L’INTERROGATOIRE

Saint-Jean revient à Mouscron avec Tubize en 16es de finale de la Coupe. Il répond aux questions de trois Hurlus qu’il a connus et leur en pose à son tour.

PhilippeSaintJean, 52 ans, ancien entraîneur de l’équipe nationale Espoirs, fut engagé en 1997 par Mouscron pour créer le Futurosport. Appelé à diriger l’équipe Première en 2004-2005, il a été limogé en février 2005 et entraîne aujourd’hui Tubize, en D2.

SteveDugardein, 32 ans, est le capitaine de Mouscron. Il a réalisé toute sa carrière à l’Excelsior, sauf en 2004-2005 : la saison où Saint-Jean était l’entraîneur de l’équipe Première.

PacoSanchez, 20 ans, est un produit du Futurosport. Il a débuté en D1 à 16 ans avec Lorenzo Staelens, a connu des hauts et des bas depuis lors, et n’est devenu titulaire qu’en 2006. Il avait une relation très forte avec Saint-Jean.

JeanLouis Losfeld, 39 ans, était le bras droit de Philippe Saint-Jean, tant lors du premier passage à Tubize que lors de la saison 2004-2005 à Mouscron. Il est aujourd’hui le directeur du Futurosport.

Dugardein à Saint-Jean

1. Votre expérience en D1 s’est terminée prématurément. Si c’était à refaire, que changeriez-vous ?

Pas grand-chose. On avait critiqué l’usage excessif de la vidéo, le trop plein d’entraînements individuels. Je constate qu’aujourd’hui, Mouscron en est revenu à la vidéo et aux entraînements individuels, avec des exercices fort similaires aux miens. Je ne m’étais donc pas trompé. Si je peux me permettre un clin d’£il : je me demande si je te laisserais encore partir aussi facilement, Steve, car si tu étais resté, il n’y aurait pas eu de changement d’entraîneur et l’équipe se serait engagée dans une spirale plus positive, comme celle qui existe aujourd’hui à Mouscron. Au niveau de l’ambiance, notamment.

2. Vous servez-vous de cette expérience en D1 pour gérer votre groupe en D2 ?

Chaque expérience est enrichissante. Mais je n’ai pas changé fondamentalement. Ce passage en D1 était, pour moi, le prolongement du travail effectué précédemment chez les jeunes et dans les divisions inférieures. Travailler en D1 est plus facile qu’en D2, parce qu’on a plus de temps et qu’il ne faut pas tenir compte des impératifs professionnels de certains. J’aurais voulu constituer une équipe d’entraîneurs, comme je l’avais fait partout. Bâtir une passerelle avec la Réserve, les Juniors, les Scolaires… L’équipe Première devait servir d’exemple pour les jeunes, y compris dans les phases de jeu. On ne leur parlait plus de centres à la David Beckham, mais de centres à la Christophe Grégoire. En neuf mois, je n’ai pu constituer qu’une ébauche. Mais Jean-Louis Losfeld poursuit ce travail, actuellement.

3. Constatez-vous une grosse différence de niveau entre la D1 et la D2 ?

Le fossé demeure énorme mais beaucoup de joueurs de D2 pourraient atteindre un niveau de D1 s’ils étaient soumis au même régime d’entraînement que leurs collègues de l’élite. On pourrait croire, au vu des résultats que nous réalisons dans les matches amicaux face à Anderlecht ou au Standard, que la différence est minime. Mais, affronter ces équipes en match amical ou officiel, n’est pas pareil. On pourrait aussi croire, au vu des résultats réalisés par Zulte Waregem ou Mons, que la différence est minime. Mais ces équipes, même si elles comptaient beaucoup de joueurs amateurs, avaient à leur tête des entraîneurs très modernes comme Francky Dury et José Riga, qui travaillaient déjà comme des professionnels.

Saint-Jean à Dugardein

1. Comment pourrait-on faire revivre l’ambiance qui régnait, au stade mais aussi dans la ville, lors de la première saison en D1 en 1996-1997 ?

