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L’OM POSTMODERNE

Depuis son rachat par l’Américain Frank McCourt, l’Olympique de Marseille voit de nouveau en grand, voire en très grand. Décryptage.

La salle de presse du Vélodrome n’a pas connu pareille affluence depuis des lunes. Les micros se tendent, les flashs crépitent. Le feuilleton de reprise de l’OM tient enfin un visage issu de la sphère footballistique. Les supporters marseillais s’impatientent depuis fin août et le début des négociations entre Margarita Louis-Dreyfus et Frank McCourt. Ce 21 octobre, Rudi Garcia enfile pour la première fois son costume de T1 olympien. Un brin charmeur.  » Je suis ravi de rejoindre l’un des plus grands clubs d’Europe et qui, aujourd’hui, n’est pas à la place où il devrait être. On va ramener l’OM à la place qui est la sienne.  »

Le nouveau président du club, Jacques-Henri Eyraud, entrepreneur passé par Harvard et l’équipe de France de taekwondo, distille lui aussi les bons mots. Un parfum de sérénité inhabituel parcourt la Commanderie. La communication est ficelée, l’estocade bien placée. Garcia représente ce qui se fait de mieux en matière d’entraîneurs français. Il symbolise l’ambition réfléchie de sa direction.

Un à un, les pions de la phase de transition sont remplacés. Du président Giovanni Ciccolunghi à Franck Passi, en passant par Gunter Jacob, remercié pour laisser son fauteuil de directeur sportif à Andoni Zubizarreta. Le tout neuf triumvirat parle la même langue : des grands noms dès janvier et l’objectif d’une deuxième C1 dans l’escarcelle du seul club français titré en la matière. Dans un timing discutable, l’Olympique de Marseille semble enfin entrer dans un nouveau millénaire. Et il ne  » craint dégun « .

MAKE OM GREAT AGAIN

Tout commence à Boston pour Frank McCourt. Issu d’une famille irlandaise, dont le rêve américain se construit dans la brique, il fait rapidement fortune dans l’immobilier. Dès 77, le diplômé de Georgetown délaisse l’entreprise familiale pour fonder la sienne. McCourt rachète 100.000 mètres carrés de terrain bostoniens pour en faire des parkings. Un pari gagnant qui lui permet notamment de racheter le club de baseball des Los Angeles Dodgers en 2004.

Le magicien McCourt mène ses projets à la baguette. Lui qui a grandi à Watertown, une banlieue aisée de Boston, avec six frères et soeurs, emploie le modèle du family office. Pas d’investisseur avec des intérêts dans ses projets, donc pas de comité d’investissement auquel il doit rendre des comptes. McCourt met son visage en première ligne. C’est sa rapidité d’exécution qui lui a permis de rafler la mise olympienne.

Il est d’abord mis sur le coup par Didier Poulmaire, l’agent-avocat de Yoann Gourcuff. Le Français a notamment permis à McCourt de s’emparer de 50 % du Global Champions Tour, une compétition internationale d’équitation. De passage à Aix, l’Américain a déjà eu vent des velléités de vente de Margarita Louis-Dreyfus sans réellement s’y intéresser.

Poulmaire lui dresse alors une liste de clubs à reprendre. En 2014, les deux hommes effectuent une demande pour le Tottenham de Daniel Lévy, mais son prix – plus d’un milliard d’euros – refroidit leurs ardeurs. Ils se rabattent finalement sur l’OM.

 » Si on pense que je voulais juste m’acheter un club de foot, peu importe lequel, c’est une fausse impression « , tempère McCourt dans So Foot.  » Marseille est la seule équipe qui m’a intéressé, parce que c’est une équipe avec une grande histoire, une marque iconique et des choses cassées que je sais réparer.  »

Mais s’il tarde à sortir ses outils, c’est parce qu’il accuse du retard sur ses concurrents, en particulier sur Gérard Lopez (voir encadré). Le duo Poulmaire-McCourt se rapproche alors d’Eyraud, déjà à la base d’une autre proposition de reprise. Le processus s’accélère et le trio devient discrètement le favori de MLD. L’ambition a un nom,  » OM Champions Project « , et un slogan officieux :  » Make OM Great Again « .

