L’UNION SACRÉE

Club mythique du siècle passé, l’Union est redevenue à la mode et ses fidèles sont de plus en plus nombreux. Plongée au coeur du Parc Duden entre zwanze bruxelloise, bobos barbus, Eurocrates, objectifs de D1 et atmosphère de Provinciale.

L’Union se porte bien, merci. Promus en D2 cette saison, après 7 années consécutives en D3, les hommes de Marc Grosjean font mieux que s’y défendre. Alors que le championnat fait relâche pour les fêtes, ils sont toujours en bonne position pour accrocher ce fameux Top 8, synonyme de maintien suite à la réforme à venir. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, le matricule 10 a bien failli basculer en Promotion : en 2013, les Unionistes n’ont sauvé leur peau qu’en raison de la faillite du Beerschot.

Si, dans l’inconscient collectif, le club saint-gillois évoque toujours la glorieuse Union 60 et les 11 titres de champions glanés au début du XXe siècle, le club n’est pour autant pas resté bloqué dans le passé.  » En venant la première fois au Parc Duden, les gens s’attendent probablement à trouver des anciens supporters, des pensionnés, des personnes âgées qui vivent dans le souvenir « , reconnaît Fabrizio, la cinquantaine et 25 ans de tribunes unionistes au compteur.  » En fait, le public a changé, il s’est rajeuni énormément. Il y a eu une vraie transformation qui s’est opérée de manière évidente sur les dix dernières années.  »

CONVIVIALITÉ ET ANCRAGE BRUXELLOIS

Venus s’installer à Bruxelles pour leurs études, John et Pat, la petite trentaine, n’ont plus quitté la capitale et font partie de cette nouvelle génération de supporters.  » Je suis allé au stade pour la première fois via des amis bruxellois il y a 5-6 ans et j’ai directement accroché « , se souvient John.  » Aujourd’hui, on est abonné et on fait quelques déplacements sur la saison « , embraye Pat.  » Ce qui me plaît, c’est le côté convivial. Que ce soit en tribune ou au Club House, je retrouve l’atmosphère des petits clubs de la région où j’ai grandi « .  » C’est vrai qu’il y a un côté très inclusif « , poursuit John.  » C’est en quelque sorte le plus amateur des clubs pros « . Ou le plus pro des clubs amateurs ?

 » Historiquement, l’Union a raté le tournant du professionnalisme, à la fin des années 60 « , avance Fabrizio.  » Je suis arrivé au club au début des années 90 avec des amis. On fréquentait les mêmes cafés, on aimait la même musique, on partageait les mêmes approches de la vie, de ce que le football devait être. Ça coïncide avec l’avènement du foot business, façonné par la télé, la loi Bosman, l’apparition de la Premier League. Ce n’est pas un hasard : on venait chercher quelque chose qu’on ne trouvait plus ailleurs. Aujourd’hui encore, je pense qu’on retrouve le même phénomène.  »

Arrivé à l’Union en 2012, le médian italien Ignazio Cocchiere est rapidement devenu l’un des chouchous du public de la Butte et ne peut qu’acquiescer lorsqu’on évoque la convivialité qui règne au Parc Duden :  » Pour moi, les Unionistes sont vraiment uniques. Ils représentent les vraies valeurs du foot. Ils ont des principes, des traditions. Qu’on gagne ou qu’on perde, ils sont toujours là. Quand je suis arrivé à Bruxelles, j’étais tout seul, je ne connaissais personne et ils m’ont directement adopté. C’est comme une famille pour moi.  »

La famille, c’est ce qui a mené Christophe, la quarantaine, au club saint-gillois :  » J’habitais Forest et mon père m’a fait découvrir le foot. Je viens depuis la saison 78-79. Aujourd’hui encore, les matches sont l’occasion de passer un bon moment avec lui puisqu’on ne se voit pas très souvent « . Pour lui, l’Union est également une question d’identité :  » Il suffit d’être attentif aux réflexions dans les tribunes, aux chants humoristiques. C’est la zwanze, ça fait partie de l’identité bruxelloise. C’est cette identité qui manque à la plupart des clubs bruxellois qui sont fusionnés, coalisés, qui ont perdu leur âme. Et ce n’est pas non plus le club des VRP du Pajottenland comme à Anderlecht. Ça reste quelque chose où tout un chacun peut se retrouver. C’est aussi très cosmopolite, à l’image de Bruxelles.  » Abonné au Parc Duden, Manu pointe une autre spécificité :  » J’ai joué chez les jeunes à l’Union avec un tas de gars du coin que je retrouve régulièrement dans les tribunes. On reste attaché.  »