En faisant des résultats. Si l’on était champion d’automne, comme en décembre 1996, et si l’on était sur le podium du championnat, comme au printemps 1997, je suis certain que le public reviendrait. D’autres facteurs ont évidemment une incidence. Il y a dix ans, tout était nouveau pour les Mouscronnois : la venue d’Anderlecht et de Bruges,… Il y avait sans doute aussi une communion plus importante entre les joueurs et les supporters : on se retrouvait sur la Grand-Place, on allait boire un verre ensemble. Les mentalités ont changé.

2. Autrefois, tu t’intéressais fort à la formation. T’y intéresses-tu toujours et as-tu appris des choses essentielles à ce sujet durant ton séjour en France ?

Il ne me déplairait pas d’assurer ma reconversion dans ce domaine. Pas en m’occupant des plus jeunes, mais en enseignant les bases tactiques à des joueurs de 15 ans, pourquoi pas ? Le scouting m’intéresserait aussi. Mon séjour en France m’a ouvert les yeux sur plusieurs points. Lorsque j’ai joué avec la Réserve de Caen, je me suis rendu compte que les jeunes de 20 ans avaient déjà un bagage tactique, technique et physique très élaboré. Ils étaient déjà prêts, aussi, à composer avec l’obligation de faire des résultats.

3. Es-tu content du retour d’Alex Teklak pour te soulager dans ton travail de rassembleur au sein du groupe ?

Bien sûr, que je suis content du retour d’Alex. C’est quelqu’un qui se donne toujours à 100 %, vit pour le groupe, ne met jamais sa propre personne en évidence et ose dire les choses en face. Je l’apprécie énormément. Même lorsqu’il ne joue pas, sa présence est très importante pour le groupe. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous sommes les deux meneurs dans le vestiaire, car je ne me suis jamais senti la vocation d’un meneur, mais on a un rôle à jouer vis-à-vis des jeunes comme d’autres anciens l’ont fait avec nous, lorsque nous débutions.

Sanchez à Saint-Jean

1. Que vous a-t-il manqué pour réussir à Mouscron ?

Un peu plus de soutien de la part du staff sportif. Je ne devais pas m’attendre à des cadeaux de ce côté, et j’en avais averti le bourgmestre. Il m’a rassuré, mais Roland Louf peut témoigner de ce qui s’est passé. C’est très difficile d’avancer lorsque tout le staff ne tire pas à la même corde, qu’il y a un frein quelque part. Il m’a aussi manqué un peu plus de chance avec les blessures. Celle de Tonci Martic, par exemple, m’a porté un coup dur : il fédéralisait tout le monde autour du groupe, et avait un peu repris le rôle de Steve Dugardein dans ce domaine.

2. Que manque-t-il à l’équipe nationale pour obtenir des résultats ?

Vaste débat : au niveau du talent, il n’y a pas trop de problèmes. Par contre, comme peu de joueurs sont issus de centres de formation, il y a un petit manque au niveau de la mentalité. Certains sont trop vite contents d’eux-mêmes. D’autres, qui sont partis à l’étranger et ne jouent pas beaucoup dans leur club, sont trop vite découragés. Daniel Van Buyten et Vincent Kompany sont titulaires au Bayern Munich et à Hambourg : c’est le meilleur axe défensif qu’on ait eu depuis des années. Emile et Mbo Mpenza formaient une paire extraordinaire il y a quelques années. Pourquoi n’est-ce plus le cas ? Peut-être parce que, par manque de formation à la base, ils n’ont pas atteint le maximum de leurs qualités mentales.

3. Que préféreriez-vous : battre Mouscron samedi et être éliminé au tour suivant, ou voir Mouscron aller jusqu’en finale ?

Le championnat reste prioritaire pour Tubize. Ce match de Coupe de Belgique, c’est d’abord une fête. C’est déjà très bien d’être arrivé là. Comme plusieurs joueurs de mon équipe sont passés par le Futurosport, ce sera un match particulier pour eux. Pour moi, ce sera aussi un plaisir. Je suis très heureux de retourner au Canonnier. Mes dirigeants auraient sans doute préféré se rendre à Anderlecht ou au Standard, pour obtenir une meilleure recette, mais bon… Si la Coupe vient au second rang de nos préoccupations, cela ne signifie pas qu’on ne jouera pas notre chance à fond. Je ne suis animé par aucun sentiment de revanche vis-à-vis de l’Excelsior. J’habite toujours la Cité des Hurlus, je passe quotidiennement devant le Futurosport et cela m’avait rempli d’aise lorsque j’avais vu des voisins partir avec leurs drapeaux vers le stade Roi Baudouin, en mai dernier.

