L’oligarque miraculé

Comment le Shakhtar est devenu le porte-drapeau du nouveau football ukrainien.

Pendant des années, avec sa figure livide et son chapeau d’ouvrier soviétique, Valeri Lobanovski a symbolisé le football ukrainien qui se résumait à un nom : Dynamo Kiev. Il a empoché les neuf premiers titres du nouveau championnat, la Vystsja Liha, mais les années 2000 sonnaient la fin de son hégémonie. Depuis, si le Metalist Kharkiv, le Metalurh Donetsk ou Dnipro Dnipropetrovsk font un peu parler d’eux sur la scène européenne (les quarts de la Coupe UEFA proposaient un duel entre le Metalist et le Dynamo !), c’est davantage dans la puissance du Shakhtar Donetsk que le Dynamo Kiev a trouvé un rival.

Depuis début mai, la capitale pleure l’élimination de son équipe lors du duel fratricide en demi-finale de Coupe UEFA. Le maillot orange et noir du Shakhtar portera donc seul, en finale de Coupe UEFA, les espoirs de tout un peuple. Heureusement pour lui, le Dynamo Kiev a lavé l’affront et récupéré son titre de champion d’Ukraine et pense à la Coupe nationale qui proposera encore en demi-finale un duel entre les clubs !

Rinat Akhmetov, mécène du Shakhtar

Dans les années 90, Lobanovski instaura le foot pro (le khozraschiot ou l’autofinancement) en mettant fin aux pratiques soviétiques. Celles-ci rattachaient un club à l’Etat, que ce soit par le biais de l’armée, de la police, des universités, des chemins de fer ou des mines. Mais l’arrivée des nouveaux riches et oligarques depuis l’indépendance allait modifier la donne. Rinat Akhmetov, qui fit sa fortune dans l’industrie métallurgique, houillère, la banque et l’agro-alimentaire (127e fortune mondiale), reprend le club des mines, le Shakhtar (qui signifie mineur) en 1996. Il est à la recherche d’un président depuis qu’ Akhatem Braguine, surnommé Alik le Grec, avait sauté sur une bombe, placée sous son siège au Lokomotiv Stadium. Akhmetov dépense sans compter pour son club, n’hésitant pas à exploser le pare-brise des voitures des joueurs après un match bâclé de coupe d’Europe. Il est considéré comme le vrai patron de l’Ukraine, plaçant ses hommes (dont son chauffeur) aux postes clés de l’administration du pays ! Pas étonnant : il fut déjà victime de deux attentats (un au lance-roquettes, l’autre au fusil d’assaut).

Le club des cinq Brésiliens

La réussite d’Akhmetov a suscité des jalousies, les nouveaux riches s’appropriant les autres clubs. Le Dynamo a filé dans les mains d’ Igor Surkis alors que son frère aîné, Grigoriy prenait la tête de la Fédération Ukrainienne et qu’ Alexandr Yaroslavski, ancien propriétaire de la plus grande banque du pays revendue en 2006 à BNP Paribas, rachetait le Metalist.

A coup de millions, Akhmetov a offert un palmarès à son club. Avant son arrivée, le Shakhtar n’avait pas fait mieux qu’une deuxième place. En 13 ans, il a garni la vitrine des trophées de quatre titres et cinq coupes nationales, amenant la Ligue des Champions chaque année à Donetsk. Pour ce faire, il a déboursé, cette saison, pas moins de 40 millions d’euros dont 15 millions pour Willian, attirant cinq jeunes Brésiliens dont l’âge oscille entre 20 et 25 ans ( Luiz Adriano, Fernandinho, Jadson, Ilsinho et Willian). Fernandinho a été champion du monde Juniors en 2003 et Luiz Adriano a remporté la Coupe Intercontinentale avec Internacional Porto Alegre en 2006. Ilsinho fut sacré Ballon d’Or brésilien en 2006 et Jadson est le meilleur buteur du club sur la scène européenne. Le club des cinq aurait pu être six si Matuzalem, irrité par le comportement de son président, n’avait pas fui en 2007 au Brésil avant de revenir par la grande porte à la Lazio Rome, ou si Brandao n’avait pas été transféré à Marseille lors du dernier mercato.  » Cette équipe dispose d’une très bonne qualité de passes « , explique d’ailleurs Brandao.

L’effectif compte neuf nationalités passant de la Bolivie ( Marcelo Moreno), à la Croatie ( Dario Srna), ou la Roumanie ( Razvan Rat-Dinca). L’an passé, l’Italien Cristiano Lucarelli avait même tenté l’aventure avant de revenir très vite à Parme. Au poste d’entraîneur, le Roumain Mircea Lucescu a succédé à Nevio Scala (l’ancien entraîneur à succès de Parme).  » Il gagne plus à Donetsk que ce qu’il pourrait gagner en Europe occidentale « , explique Dmitri Ilchenko, journaliste ukrainien de Sport Express Daily.  » Il a un contrat de deux saisons qui se termine en juin et gagne trois millions d’euros par an. Et s’il remporte la Coupe UEFA, Akhmetov lui offrira une prolongation de deux ans, avec un million d’euro supplémentaire par saison. Lucescu vient évidemment en Ukraine pour l’argent mais aussi parce qu’il dispose d’une grande liberté d’action. S’il veut un joueur, il est sûr à 99 % de l’obtenir.  »

L’EURO 2012 : apothéose ou déclin ?

Autre preuve de la réussite des oligarques, ils ont réussi à amener l’EURO 2012 au pays, en collaboration avec la Pologne. Les stades de Kiev, Donetsk, Lviv et Kharkov sont concernés mais la crise frappe et la bulle financière pourrait exploser. Michel Platini, président de l’UEFA, n’a de ce fait retenu qu’un seul stade (Kiev) dans son nouveau rapport et a fixé un dernier ultimatum à l’Ukraine pour se mettre en ordre. Le pays a jusqu’au mois de novembre pour apporter des garanties. Akhmetov avait doté Donetsk d’un stade futuriste de 50.000 places (Donbass Arena), dessiné par l’architecte de l’Allianz Arena, mais l’UEFA a jugé insuffisantes les capacités d’hébergement et les infrastructures de transport.

 » Mais les oligarques ne vont pas laisser l’EURO 2012 se jouer ailleurs « , explique Jos Daerden, qui entraîna le Metalurh Donetsk.  » Alexsander Yaroslavski, le président du Metalist est prêt à débourser 600 millions d’euros pour faire avancer les travaux « , ajoute Ilchenko…

par stéphane vande velde

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