» L’INDE A FAIT DE MOI UN HOMME MEILLEUR « 

L’aventure indienne d’Harm van Veldhoven est terminée. Sport/Foot Magazine est allé à sa rencontre à New Delhi pour les dernières rencontres des Dynamos et pour voir Kristof Van Hout et Wim Raymaekers, les deux Belges qu’il a pris dans ses valises.

L’été dernier, Harm van Veldhoven a été nommé coach de Delhi Dynamos, une des huit équipes de la nouvelle Indian Super League (ISL). Le gardien Kristof Van Hout et le défenseur Wim Raymaekers l’ont suivi en Inde. Trois Belges sur le sous-continent, la nation du cricket et de Bollywood, pour y jouer au football. N’est-ce pas fou ? Non, sans doute, dans la mesure où les trois Belges étaient sans club : Van Hout était en fin de contrat au RC Genk, Raymaekers était descendu avec OHL et Van Veldhoven était à la maison depuis son renvoi de Malines.

Il a discuté à un moment donné avec Waasland-Beveren mais sans avoir un sentiment positif.  » Je suis ouvert à tout mais je me fixe des exigences. Je ne signe pas n’importe où. Je dois me sentir bien. L’étranger n’est pas un problème pour autant qu’il m’enrichisse, ce qui est le cas de l’Inde. En plus, la brièveté de la mission l’a rendue négociable à la maison. Une fois ma décision prise, je me suis lancé à fond dans l’aventure.  »

Tout a commencé par un coup de fil de Martin van Geel, directeur technique de Roda JC quand il y était entraîneur. Van Geel est maintenant le patron sportif de Feyenoord.  » Martin m’a annoncé qu’une délégation indienne venait afin de mettre en place une collaboration. Elle cherchait aussi un entraîneur et il a pensé à moi. Je me suis écrié : – Martin, l’Inde ? Mais j’ai écouté et trois jours plus tard, nous avions trouvé un accord. Les aspects juridiques et contractuels ont été réglés via Feyenoord.  »

Van Veldhoven m’accompagne, avant de se concentrer sur le match du soir. Il montre une armoire à glace, dans le lobby. C’est un des deux gardes du corps d’Alessandro Del Piero, le marquee player de Delhi Dynamos.  » Un garde du corps le suit partout, l’autre le précède. Cela donne lieu à des scènes cocasses. S’il se penche pour relacer ses chaussures, les deux hommes s’arrêtent et ne bougent plus.  » Il sourit : la star lui a déjà réservé pas mal de surprises.  » C’est quelque chose !  »

Feu d’artifice !

Le Jawaharlal Nehru Stadium peut accueillir 60.000 personnes mais elles sont moins nombreuses pour le match contre Mumbai City. Le troisième des trois anneaux est fermé. Le reste n’est qu’à moitié rempli par 15.000 personnes mais ça n’a pas d’impact sur l’ambiance. Les jeunes sont nombreux, de même que les retardataires. Les équipes montent sur le terrain en foulant un tapis rouge, en plein feu d’artifice. Le public se déchaîne. Plus le ballon est haut, plus les gens jubilent. Trois passes d’affilée ? Applaudissements.

 » Le neuf, c’est Del Piero ? « , demande quelqu’un.

 » Non, il joue avec le dix et n’est pas sur le terrain.  »

Les gens se baladent, mangent du popcorn, font des selfies et posent les uns pour les autres. Pendant ce temps, Hans Mulder, le capitaine néerlandais de Delhi, ouvre la marque juste avant le repos. Feu d’artifice !

Pendant la pause, une beauté indienne, dont la présence avait été divulguée par l’écran géant, fait une apparition remarquée sur le terrain pour une interview. C’est une star de Bollywood, attifée d’un maillot orange du Delhi Dynamos pour l’occasion. La photographe Natalie, visiteuse fréquente de l’Inde, est arrivée aussi. Armée d’une caméra, malgré l’interdiction de filmer et des mesures de sécurité draconiennes. L’Inde en bref.

Cinq minutes après la reprise, c’est 2-0, but de Mads Junker, ex-Malines. Feu d’artifice ! C’est 3-0. Feu d’artifice. De la fumée se mêle au smog, Van Veldhoven saute en l’air. A peine a-t-il atterri que Mumbai méduse Van Hout et réduit l’écart à 3-1. Cela n’empêche pas le stade de jubiler : un but, c’est un but. Feu d’artifice !

Le match s’achève sur le score de 4-1. Nous n’avons pas vu Del Piero.

Dehors, les cris d’euphorie se sont apaisés. Des sans-abri se préparent pour la nuit le long de l’enceinte du stade, dans les vapeurs puantes et le bruit du ring tout proche. Ici, pas de tapis rouges mais des barbelés. Dans le noir, des mains d’enfants se tendent.

