L’ombre du 11 septembre

L’horizon de New York sera moins impressionnant, vu du toit du stade Arthur Ashe Stadium.

Le circuit du tennis poursuit son bonhomme de chemin et pendant l’US Open, les joueurs vont se battre corps et âme. Le dernier Grand Chelem de la saison sera sans doute complètement éclipsé par la commémoration des attentats terroristes. Le patriotisme exacerbé des Américains a en tout cas pris un rude coup peu après la dernière édition de l’US Open. Connaissant le public américain, tout va prendre des proportions encore plus démesurées. Il encouragera les vedettes qui, tous les jours, entament la session du soir en chantant l’hymne.

Le corps des Marines qui hisse consciencieusement le drapeau au mât du Centre Court sera encore plus chaleureusement applaudi. Seul le feu d’artifice de clôture pourrait être interdit, par mesure de précaution. Les joueurs américains doivent veiller eux-mêmes à l’offrir au public.

A commencer par Andy Roddick. Le puissant Floridien est un showman né et le public local le porte aux nues. Son style emporté et son manque manifeste de subtilité ne feront pas de si tôt battre le coeur des amateurs de tennis mais sa rage de vaincre et les litres de sueur qu’il perd à chaque match ravissent les supporters américains. En 2001, A-Rod a déjà livré un tournoi remarquable. Il a été le seul joueur en mesure de mettre en péril l’invincible Lleyton Hewitt. Mais c’est justement dans ces conditions que le froid Australien se sent le mieux.

Hewitt ne laisse guère de marge à l’imagination: il est de nouveau le grandissime favori du tournoi. Le vainqueur de l’année dernière regorge toujours d’ambition et survole ses adversaires. Il a fait frissonner le circuit en s’inclinant au premier tour du tournoi de Toronto mais une semaine plus tard, il avait retrouvé toute sa superbe. Cette machine de combat est entrée en conflit avec l’ATP et a décoché en passant une sérieuse claque à tous ses adversaires.

Vegaskid: sa carrière est loin d’être finie

Une de ses victimes n’est autre qu’une vieille connaissance, Andre Agassi. L’Australien est un des rares joueurs à afficher un bilan positif face au vétéran américain, ce qui en dit long sur l’hégémonie que le mari de Steffi Graf a imposée au reste du peloton, tout au long de sa carrière qui est d’ailleurs loin d’être achevée. A Los Angeles, il a remporté son 53e tournoi. Avec cinq défaites cette année, il est de loin le joueur le plus efficace. Par contre, dans les Grands Chelems, sa puissance n’est plus aussi manifeste. Il a abandonné à Melbourne, atteint les quarts de finale à Paris et a dû se contenter du deuxième tour à Londres. A New York, le Vegaskid doit tenter de mettre fin à cette série négative. L’année dernière, après son élimination en quarts de finale, il n’avait rien à se reprocher. Dans un match de classe mondiale,il s’était heurté à un Pete Sampras en pleine forme.

Le roi de Wimbledon est toujours à la quête d’une telle performance, depuis lors. Après deux intermèdes moins réussis avec Gullikson et Higueras, Sampras a à nouveau confié son sort à Paul Annacone. La dernière fois, celui-ci avait jeté l’éponge, las des voyages, pour se consacrer à la formation des jeunes Américains. Sampras avait tellement besoin de son ancien entraîneur à succès qu’il a immédiatement accepté de s’investir lui-même dans la formation des jeunes et d’affronter régulièrement des talents en devenir. L’art de Pistol Pete reste intact mais il a perdu son brevet d’invincibilité. Celui-ci compte même tellement de hiatus que des joueurs moyens s’estiment désormais en mesure de battre Sampras.

Marat Safin a bien d’autres soucis en tête. Le caprice personnifié, le Russe espérait ardemment que cette saison-ci serait celle de sa percée définitive. Il semblait sur la bonne voie en janvier, avec sa place de finaliste en Australie, mais depuis, ça va de mal en pis. Safin n’a jamais été un modèle de sérénité. La succession effrénée d’entraîneurs et l’absence de résultats accroissent sa frustration. Sa confiance est au plus bas et il lui sera bien difficile de confirmer sa demi-finale de l’année dernière.

Yefgeny Kafelnikov, le dernier homme du quatuor 2001, doute de son avenir. Le joueur de Soltchi est à la croisée des chemins. S’il réalise encore un effort supplémentaire, il confirmera son statut mais s’il se repose sur ses résultats, il risque de sombrer dans le ventre mou du peloton. Il se bat de son mieux mais force est de constater que Kalashnikov ne figure plus parmi les grands favoris.

Le danger viendra-t-il encore des hispanophones? Les Argentins, assoiffés d’ambition, ne s’avouent pas vaincus sur les surfaces dures. Guillermo Cañas, le lutteur, a encore déposé sa carte de visite à Toronto. Pour remporter la compétition, il a battu pas moins de cinq joueurs du Top 10 et s’est lui-même catapulté au rang de favori de l’ombre à New York, grâce à une saison épatante.

