L’Oeuil de Bruges

Depuis trois mois, l’ancien attaquant international a pris ses quartiers comme leader sportif du Club.

De son bureau flambant neuf, situé dans un petit immeuble qui jouxte le stade Jan Breydel, Marc Degryse, le leader sportif du Club Brugeois, a une vue imprenable sur les aires d’entraînement.

 » Certaines très méchantes langues disent que j’ai choisi cet endroit à dessein, afin d’espionner Trond Sollied « , rigole-t-il.  » Mais là n’est pas le propos, même s’il m’arrive régulièrement de jeter un coup d’£il par la fenêtre ou même d’assister à l’une ou l’autre séances de préparation, pour peu que mon emploi du temps le permette. N’est-ce pas normal ? Si je me contente simplement de répondre présent aux matches de l’équipe première, ma démarche ne se différenciera pas de celle des supporters. Pour savoir ce qui se vit à l’intérieur d’un groupe et pour juger à bon escient le travail du staff technique, un travail d’observation, par intermittences, s’impose. Il ne vise nullement à surveiller les faits et gestes de chacun mais plutôt à pouvoir parler en connaissance de cause. Ce qui constitue un must dans ma fonction, puisque je m’occupe de toutes les contingences footballistiques, tant au niveau des jeunes que du noyau professionnel.

Avec un vécu de six ans au plus haut niveau chez les Bleu et Noir, quels sont les manquements auxquels vous teniez à remédier ?

Par rapport à Anderlecht, où j’avais abouti en 1989 en provenance du Club, et comparativement aux autres clubs où je m’étais produit par la suite (Sheffield Wednesday, le PSV Eindhoven, Gand et le GBA), j’ai souvent eu le sentiment d’un décalage, ici, entre l’équipe Première et la direction. Je ne suis donc pas seulement l’£il de Bruges mais aussi le relais entre ses différentes composantes (il rit). Ce souci de rapprochement s’est également traduit, au sein du noyau, par la constitution d’un conseil des joueurs. Et afin que tout le monde, sans exception, puisse avoir voix au chapitre, des cours de néerlandais ont également été institués depuis peu. Sans oublier que ce n’est pas négligeable non plus d’un point de vue purement sportif. Onze joueurs sur la même longueur d’ondes équivalent à dix points de plus en fin de saison. Ainsi le soutenait Georg Kessler à mes débuts ici, autrefois. Et je pense que l’entraîneur allemand a foncièrement raison.

 » Le foot et la presse ont changé  »

Ces dernières semaines, les journaux ont rapporté une prise de bec entre Gert Verheyen et Andres Mendoza. Quant au jeune Kevin Roelandts, il en est venu carrément aux mains avec Sergeï Serebrennikov.

Ces épisodes-là, je les ai vécus aussi, à différentes reprises, lorsque j’étais joueur ici. A l’époque, toutefois, il n’y avait personne pour les rapporter et l’affaire était vite classée. Par un curieux hasard, mon départ, à la fin des années 80, a coïncidé avec l’apparition de VTM. Dans la foulée, d’autres ont suivi. Comme VT4, par exemple. La presse écrite n’est pas demeurée en reste non plus avec de nouvelles parutions. Tous ces médias ne se sont plus contentés seulement d’informer. Ils ont poussé plus loin leurs investigations en versant souvent dans le sensationnel. C’est regrettable mais il faut composer aujourd’hui avec cette réalité. Pourtant, je suis persuadé qu’il y a moyen d’être original sans tomber dans le scandale.

Les joueurs ne sont pas toujours irréprochables non plus. La preuve par l’Angleterre.

Je ne les cautionne pas, mais je me demande si un tel étalage serait possible chez nous. Le moindre fait divers prend une dimension inouïe en Angleterre. Il suffit de songer à l’incident entre Beckham et Alpay lors du récent déplacement de l’Angleterre en Turquie. Un joueur qui en chambre un autre, c’est une situation qui a existé de tout temps. Faut-il exposer le joueur à la vindicte publique par voie de presse pour autant ? Non, évidemment. Mais pour les tabloïds anglais, cette affaire est du pain bénit. Au même titre que les cas de joueurs éméchés et des excès qu’ils peuvent commettre. Je peux me tromper mais j’ai l’impression qu’au Royaume-Uni aussi, tout est de plus en plus amplifié ces dernières années. Des footballeurs qui boivent, il y en a eu de tous temps. A cette différence près qu’ils ne faisaient que peu ou prou la une des journaux jadis. Aujourd’hui, c’est différent. Et bon nombre d’entre eux en ont pris pour leur grade. A l’image de Tony Adams, notamment. J’ai apprécié son autobiographie, dans laquelle il confesse que beaucoup sont portés sur la dive bouteille ou les jeux de hasard afin d’échapper au stress véhiculé par le football. Et c’est vrai qu’il représente aujourd’hui des enjeux autrement plus énormes qu’autrefois. Tout le monde ne garde pas la tête froide dans ces circonstances. Le plus important est de connaître ses limites. Moi-même, il m’est arrivé de boire un verre ou de jouer au casino. Mais j’ai toujours su jusqu’où je pouvais aller. S’il n’en avait été ainsi, je n’aurais pas fait une aussi longue carrière, puisque j’ai quand même joué jusqu’à l’âge de 37 ans.

