L’ombre des Guerriers

Pas facile d’exister dans l’entourage de Liverpool, de Manchester et de Bolton. Surtout dans une région de rugby.

La Premier League fait résonner les noms de Manchester, Liverpool, Arsenal, Chelsea mais derrière l’écho postulent des plus petites formations. Cela fait trois saisons que Wigan est entré dans le casting du championnat anglais sur la pointe des pieds, porté par un milliardaire richissime, Dave Whelan, propriétaire des magasins de sport JJB. Mais crime de lèsemajesté, dans un pays qui cultive la tradition footballistique avec autant de minutie que les gazons de Wimbledon, Wigan affichait un CV vierge et bouleversait aussi l’ordre établi de sa propre ville. Car, si le nom de Wigan arrivait à se faire connaître aux quatre coins du royaume, c’est avant tout grâce à son équipe de rugby à XIII.  » Cette région est vraiment le berceau du rugby à XIII « , explique Dave Sadant, journaliste au Wigan Evening Post,  » Tous les clubs sont ancrés au nord du pays, dans le Lancashire et le Yorkshire à part un à Londres et un autre en… France, (les Catalans Dragons) « .

Situé à mi-chemin de Liverpool et de Manchester, Wigan se niche dans un arrière-pays campagnard, bien que cette cité de 90.000 âmes garde quelques vestiges d’un modeste passé industriel. Pour traverser la ville, il faut être patient, tant la circulation est intense. Rien ne prédispose Wigan à enfermer deux cercles de l’élite. Il faut tourner, se perdre pour trouver le chemin du JJB Stadium, coincé derrière un complexe commercial. Avec son arche, l’arène (25.000 places) a des vagues airs de ressemblance avec le nouveau Wembley. L’air est frais et le calme emplit l’espace. Pourtant, cette relative sérénité cache une alliance contre-nature. Pour des raisons économiques, la ville a décidé que le stade abriterait l’équipe de football, Wigan Athletic et celle de rugby Wigan Warriors. Les emblèmes des deux formations ornent d’ailleurs la façade. Dans le dépliant touristique de la ville, Paul Jewell, manager de Wigan écrit à ce propos :  » Le JJB Stadium peut s’enorgueillir d’avoir un grand événement sportif par semaine, ce qui draine 550.000 spectateurs par an. Il n’y a pas beaucoup de stades même ceux des grandes villes qui peuvent avancer de tels chiffres. C’est bien de voir la ville vivre le sport aussi intensément, de contempler les enfants avec des figures peinturlurées, les rues pleines de couleur et de sentir une ambiance bon enfant « .

Le dépliant est toujours en vente mais Jewell n’est plus le manager du club, remplacé dans un premier temps par Chris Hutchings et puis par Steve Bruce. Et la réalité est bien plus complexe.  » Aucune des deux équipes n’est satisfaite par ce partage. On dit déjà que lorsque deux clubs de football partagent un stade, ce n’est pas facile mais imaginez un peu quand il s’agit de deux sports différents « , continue Sadant.

La ville vire au bleu

Face à une telle rivalité, le club de football a du mal à exister.  » C’est très difficile pour eux d’attirer de nouveaux supporters. La ville n’est pas grande et elle est divisée entre les fans de rugby et ceux de foot. Pour élargir son contingent de fans, le club doit sortir de la cité mais là, elle rentre en concurrence avec Everton, Liverpool, Manchester United et City, Bolton et Blackburn. Devant un tel choix, qui choisirait Wigan ? », interroge Sadant.

Reste alors à rogner la popularité des Warriors.  » Pas évident car même si les résultats des trois dernières années n’ont pas été excellents, on peut considérer les Warriors comme le Manchester United du rugby à XIII. Et puis, jamais un inconditionnel de rugby ne passera au football « . Pourtant, l’hégémonie des Warriors a été mise à mal. La première saison exceptionnelle de Wigan Athletic au sein de l’élite a apporté une certaine fraîcheur en ville.  » Les chants ont commencé à fuser. The town is turning blue (la ville a viré au bleu, en référence à la couleur des maillots des Latics) était devenu un tube. On pouvait même l’entendre dans la bouche des supporters du club de rugby de St Helens, grands rivaux des Warriors. Cette année, devant le peu d’affluence ( voir cadre ci-contre) des matches de football, les supporters de rugby ont répliqué There is only one team in Wigan (Il n’y a qu’un club à Wigan) « , ajoute Sadant.

Et voilà comment la ville est scindée entre les fans de rugby, qui se recrutent particulièrement à l’est et ceux de foot qui viennent de l’ouest de la cité.  » Pour combler le fossé qui les sépare des Warriors, les Latics ont besoin de temps et de trophée. Pour cela, ils doivent se maintenir un certain temps en Premier League. Ils disputent leur troisième saison et elle est capitale. C’est souvent la plus difficile et pour le moment, le club est d’ailleurs reléguable. S’ils descendent, cela va devenir difficile de mettre à mal l’hégémonie du rugby. Ils ont choisi la voie du pragmatisme en partageant leur stade. Et contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas unique. Il y a parfois des matches de rugby sur le terrain de Reading et les Wasps, champion d’Angleterre en rugby, partagent leur terrain avec le club de football de Wycombe Wanderers « , explique Chris Bailey, journaliste au Manchester Evening News.

A la fin de la saison, on saura si l’histoire de Wigan n’aura été qu’une parenthèse dans la tradition séculaire de l’élite anglaise ou si elle peut se poursuivre. Même si Wigan porte l’étiquette de petit poucet, son histoire n’a rien à voir avec un conte romantique. Son ascension porte le sceau de ce qui fait désormais la norme en Angleterre : l’argent. Son président a dépensé sans compter et construit un nouveau stade. Il a même racheté les Warriors. Et s’ils descendent, les Latics auront intégré le paramètre du foot business. A défaut d’histoire et de passion, c’est déjà cela de pris.

par stéphane vande velde – photo: reuters

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