Moya n’a plus mal au dos

Carlos Moya souffre du dos depuis plusieurs années. Après moult traitements, il semble enfin complètement rétabli et il travaille avec une ardeur intacte au rétablissement de sa carrière. Le flegmatique Espagnol est en progrès constant, cette saison, et il semble aussi se muer en bête noire de Leyton Hewitt. Spécialiste de la terre battue, l’Ibère a un avantage supplémentaire: il connaît parfaitement le jeu de l’Australien, qu’il sait contrer. Son coup droit lui vaut beaucoup plus de points que le numéro un mondial. On peut donc le considérer comme un outsider, dans la lutte pour le sacre.

Xavier Malisse a des qualités techniques très différentes de celles de Moya, même s’il évolue dans le même registre, et il a fait parler de lui, jusqu’à présent. Le Belge à la queue de cheval est résolu à ce que ça continue, sur sa surface favorite. Il ne faut quand même pas attendre monts et merveilles du citoyen de Hulste. Malisse a confirmé son ambition grâce à l’expérience acquise à Wimbledon et à sa place dans le Top 20 mais il ne s’est écoulé qu’un an depuis que son comportement irresponsable l’a contraint à faire ses bagages au premier tour de Flushing Meadows. Depuis lors, Xavier a certes subi une métamorphose et il a signé quelques prestations significatives tout en étant régulier à son niveau. Espérons qu’à l’US Open aussi, son nom ne soit assorti que de compliments.

Oh, les filles!

Depuis quelque temps, on parle moins de nos dames. Le grand public s’est habitué à leurs exploits, des blessures de gravité variable et une moindre constance dans leurs performances ont quelque peu relégué les deux Belges dans l’ombre. Elles s’en moquent. Ainsi, elles peuvent préparer sereinement le dernier grand rendez-vous de l’année.

La blessure de Justine Henin au petit doigt pourrait constituer une chance dans son malheur. Elle sera fraîche et on n’attendra pas monts et merveilles d’elle. Si elle échoue, elle pourra invoquer son manque de rythme et de préparation comme excuses. La Wallonne apprécie ce genre de situation. Rien n’est obligatoire, tout est possible.

Kim Clijsters reste capable de coups d’éclat, comme elle l’a prouvé aux deux tournois de préparation, à Stanford et à San Diego. Elle y a retrouvé sa fraîcheur et ne s’est inclinée que face à une extraterrestre, Venus Williams. A Los Angeles, une semaine plus tard, elle a été vaincue par une adversaire moins bien cotée. En cause, la fatigue, et sans doute le surmenage de son bras. éa lui a en tout cas donné la possibilité de recharger ses accus et de se concentrer pour faire mieux que l’an dernier: le quatrième tour.

La fraîcheur revient en filigrane durant l’US Open. Les meilleurs ont disputé énormément de matches ces derniers mois. Du coup, des filles qui reviennent, comme Chanda Rubin et Lindsay Davenport, ont l’air en meilleur état, physique et mental, que pas mal de vedettes. Elles ont visiblement soif de balles. Davenport est revenue plus vite que prévu. Il lui a fallu sept mois pour surmonter une opération aux cartilages mais une fois guérie, elle a repris sans sourciller sa place dans la hiérarchie mondiale, avec quelques tournois dans les jambes. Elle va certainement jouer un rôle significatif dans son tournoi. De là à modifier la finale préprogrammée, il y a une marge que nous ne franchirons pas.

La famille Williams a déjà réservé des sièges pour le Super Saturday. Les deux perles noires restent intouchables. Seule Serena a commis un faux-pas. Sa première apparition après Wimbledon et un mois sans tournoi ne constituent pas le reflet fidèle de sa classe.

Mais qui sait: peut-être une surprise tombera-t-elle du ciel et quelqu’un parviendra-t-il à briser cette hégémonie? Quoi qu’il en soit, le retour en forme de filles comme Davenport et Hingis, après de longues semaines de revalidation, ne peut que donner un piment supplémentaire à un circuit féminin devenu un brin monotone.

New York, the city that never sleeps se prépare à deux semaines de tennis de haut niveau. Le stade Arthur Ashe et les courts avoisinants ne représentent qu’une partie de l’événement. De nombreuses animations, en marge du tournoi, vont encore distraire les spectateurs. Il ne reste qu’à espérer que leur chauvinisme restera dans les limites de l’acceptable. Mais le ground zero ne sera jamais bien loin et les mesures de sécurité seront nettement plus imposantes que l’année dernière. Toutefois, elles ne brideront pas l’ardeur des joueurs sur les courts. Celle-ci ne fera que croître au fil du tournoi. Espérons quelques coups d’éclat made in Belgium.

Filip Dewulf

« Connaissant le public américain, tout va prendre des proportions encore plus démesurées »

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