UN POIDS LOURD DE LA MLB

Dans la foulée de l’annonce de leur probable futur proprio, les supporters marseillais tombent sur une mauvaise nouvelle. Un article d’ESPN datant de 2011 classe McCourt au deuxième rang des pires patrons de franchise de l’histoire de la Major League Baseball. Les fans des Dodgers lui reprochent, entre autres, d’avoir augmenté le prix des billets et d’avoir uniquement racheté le club pour se vouer à sa vocation première : l’immobilier.

La MLB l’accuse également d’avoir utilisé 200 millions de dollars des revenus de l’entité pour satisfaire ses dépenses personnelles, entre la location de jets privés et des frais de coiffure… McCourt aurait aussi engagé un guérisseur russe, Vladimir Shpunt, pour qu’il envoie des ondes positives à l’équipe californienne contre plusieurs centaines de milliers de dollars. Les Dodgers sont enfin le théâtre de son divorce surmédiatisé amorcé en 2009. Son ex-femme Jamie occupe alors le poste de PDG de la franchise.

La ligue fait surveiller les comptes du club et McCourt finit par le mettre en banqueroute. En 2012, il le vend malgré tout pour la somme de 2,15 milliards de dollars, un record, à un consortium mené par Magic Johnson et Guggenheim Partners, un temps évoqués – à tort – dans la reprise de l’OM.

Outre la belle plus-value, l’homme d’affaires américain a fait passer les Dodgers de la franchise la moins rentable à l’une des plus lucratives. Sur le plan sportif, l’équipe californienne se retrouve quatre fois en play-offs sur les six premières années de son mandat, une première depuis 16 saisons, dont trois titres de conférence et deux consécutifs, après neuf printemps de disette. Sous ses ordres, les Dodgers redeviennent un poids lourd de la MLB.

McCourt apprend de son bilan à Los Angeles. Il prend son temps et compte bien ré-ancrer l’OM dans sa ville et sa communauté. Le natif de Boston officialise le rachat du club le 17 octobre pour plus de 45 millions d’euros. Loin des 100 millions annoncés, mais avec une récupération de dettes qui les comble. Elles comprennent les traites des achats de Thauvin, Njie ou Imbula ainsi que les 10 millions d’emprunt – voire 17 avec les intérêts – pour retaper le centre d’entraînement.

McCourt accepte également les conditions de MLD : ne pas acheter un autre club européen sous dix ans et laisser 5 % à la famille Louis-Dreyfus, ce qui permet à Margarita de laisser son fils Kyril au coeur de sa passion olympienne puis de récupérer quelques gros sous en cas de revente de l’entité.

LE COUAC FRANCK PASSI

L’arrivée de Rudi Garcia est actée trois jours plus tard, dans un effet d’annonce à l’américaine, à 48 heures d’un PSG-OM au Parc des Princes (0-0). McCourt promet d’injecter 200 millions sur 4 ans, voire les deux prochaines saisons. Une somme qui vient directement de sa poche et qui sera dédiée en grande partie à bâtir l’OM nouveau sur le terrain.

Il a donc fallu remercier Franck Passi pour ses bons et loyaux services. Salarié au club depuis plus de 10 ans, Passi était passé cet été du statut d’intérimaire à un contrat de deux ans, minimum légal pour un coach en France. Désireuse de le conserver dans l’organigramme, la nouvelle direction envoie le contrat de Garcia à la LFP, sans rompre celui de Passi.

Mais ce dernier ne souhaite pas rester et réclame des dommages et intérêts. Le club, disposé à régler l’ensemble de ses salaires jusqu’en 2018 (un bon million), se retrouve dans une première affaire à gérer et le contrat de Rudi Garcia attend toujours son homologation. L’OM Champions Project connaît là son premier couac.

