L’ULTIME DÉCLARATION D’AMOUR

Jürgen Klopp a pris les devants. Après sept ans au Borussia Dortmund, il estime le temps du changement venu. Le départ d’un coach a rarement soulevé de telles émotions. On aurait dit que toute la Ruhr restait orpheline.

On ne peut vraiment pas parler de rupture entre Dortmund et Jürgen Klopp. Le CEO Hans-Joachim Watzke l’a souvent dit et répété : même quand le Borussia a chuté à l’avant-dernière place du classement de la Bundesliga, aux prémices de la trêve hivernale, le club n’a jamais douté de son entraîneur. Car c’est Klopp et nul autre qui symbolisait les succès répétés des Borussen ces dernières années. Si quelqu’un pouvait le limoger, ce ne pouvait être que lui-même.

L’excentrique coach a tout essayé, cette saison, pour extirper son équipe de l’impasse. Il n’a pas lutté uniquement contre la relégation mais surtout contre le moral de ses joueurs. Un moment donné, l’homme a surpris en changeant de lunettes : un modèle rétro noir. Il a ironisé en disant qu’il allait désormais mieux discerner les problèmes. Mais il ressemblait plus à un professeur qui ne parvient plus à faire comprendre sa leçon.

Jürgen Klopp est un motivateur mais aussi un travailleur acharné et un froid analyste. Jamais son professionnalisme n’a été l’objet de critiques. Dans les pires moments de la saison, il a reçu un sms d’encouragement d’Alex Ferguson, le manager emblématique de Manchester United, qui lui disait que lui, Klopp, avait eu un impact sur la tactique européenne et que le classement de son équipe n’y changeait rien.

Mais quand les techniques de motivation ne fonctionnent plus, comme il en allait cette saison, c’est qu’il y a manifestement un problème. Les joueurs n’étaient plus pendus aux lèvres de leur mentor, surtout lors de ce premier tour catastrophique. Les supporters ont, à l’époque, pris la défense de leur entraîneur, toujours aussi populaire et ont pointé les joueurs du doigt. Les réseaux sociaux ont débordé de critiques, mêmes d’injures grossières, inédites dans une ville et une région qui vivent au rythme des Jaune et Noir. Mais ça en dit long sur le statut de Klopp : c’est tout juste s’il n’avait pas été béatifié.

L’élimination européenne, un tournant

Jürgen Klopp a désespérément cherché les causes de cet échec. Il y a eu les multiples blessures qui ont compliqué la formation d’automatismes mais d’un autre côté, le Borussia Dortmund n’a jamais manqué de coeur à l’ouvrage. De tous les clubs de Bundesliga, ses joueurs sont les plus travailleurs : d’après les calculs de la société Opta, ils parcourent 120,3 km par match. Au cours du présent exercice, ils ont même piqué, en moyenne, 253 sprints par rencontre. Plus que la saison précédente.

Cela peut sembler paradoxal. Mais on a avancé qu’un des problèmes de Klopp, c’est qu’il ne voulait que des joueurs dotés d’un bon caractère. Dociles, quoi. Dans les moments difficiles, ça se paie. L’équipe a subi trop aisément les événements, elle n’a pas été suffisamment acharnée ni motivée. Le Borussia courait mais pas en équipe. C’est une fameuse différence avec d’autres équipes, moins talentueuses, qui luttent pour le maintien.

Pourtant, un moment donné, on a cru qu’un revirement s’amorçait. Peu après le début du second tour, le Borussia s’est ressaisi et a entamé une remontée qui pouvait même lui permettre de se qualifier pour l’Europe. Cette renaissance s’accompagnait toutefois d’un autre aspect, moins reluisant : on ne discernait plus grand-chose du football champagne des grands jours. Vu ce renouveau, la direction s’était flattée de n’avoir jamais songé à remplacer Klopp. Elle a parlé de continuité, de stabilité, les pierres angulaires d’une bonne gestion.

Mais ces dernières semaines, le moteur a encore eu des ratés. Après l’élimination du club en Ligue des Champions, par la Juventus, le 18 mars, Klopp a été envahi par les premiers doutes : devait-il vraiment honorer son contrat, valable jusqu’en 2018 ? Il ne pouvait plus dire, eu égard aux événements, qu’il était l’entraîneur parfait pour le Borussia. Ce sentiment ne l’a plus quitté.

Jürgen Klopp ne voulait pas entraver le développement du club. Il s’est dit qu’un nouveau départ était possible avec une nouvelle équipe mais également avec un nouvel entraîneur, une solution moins coûteuse et finalement meilleure. Ce n’est pas que le Borussia Dortmund manque d’argent : le club n’a pas de dettes et il a 80 millions d’euros sur son compte à vue.

Des fissures entre le coach et les joueurs

Il y a dix jours, après la raclée 3-1 essuyée au Borussia Mönchengladbach, son voisin et rival, les premières fissures sont apparues dans la relation entre Jürgen Klopp et son noyau. A huit minutes du terme, Klopp et le médian Sebastian Kehl se sont violemment disputés sur la ligne de touche. Gesticulant tous les deux, ils se sont livré une véritable bagarre verbale. Ils écumaient. Dans le vestiaire, Klopp s’en est pris durement à ses joueurs. Il a fustigé leur manque de concentration. A trois reprises cette saison, le Borussia a encaissé un but à la première minute. Un record mondial absolu, comme l’a déclaré cyniquement le directeur sportif Michael Zorc.