 » C’est évident qu’il y a un lien direct avec le territoire « , reprend Fabrizio.  » Ce n’est pas uniquement localiste mais il y a un ancrage très fort. C’est un stade citadin, pas un stade en bord d’autoroute, c’est un endroit de vie. Il y a une affirmation d’identité assez forte qui est liée à Saint-Gilles, à son état d’esprit. L’Union c’est Bruxelles et particulièrement ce côté-ci du canal. C’est notre territoire.  »

 » Quand tu vois le Molenbeek qui est en train de renaître, c’est un peu la même chose « , relance Christophe.  » C’est vrai « , poursuit Fabrizio.  » J’ai plein d’amis molenbeekois, et c’est évident que si tu es de Molenbeek tu n’es pas de l’Union. Ce n’est pas que l’un est mieux que l’autre mais c’est très différent. Il y a la même passion, la même ferveur par rapport au club, au football, mais ce sont deux couleurs très différentes. Il y a des qualités qui sont propres au fait de venir à l’Union et dans ces qualités, il y a tout un tas de choses qui jouent.  »

RENDEZ-VOUS GALANT ET LOISIR CULTUREL

Abonné à l’Union depuis trois ans, Johnny Merguez illustre les propos de Fabrizio :  » A la base, je supporte Anderlecht. Je suis engagé politiquement et je défends certaines valeurs de gauche, donc ce n’était pas évident pour moi d’aller applaudir des millionnaires. A l’Union, je me sens bien. Le fait de supporter l’Union, ce n’est pas seulement un choix footballistique : l’histoire du club joue et puis, bien sûr, le fait que les Union Bhoys soient antifascistes. Ça me permet de me sentir moins en décalage.  »

 » Ça compte d’autant plus quand tu vois l’étude parue récemment où 20 % des Flamands interrogés estiment que le côté multiculturel des Diables Rouges n’est pas un bon exemple pour la jeunesse « , poursuit Christophe.  » Ici des cris de singes, je pense que je n’en ai plus entendu depuis 85 ! Le premier qui oserait encore faire ça serait immolé dans la seconde et c’est très bien « .

 » Une autre chose que j’apprécie particulièrement c’est le fait de chanter pour remercier les supporters adverses, même si c’est assez nouveau « , reprend Johnny.  » Et puis, tu n’entends jamais de remarques sexistes ou homophobes comme c’est le cas dans de nombreux stades. J’ai même déjà eu un premier rendez-vous galant avec une fille à un match de l’Union parce que j’étais certain que ça allait lui plaire. C’est d’ailleurs une des premières choses qui m’a marqué à mes débuts, le fait qu’il y ait pas mal de femmes « .

 » Un dimanche après-midi quand il fait beau et qu’il y a 3-4000 personnes, c’est vrai qu’il y a beaucoup de filles. Et des jolies en plus ! « , confirme Christophe.  » Si on arrive même à avoir de chouettes gonzesses, ça veut dire que c’est convivial, que les gens viennent pour l’ambiance football mais aussi pour se retrouver pour boire un verre comme s’ils allaient au Parvis de Saint-Gilles.  »

 » Quand je dis à ma copine que je ne serai pas là le dimanche après-midi parce que je vais voir l’Union, ça passe beaucoup mieux que si je lui annonce que je vais voir un match ailleurs « , garantit John.  » Elle comprend bien que c’est plus que du football. C’est quasiment un loisir culturel.  »

Un loisir culturel que Johnny Merguez prend plaisir à faire découvrir à ses camarades :  » J’ai déjà emmené une bonne dizaine de personnes différentes à l’Union. Des gens qui ne sont pas forcément fans de foot à la base. Au début, ils goûtent plus l’atmosphère des tribunes que ce qu’il se passe sur le terrain, qui est secondaire dans un premier temps. Mais la plupart reviennent et se prennent vite au jeu « .  » On ne va pas au football, on va à l’Union ! « , emboîte Christophe.