Entre vos adieux, en fin de saison 2001-02 et votre retour à Bruges, cet été, quel fut votre emploi du temps ?

J’ai pris une année sabbatique. Après deux décennies au cours desquelles ma vie avait invariablement été rythmée par le seul football, j’ai éprouvé le besoin de me changer les idées. Afin que la coupure ne soit pas trop drastique, je me suis maintenu en condition en jouant au golf et j’ai amélioré mon handicap qui est descendu à 9,5. Mais au bout de quelque temps, la fièvre du samedi soir me manquait (il rit). J’ai repris le collier en tant que consultant pour la télévision mais je désirais me rapprocher du terrain, sans embrasser le métier d’entraîneur. J’avais assez donné sur les pelouses mais j’estimais que l’expérience acquise au contact des footballs belge, anglais et néerlandais était susceptible de me servir. Bruges l’a également compris…

Plus perçu comme un déserteur

Durant vos années anderlechtoises, de 1989 à 96, vous étiez perçu comme un déserteur de la part des sympathisants brugeois. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Jusqu’à présent, il n’y a eu qu’une fausse note : pour les besoins d’un déplacement de l’équipe fanion, j’avais commandé un bus, et la compagnie à laquelle je m’étais adressé avait eu la malencontreuse idée de mettre à notre disposition un véhicule aux couleurs du Sporting (il rit). Je n’y étais toutefois pour rien et les supporters brugeois l’ont bien compris. Depuis, il n’y a jamais eu la moindre remarque à ce sujet. Il est vrai que le temps a fait son £uvre, puisque après mes années au Parc Astrid, j’ai encore évolué dans quatre autres clubs. A cet égard, la réception à laquelle j’avais droit en me présentant au Club sous la livrée gantoise ou sous celle du GBA était beaucoup plus sympathique qu’à l’époque où je défendais les couleurs de l’ennemi juré.

Vous souvenez-vous encore de votre arrivée à Bruges comme Scolaire, en 1980 ?

Comme si c’était hier. J’avais fait le déplacement d’Ardooie au Club en compagnie de mes parents. Pour eux, comme pour moi, ce fut la découverte d’un tout nouveau monde. Jusqu’alors, mon univers s’était limité à mon patelin en Flandre-Occidentale et à l’école que je fréquentais à Izegem. Une seule fois, auparavant, j’avais mis les pieds chez les Bleu et Noir. Dans le cadre d’un travail scolaire, j’avais dû interviewer une personnalité marquante et mon choix s’était porté sur mon idole, Jan Ceulemans. J’étais loin de me douter, à ce moment-là, que quelques années plus tard, le Caje et moi allions être assis côte à côte dans le même vestiaire. Depuis lors, des liens d’amitié se sont tissés entre nous. C’est le cas aussi avec Franky Van der Elst, Luc Nilis, Johnny Bosman, Kenneth Brylle ainsi que mon beau-frère, Dennis Van Wijk.

Avec la plupart de ces joueurs, vous avez connu les grandes soirées européennes, aussi bien à Bruges qu’au RSCA. Pensez-vous les revivre un jour de la même manière, mais comme dirigeant cette fois ?

N’en fais-je pas l’expérience en Ligue des Champions pour le moment ? (il rit). D’accord, la situation est peut-être un peu moins reluisante aujourd’hui qu’à l’époque où le Club jouait la finale de la CE1, à Wembley, en 1978 ou la demi-finale de la Coupe de l’UEFA, en 1988, avec moi dans ses rangs, face à l’Espanyol Barcelone. Pourtant, je suis d’avis que des exploits de ce genre sont toujours possibles. Et nous en avons d’ailleurs fourni la preuve en éliminant le Borussia Dortmund lors du dernier tour préliminaire voici peu. Au risque d’en surprendre plus d’un, je ne pense pas que le fossé soit plus grand aujourd’hui, qu’autrefois, entre les meilleurs clubs belges et leurs homologues européens. A mon époque déjà, les Italiens, les Espagnols, les Anglais et les Allemands faisaient figure de ténors. Il n’y a donc rien de neuf dans ce registre, hormis la percée du football français dans l’intervalle. Quand j’entends certains dire qu’Anderlecht ou Bruges ne gagneront jamais la Ligue des Champions nouvelle mouture, je me demande où ils veulent en venir. Ces deux grands n’ont jamais remporté cette épreuve, par le passé, lorsqu’elle portait encore le nom de Coupe d’Europe des Clubs Champions. Alors, où se situe donc la différence ? Moi, je dis et je maintiens qu’on a un bon coup à jouer dans ce système avec des poules de quatre équipes. Même si, pour le moment, nous n’avons pas encore engrangé grand-chose au niveau des points. Tout comme Anderlecht, au demeurant. Il n’empêche qu’il y a deux ans, le même Sporting avait coiffé sur le poteau Manchester United, le PSV Eindhoven et le Dynamo Kiev. Ce sont des références. C’est pourquoi, je persiste à croire que nous ne sommes pas démunis au plus haut niveau, même si certains prétendent le contraire.

 » Onze joueurs sur la même longueur d’ondes représentent dix points de plus en fin de saison « 

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