L’équipe a encaissé onze buts cette saison à cause de graves erreurs individuelles. On a reproché à Klopp de verser dans le monologue, face à ses joueurs, abandonnant le dialogue auquel il était accoutumé. Les footballeurs ont fait comprendre que les directives de Klopp ne fonctionnaient plus et que, pire, ses gesticulations parfois théâtrales les énervaient.

Il va falloir s’habituer à un Borussia Dortmund sans Klopp. A commencer par la presse, qui rencontrait en toutes circonstances un entraîneur affable, parfois souriant, parfois ironique. Klopp a mué le Borussia Dortmund en un géant, sportivement et économiquement. Il a développé un football offensif, teinté de romantisme. Il électrisait joueurs et supporters. Revers de la médaille, un moment donné, Klopp est devenu plus important que ses joueurs, plus important que le club et sans doute que lui-même. L’entraîneur de 47 ans avait acquis un tel statut qu’on attendait de lui qu’il transforme de l’eau en vin.

Malgré tout, la conférence de presse de mercredi dernier a constitué une surprise totale. Klopp était ému et Hans-Joachim Watzke luttait visiblement contre les larmes. Généralement, quand on remercie un entraîneur, on a le visage fermé et on réserve ses mimiques joyeuses pour la présentation de son successeur. Là, on se serait cru à un enterrement. L’attaché de presse a dit ensuite que c’était un jour noir dans l’histoire du Borussia Dortmund. Quelques journalistes ont même eu une boule dans la gorge. On aurait vraiment dit que quelqu’un était mort. Nul n’a demandé si la décision de Jürgen Klopp libérait le club.

Une année sabbatique ou la Premier League ?

Jürgen Klopp n’avait pas le choix, en tout cas. Durant la conférence de presse, qui a été un des moments les plus émouvants de l’histoire de la Bundesliga, l’entraîneur a encore insisté sur le besoin de renouvellement, un renouvellement qu’il avait initié en 2008 quand il avait repris les rênes de l’équipe. Klopp considère avoir fait une ultime déclaration d’amour au Borussia en lui annonçant son départ.

Il a agi pour le bien du club. Il s’est montré soulagé d’avoir pris cette décision. Il ne jugeait pas impossible que cette décision ait un effet libérateur sur l’équipe, bien que sa décision n’ait rien à voir avec la récession sportive. Etrange déclaration. Il n’a pas été capable d’arrêter le déclin de l’équipe, seulement de le freiner, temporairement, et il le vivait très mal.

Le Borussia Dortmund dispute le 16 mai son dernier match de championnat sous la direction de Jürgen Klopp, à domicile contre le Werder Brême. Les supporters vont laisser couler leurs larmes. Le stade ne sera plus qu’une vallée de larmes. Klopp espère que ce match sera suivi d’une dernière joute. Le 30 mai, en finale de la Coupe, à Berlin. Pour cela, mardi prochain, le Borussia doit éliminer son ennemi, le Bayern, en demi-finales.

Reste à voir quel est l’avenir de Jürgen Klopp. Il suscite énormément d’intérêt en Angleterre, depuis longtemps. La saison passée, Manchester United aurait sondé le Borussia, pour voir s’il était possible de mettre un terme à son contrat. Il n’a engagé Louis van Gaal qu’en second ressort.

Maintenant, on cite Manchester City, où l’entraîneur italien Manuel Pellegrini vit ses dernières heures. Arsenal et Liverpool feraient partie des candidats. Ce ne sont encore que des spéculations auxquelles Klopp ne réagit pas. Il est possible qu’il s’accorde une année sabbatique, selon des insiders. Les sept années écoulées lui ont coûté beaucoup d’énergie. Il a mué le Borussia, qui luttait contre la faillite, en une puissance du football allemand, avec deux titres (2011, 2012).

A jamais immortel pour les Borussen

Le Borussia est devenu un club à succès, un club très populaire, sans toutefois pouvoir concrétiser son ultime ambition : émarger à l’élite européenne absolue. Jürgen Klopp disposait encore d’un contrat de trois ans. En acceptant de l’en délivrer, la direction a prouvé que les turbulences des derniers jours avaient fait place au style et à la correction. Klopp jouira-t-il encore un jour de la même aura que maintenant ? C’est pour l’heure une question très fascinante mais sans réponse.

Jürgen Klopp ne peut qu’espérer revivre pareil conte de fées ailleurs. Il ne manque pas de charisme ni d’enthousiasme et il s’identifiera à son nouvel employeur. Comme du temps de Dortmund, qui a trouvé le slogan Echte Liebe (amour véritable) sous l’ère de Klopp et l’a étendu à tous les départements du club. Ça faisait parfois pompeux mais c’était authentique. Surtout, pareille story n’était possible qu’avec un entraîneur sensible. Jürgen Klopp restera immortel, sous ces traits, dans l’histoire du Borussia Dortmund. A l’issue de la conférence de presse, Hans-Joachim Watzke, avec lequel il avait travaillé en pleine harmonie, l’a serré sans ses bras. C’était bien plus qu’une image symbolique.?

PAR JACQUES SYS

Ces dernières semaines, Jürgen Klopp préférait le monologue au dialogue.

Jürgen Klopp était plus important que les joueurs, que le club et même que lui-même.

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