 » Si les gens reviennent, c’est qu’il y a plus que du foot « , acquiesce Fabrizio.  » Tu peux aller voir un match mais ne plus revenir. Bien sûr, la montée en D2 a attiré du monde mais si ce n’étaient que les résultats sportifs qui jouaient, il n’y aurait pas ce renouvellement. Comme je dis parfois, ‘si les gens veulent supporter un club qui est champion de Belgique une année sur deux, il y a un autre parc à Bruxelles où on joue au football !‘  »

Si le public du stade Joseph Marien reste principalement francophone, il est de plus en plus fréquent d’y entendre parler néerlandais et même anglais. Et pas seulement de la bouche des groundhoppers attirés par le charme désuet du stade. En plus de son statut de footballeur à l’Union, Ignazio Cocchiere travaille comme attaché parlementaire à l’Union européenne :  » L’Europe a Bruxelles, c’est un peu une ville dans la ville. Je sais qu’il y a pas mal d’Eurocrates qui viennent assister aux matches. Ce n’est pas lié à moi parce que je ne fais pas de pub. Si tu es fan de foot, que tu sois Italien, Français, Danois ou peu importe, tu es forcément agréablement surpris par l’atmosphère. Tu te sens un peu comme à la maison « .

BOBOS ET TOURNANT DU PROFESSIONALISME

Si les Eurocrates sont présents à la Butte, ils sont cependant plus discrets qu’une autre catégorie de supporters. Pantalons retroussés, barbe imposante, petites lunettes stylées ou bonnet délicatement posé sur le crâne, le club saint-gillois compte également son lot de hipsters. De quoi renforcer l’idée que l’Union serait un club de bobos ?

 » Oui, c’est devenu d’une certaine manière un club de bobos parce que tu es dans une commune qui est une commune de bobos « , reconnaît Christophe.  » Et c’est bien. Parce que, il n’y a pas si longtemps, ces bobos, tu ne les voyais pas. Ça fait partie de l’évolution de la région bruxelloise. Il y a un renouveau. Il y a plein de jeunes, beaucoup de Français qui s’installent. Il y a une gentrification du football comme il y a une gentrification de la ville, c’est logique. Soit tu restes à la marge de ça en n’essayant pas d’attirer ces gens-là, soit tu essayes de les faire venir. Moi je trouve que c’est très intelligent d’essayer de les inclure dans le renouveau du club parce qu’ils ne peuvent faire que des émules.  »

 » C’est vrai que cela représente une partie des nouveaux supporters mais ce n’est pas d’aujourd’hui : l’Union a toujours attiré les artistes, les intellectuels « , nuance Fabrizio.

Si tout semble rose à Saint-Gilles, le club va toutefois devoir faire face à un sacré défi dans les prochains mois. En février, le club va devoir introduire sa demande de licence et les futurs clubs de D1B devront répondre à des normes strictes. Si, sur le plan financier, le président allemand Jürgen Baatzsch ne se fait pas de souci, la question du stade est problématique. Le Parc Duden n’est pas de première fraîcheur et, surtout, il ne comporte pas les 5000 places assises nécessaires. Un déménagement est donc plus que probable, sans doute au Stade Roi Baudouin, durant le temps des travaux. Une perspective qui ne plaît guère.  » 4000 peïs dans un stade de 50 000 places, ça fait tache « , analyse Sadin.  » Et si on va au Parc Astrid, ce sera la même chose. Ça ressemblera aux matches du Cercle. Si ce n’est que pour quelques mois, ça va mais une demi-saison ou une saison entière ce sera problématique au niveau de l’ambiance. Et puis on n’aura plus les troisièmes mi-temps au Club House « .

 » Je comprends qu’il faille des rénovations, notamment en termes de sécurité « , dit Johnny.  » Mais j’espère que le stade gardera son charme. C’est de lui que je suis tombé amoureux avant le club. Sans oublier le Club House qui transpire l’histoire et la façade classée « .  » On en saura plus bientôt « , conclut Fabrizio.  » On a réussi ce changement générationnel, il faut maintenant réussir le tournant du professionnalisme. L’objectif avoué est la D1 et même les supporters les plus sceptiques en ont envie. Mais il ne faut pas que ça se fasse au détriment de l’atmosphère, de l’identité, de l’âme du club. C’est un pari très important, on ne doit pas le louper.  »

PAR JULES MONNIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Le premier qui oserait faire un cri de singe serait immolé dans la seconde et c’est très bien.  » CHRISTOPHE, SUPPORTER DE PÈRE EN FILS

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