Saint-Jean à Sanchez

1. Tous les jeunes sont-ils conscients de leur bonheur et que le travail d’un footballeur ne se limite pas aux deux heures d’entraînement quotidien mais se prolonge pendant huit à dix heures par jour ?

En ce qui me concerne, je suis très conscient de mon bonheur. Lorsque je vois mon père se lever à 4 ou 5 heures du matin pour aller travailler à Liège ou à Bruxelles, je me dis que j’ai bien de la chance de gagner ma vie en pratiquant ce qui était mon hobby. Je sais aussi que les deux heures d’entraînement ne suffisent pas. Lorsqu’il y a deux séances sur la journée, je me limite à celles-ci, mais lorsqu’il n’y en a qu’une, j’essaie de faire un peu de musculation ou d’autres exercices. J’ai déjà pris 7 ou 8 kilos, et j’en suis très fier. J’essaie aussi de respecter une bonne hygiène de vie et d’apprendre en regardant les autres. Je ne rate jamais une soirée de Ligue des Champions. Mais il ne faut pas, non plus, devenir esclave de son métier. Lorsqu’on a un week-end libre, je ne le passe pas devant la télé, en regardant les matches. Il faut aussi consacrer du temps à la famille.

2. Que te manque-t-il pour franchir un palier supplémentaire et que fais-tu pour y parvenir ?

D’abord, marquer un peu plus. Inscrire l’un ou l’autre but me libérerait, provoquerait peut-être une sorte de déclic. Je dois apprendre à mieux finir mes actions. Ensuite, quand je réceptionne le ballon, j’ai encore trop tendance à le contrôler vers l’arrière, parce que j’ai peur de le perdre. J’essaie toujours de jouer vers l’avant, mais d’abord, il y a ce contrôle, qui me fait perdre quelques dixièmes de seconde précieux qui ralentissent le jeu. Lorsque je vois des joueurs comme Kaka ou Ronaldinho, je constate qu’ils ont toujours un contrôle orienté vers l’avant, qui leur permet d’accélérer le jeu. J’essaie de me perfectionner dans ce domaine. Notamment, dans certains exercices qui imposent de jouer en trois touches de balle.

2. Comment comptes-tu aborder le match de samedi, d’un point de vue tactique ?

( Iléclatederire) Vous êtes un petit futé ! Vous voudriez que je vous dévoile les plans de bataille de Gil Vandenbrouck ? Comme on jouera à domicile, je suppose qu’on évoluera en 4-4-2, qui est devenu notre tactique habituelle. Je suppose que Gil nous mettra en garde que, de votre côté, vous risquez de changer de tactique en cours de match, en passant par exemple du 4-4-2 au 4-3-3. Personnellement, si j’ai la chance de jouer, j’espère que ce sera dans l’axe, à la même hauteur que Steve, avec des montées alternatives de l’un ou de l’autre. Mais, encore une fois, c’est Gil qui décidera.

Losfeld à Saint-Jean

1. Sur le terrain, il y aura des joueurs comme Daan Van Gijseghem, Paco Sanchez et Bastien Chantry d’un côté, Joachim Mununga de l’autre : tous issus du Futurosport. Ces joueurs auraient-ils joué en D1 ou en D2 si le Futurosport n’avait pas existé ?

Non. On s’est d’ailleurs battu, à un moment donné, pour garder certains d’entre eux, car il régnait encore un esprit  » championnite  » où on privilégiait les plus grands et les plus forts. Paco Sanchez avait la classe, mais il était assez frêle. Pareil pour Bastien Chantry. Je m’étais aussi battu pour garder Cyril Detremmerie. Malheureusement, on l’a écarté dans mon dos et il est parti à Roulers. Si le Futurosport n’avait pas existé, ces joueurs n’auraient jamais pu envisager de faire carrière au niveau pro.

