément, il le retient beaucoup plus facilement, surtout dans les situations de stress. C’est exactement ce que nous voulons : former des enfants capables de bien gérer les situations de stress. C’est pour cela que nous les sortons de leur zone de confort, jusqu’à ce qu’ils se sentent à l’aise. Puis nous passons à autre chose. L’objectif est de mettre en place un maximum de nouvelles connexions neurologiques.  »

Dans la salle des ordinateurs, un jeune regarde des images d’un match. À ses côtés, des lunettes de réalité augmentée.  » Nous les avons transformées en fonction de notre philosophie « , dit Brandenburg.  » Nous pouvons mettre un joueur en situation de match ou d’entraînement selon différents angles et l’interroger ou lui demander d’en parler avec les autres joueurs concernés.  » L’AZ travaille aussi depuis trois ans avec Voetbal IntellyGym, un logiciel qui permet de travailler la cognition footballistique.  » Et nous avons demandé à une firme israélienne qui fait des simulations pour les pilotes de chasse de développer un jeu pour ordinateur qui oblige à être attentif et à réfléchir afin d’évaluer ce qui va se passer. Au début, j’étais sceptique mais après un test sur neuf mois, on s’est aperçu que les joueurs avaient beaucoup progressé sur le terrain. Les jeunes, jusqu’aux U16, y jouent désormais deux fois une demi-heure par semaine à différents niveaux.  »

L'entraîneur Arne Slot s'inscrit dans la philosophie du club et est prêt à travailler avec des jeunes issus du centre de formation.
L’entraîneur Arne Slot s’inscrit dans la philosophie du club et est prêt à travailler avec des jeunes issus du centre de formation.© BELGAIMAGE

Se donner corps et âme

La toute dernière étape de la formation des jeunes, c’est Jong AZ qui, depuis 2017, évolue en D2 néerlandaise.  » C’est très important « , dit Brandenburg.  » Les jeunes y sont confrontés à des adultes, à un public, aux médias, à des équipes sous pression. C’est quelque chose qu’on ne peut pas simuler à l’entraînement. Quand on veut préparer des jeunes, on doit aussi les confronter à la réalité. C’est la dernière étape avant la D1.  »

En championnat des Pays-Bas, l’AZ occupe la deuxième place, derrière l’Ajax. En Europa League, il est déjà qualifié pour la phase à élimination directe.  » Parvenir à cela avec autant de jeunes, ça booste tout le club « , dit Brandenburg.  » Quand on sait que nous avons livré tous nos matches en déplacement cette saison, c’est impressionnant.  » C’est, en bonne partie, le résultat de la formation.  » Nos joueurs doivent vouloir tout gagner. Nos entraîneurs aussi mais pas à n’importe quel prix : ils doivent tenir compte de l’âge biologique du joueur et de tout ce que je viens de vous dire. Mais nous cherchons des joueurs capables de se donner corps et âme, de donner le meilleur d’eux-mêmes. Nous avons remporté 75 % des matches face à des grands clubs. C’est une nouvelle étape dans notre évolution.  »

Chaque samedi, Max Huiberts, le directeur technique, va voir des matches de jeunes. Il connaît très bien tous les joueurs du club. Il a confié le poste d’entraîneur à Arne Slot, qui s’inscrit dans la philosophie du club et est prêt à travailler avec des jeunes issus du centre de formation. Des joueurs qui, souvent, ont de la personnalité. C’est ainsi que les capitaines des équipes nationales espoirs, U19 et U18 ont tous été formés à AZ. Le capitaine de l’équipe première, Teun Koopmeiners, n’a que 21 ans. La saison dernière, c’est Guus Til (21 ans) qui portait le brassard. Aujourd’hui, il évolue au Spartak Moscou.

À la fin de la visite, en pénétrant dans le couloir, on tombe sur la photo d’un jeune où il est écrit  » Joueur du Mois  » .  » À partir des U16, le Joueur du Mois a le droit de passer une journée avec l’équipe première « , explique Brandenburg.  » Il s’entraîne et mange avec les joueurs. S’il est plus jeune, il a le droit de passer trois-quarts d’heure avec un joueur, en compagnie de ses parents. Il arrive parfois que le joueur de l’équipe première nous demande le numéro du jeune en question et lui envoie un message le week-end suivant pour voir comment s’est passé son match. Du coup, ils se sentent encore plus impliqués.  » Chapeau, l’AZ.

Formé à l'AZ, Guus Til a été vendu en août dernier pour 18 millions d'euros au Spartak Moscou.
Formé à l’AZ, Guus Til a été vendu en août dernier pour 18 millions d’euros au Spartak Moscou.© BELGAIMAGE

 » La fédération doit protéger davantage les clubs formateurs  »

Le budget annuel du centre de formation de l’AZ est de moins de 3 millions d’euros.  » 2,8 à 2,9 millions, contrats des U19 et des Espoirs compris « , dit Paul Brandenburg, le directeur. C’est minime en comparaison avec ce que la vente d’un bon joueur rapporte. C’est ainsi qu’en août dernier, Guus Til (21 ans) a été vendu au Spartak Moscou pour 18 millions d’euros. Une partie de la vente des joueurs est réinvestie dans l’aménagement du centre d’entraînement. Cette année, on a ainsi construit une salle de fitness et un hall. Bientôt, une salle d’études et trente chambres individuelles verront le jour.

Ça marche mais le danger, c’est que l’AZ risque de voir partir ses joueurs avant d’arriver à maturité.  » La saison dernière, deux U17 ont rejoint l’Ajax « , dit Brandenburg.  » Chaque année, on essaye de nous piquer des joueurs. Heureusement, la majorité reste chez nous car ils savent qu’ils ont des perspectives.  »

Max Huiberts, le directeur sportif, pense qu’il faut protéger davantage les clubs formateurs.  » Beaucoup de clubs sont bien plus riches que nous et s’ils nous prennent nos meilleurs jeunes en trois ou quatre ans, pourquoi continuerions-nous à investir dans la formation ? Je pense qu’il est important pour le football néerlandais que nous puissions continuer à former des jeunes. La fédération doit nous soutenir.  » Cette saison, six clubs néerlandais ont conclu un gentlemen’s agreement par lequel ils s’engagent à ne plus se prendre de joueurs.  » Nous verrons si chacun s’y tient mais c’est la fédération qui devrait réglementer tout cela.  » Pour Huiberts, il y va également du niveau des championnats de jeunes.  » Comment peut-il y a voir de la rivalité si deux clubs prennent ce qui se fait de meilleur et appauvrissent les autres ?  »

 » Il y a peu, la fédération a vérifié d’où venaient les internationaux U17 « , dit Brandenburg.  » Les nôtres viennent de clubs amateurs tandis que ceux de l’Ajax, du PSV et de Feyenoord ont été formés dans d’autres clubs pros. Cela signifie que nous sommes capables d’amener des joueurs amateurs en équipe nationale.  »

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