L’acte 2 du projet sportif constitue l’arrivée de Zubizarreta. L’ancien DS de Bilbao et du Barça, élu responsable du passage fantôme de Thomas Vermaelen chez les Blaugrana, ne se trouvait pas nécessairement au top de la liste de la direction olympienne. Luis Campos, ancien scout du Real et ex-Directeur Technique de Monaco qui a finalement préféré le projet lillois de Lopez, était d’abord le favori.

Quoi qu’il en soit, Zubizarreta débarque avec ses réseaux.  » Recruter en Liga ? C’est possible. La Liga, c’est le marché que je connais le mieux. Mais je crois que le foot est européen, global, universel « , philosophe l’ancien portier de la Roja lors de sa présentation.  » Il faut chercher des joueurs en France, il y a ici un grand marché de joueurs, il faut juste les trouver. Il n’y a aucune condition de nationalité pour recruter !  »

Le board olympien veut néanmoins renouer avec la tradition latine du club. Garcia et Zubizarreta se sont mis d’accord sur trois profils à recruter dès cet hiver : un latéral gauche pouvant évoluer à droite, un milieu défensif en cas de départ de Lassana Diarra et un attaquant polyvalent. Plusieurs noms circulent avec insistance mais relèvent plutôt du fantasme.

OM WAY

L’OM nouveau cherche à trouver sa voie. Celle qu’Eyraud qualifie d’OM Way sur deux axes principaux, la performance sportive avec des grosses pointures et la formation de jeunes talents issus du cru :  » Les Marseillais veulent voir dans cette équipe des jeunes qui ont démarré dans un club de quartier des environs et monté l’échelle petit à petit. L’objectif sera d’avoir notre Steven Gerrard à nous.  »

Les récentes titularisations de Maxime Lopez, diamant taillé sur la Canebière, vont clairement dans ce sens.  » Je suis encore dans l’incompréhension quand je vois l’activisme de Nice ou Monaco dans le bassin marseillais et le nombre de joueurs qui en sont issus dans leur effectif.  »

Le supporter olympien doit s’identifier à son équipe, qui doit produire un jeu  » à la marseillaise « . Pour le moment, le pan supporters du projet est plutôt une réussite. Vidé de toute passion depuis le début de saison et le fiasco de la campagne d’abonnements, le Vélodrome a accueilli pas moins de 57.091 spectateurs pour la première de Garcia à la maison contre les Girondins de Bordeaux, le 30 octobre dernier.

La nouvelle direction multiplie les gestes commerciaux. Le 9 novembre, elle a ouvert la séance d’entraînement au Vélodrome à plus d’un millier d’abonnés et poursuit sa campagne  » un adulte payant – un enfant gratuit  » en tribune Ganay. La ferveur revient malgré les résultats. Jacques-Henri Eyraud a conscience de la puissance de cette passion et de sa rivalité avec la capitale.

 » Il y a la rébellion classique du Sud contre le Nord, de Marseille contre le pouvoir centralisé « , dit-il encore dans So Foot.  » La rivalité avec Paris est forte, réelle, et elle doit être saine, mais on va la cultiver parce qu’elle fait partie de l’ADN de ce club.  »

L’objectif premier reste donc d’engager le fan dans son club, quitte à ce qu’il en soit réellement partie prenante. Le board olympien regarde alors en direction de l’e-sport, discipline en pleine expansion. Le PSG fait justement office de pionnier en la matière du côté de l’Hexagone. Le club de la capitale a sa propre équipe e-sport, ce qui lui permet d’être directement connectée avec ses supporters.

Sachant que ces derniers consomment davantage le football en 3D, l’idée paraît judicieuse. L’OM postmoderne semble enfin voir le jour. Il lui reste à faire honneur au slogan floqué sur sa casquette. Pour devenir grand à nouveau.

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

Considéré comme l’un des pires gestionnaires de l’histoire de la MLB, Frank McCourt a pourtant ramené les Los Angeles Dodgers au premier plan sportif et financier.

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