2. A côté de ceux-là, d’autres joueurs passés par le Futurosport n’arrivent pas à percer. Que manque-t-il à leur formation ?

Sans doute, pour beaucoup, la post-formation. Egalement, le fait que le Foot/études n’a pas été généralisé. On avait bien commencé à Mouscron, avec un Foot/études dès la première année primaire, où l’on enseignait les bases mentales aux enfants. En France, à 14 ou 15 ans, on propose aux jeunes les plus doués d’intégrer un centre de formation où on leur apprend un métier : celui de footballeur, comme on apprend à d’autres celui de menuisier ou de charpentier. En Belgique, ce n’est pas possible, mais on aurait pu compenser en commençant plus tôt. Cela a échoué à deux reprises, mais n’a-t-on pas coutume de dire que la troisième fois sera la bonne ? Tu es bien parti, Jean-Louis, d’autant que tu es bien épaulé dans ta tâche. Tu peux réussir, en recommençant le projet avec des contacts peut-être plus jeunes et plus dynamiques que les miens.

3. Contrairement aux pays étrangers, la Belgique dispose de peu de moyens pour former des jeunes. Le Futurosport résulte de la volonté de Jean-Pierre Detremmerie. Comment peut-on convaincre d’autres politiciens du bien- fondé de ce genre d’initiatives ?

Ces dernières années, on n’a fait que supprimer le service militaire, assouplir la discipline à l’école, ôter le goût de l’effort aux jeunes en leur offrant des diplômes bradés. On peut convaincre les hommes politiques d’investir dans le sport en leur faisant comprendre que c’est la meilleure école de vie qui existe.

Saint-Jean à Losfeld

1. Tu avais une situation stable au Centre Nautique de Péronnes. Avec le recul, ne regrettes-tu pas le choix de vie que tu as effectué avec moi ?

Non. J’ai beaucoup appris durant les neuf années passées avec vous, tant sur le plan professionnel que sur le plan humain. Notre rencontre a changé ma vie, mais cela en valait la peine. Il y a trois choses que j’apprécie chez vous : 1° L’aspect humain : vous aimez travailler en équipe, et chaque membre de l’équipe a la chance d’évoluer comme personne. 2° L’entraîneur : vous êtes un homme de terrain, et pour un jeune entraîneur comme moi, ce fut fabuleux de pouvoir être formé à votre contact. 3° La communication : vous avez l’art de faire passer des messages et vous avez toujours entretenu de très bons contacts, avec les parents notamment.

2. Parviens-tu à concilier le travail au Futurosport avec celui au Canonnier ? En d’autres termes : peux-tu t’occuper de la post-formation ?

Mon rôle, dans l’organigramme du club, consiste à m’occuper des jeunes jusqu’à 17 ans. Pour les plus âgés, on a la chance d’avoir un véritable entraîneur mouscronnois, qui est Gil Vandenbrouck. La passerelle entre les -17 ans et l’équipe A, c’est Bernard Decabooter, le nouveau préparateur physique qui est issu du Futurosport. De jeunes joueurs comme Jérémy Huyghebaert, Yohann Broeckaert et Julien Désire peuvent s’entraîner avec l’équipe Première le mardi matin. C’est un plus : cela assure une certaine forme de post-formation. Ils touchent à l’équipe Première, sans en faire partie, et peuvent mesurer le chemin qui leur reste à parcourir.

3. Où te vois-tu dans dix ans ?

Je n’ai pas de plan de carrière, j’espère simplement pouvoir mener chaque projet à bon terme. Je me souviens qu’il y a dix ans, on s’était rencontrés sur une prairie. Cette prairie, c’est devenu le Futurosport, avec une école, 12 ou 13 terrains, et de très belles infrastructures. Qu’aurions-nous pu faire de plus beau ? J’aimerais continuer à travailler au Futurosport, m’investir dans un véritable projet autour de l’enfant, développer un vrai centre de formation à la mouscronnoise. Je suis toujours en congé sans solde, ou plutôt je dispose d’une suspension de contrat, mais je ne me tracasse pas trop à ce niveau-là.

DANIEL DEVOS

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