La crainte des paris truqués

Le lendemain, dans le bus qui le conduit à l’entraînement, Van Veldhoven ne bronche pas. Il connaît les scènes qui se jouent le long des murs du stade. Toutefois, son visage s’assombrit.  » Regarde : bientôt, ils seront sur la berme centrale, sans se soucier du danger. Ces gens n’ont rien.  »

Del Piero les aurait-il remarqués ? Il est difficile de le lui demander : l’Italien est resté à l’hôtel. Une grippe intestinale, sourit Van Veldhoven, confiant ainsi le motif de son absence la veille.  » Nous l’avons déjà tous attrapée mais lui, il a mis le temps !  »

Sans cette grippe, l’ancien attaquant de la Squadra Azzurra et de la Juventus serait dans le bus. En fait, ce n’est pas si évident. Au début, Del Piero se rendait seul à l’entraînement, escorté par ses accompagnateurs personnels : un agent, un physiothérapeute et… un photographe.

Van Veldhoven, excédé, a fini par en parler avec sa vedette.  » En fait, il voulait arriver plus tôt pour avoir le temps de se faire masser complètement. Pas de problème, lui ai-je dit : tu viens avec nous et l’entraînement commencera dix minutes plus tard. Nous t’attendrons. Cela a résolu le problème.  »

Delhi s’entraîne sur un campus universitaire. De petits aigles – les muses de l’Inde – effectuent des cercles au-dessus du gazon. Cette oasis de verdure et de tranquillité a accueilli le tournoi de rugby des Jeux du Commonwealth en 2010. Quatre agents de sécurité ouvrent l’oeil.

 » C’est un must pour l’ISL « , explique Van Veldhoven.  » Ils nous accompagnent partout. Avant le match, l’un d’eux fait le tour du bus avec un grand sac. Nous devons y laisser nos téléphones. Personne ne peut avoir de téléphone dans le stade, par peur des paris truqués et du match fixing.  »

L’obligation d’aligner cinq Indiens est un casse-tête

Sur le chemin du retour, Van Veldhoven revient sur la modestie de l’assistance, au Jawaharlal Nehru Stadium.  » Delhi n’est pas une ville de football. Notre stade est le moins convivial de tous et nous avons aussi le plus petit budget. Nous n’avons qu’un Del Piero alors que la plupart des autres équipes ont deux ou trois stars. Mais ne vous y trompez pas : nous avons aussi joué devant 80.000 personnes dingues de foot.

L’ISL tente de placer l’Inde sur la carte du football et elle réussit. La publicité est énorme. Tout n’est pas encore top mais ce que les Indiens ont accompli en six mois est incroyable. Il ne faut certainement pas se moquer d’eux.  »

Il connaît les préjugés. Que représente un championnat dont le plus gros contrat est un quadragénaire (Del Piero), le gardien (Van Hout) une doublure en Belgique et le défenseur (Raymaekers) tout sauf un nom dans son pays ?  » Il y a encore beaucoup de progrès à faire sur le plan tactique mais un match moyen en Belgique n’offre pas plus de spectacle « , se défend Van Veldhoven.

 » Les Indiens sont très travailleurs mais moins doués techniquement et tactiquement. Ils ont besoin de temps. Le plus ennuyeux, c’est que les matches se succèdent à un rythme effréné, sans parler des voyages, très fatigants.  »

L’obligation d’aligner au moins cinq Indiens constitue un casse-tête.  » Douze de mes joueurs proviennent d’un draft international. Ils ont cru qu’ils joueraient systématiquement en Inde mais je ne peux en aligner que six simultanément. Beaucoup d’étrangers sont donc frustrés. Il n’a pas été facile d’expliquer à mon gardien tchèque que Kristof était mon premier choix. Mon meilleur arrière droit ne joue pas car je suis obligé d’aligner un Indien.  »

Manque de répondant

Il est frappé par le manque d’esprit d’initiative des Indiens.  » Ici, les gens n’osent généralement pas donner leur avis, de peur que leur patron ne les renvoie. Il y a des millions de gens ici, donc on trouve facilement un remplaçant. On lit parfois la peur dans leur regard. D’autre part, ils sont extrêmement motivés. Les jeunes mettent tout en oeuvre pour saisir leur chance.

J’ai eu un entretien préliminaire avec mes joueurs indiens : sur leur meilleure place, leur idole, ce genre de choses. Ils n’ont pas dû réfléchir un instant. Beckham ! Ronaldo ! Ils sont imprégnés du football européen. Ils vont le copier car ils veulent s’en approcher, à leur façon.  »

Les Indiens idolâtrent les stars. Parfois aveuglément. Van Veldhoven raconte une anecdote :  » Pour promouvoir l’ISL, nous avons dû jouer dans un parc. Personne ne comprenait ce que nous étions en train de faire jusqu’à ce qu’on parle de Del Piero. Ça a fait tilt. Une centaine de personnes a accouru pour poser avec chacun d’entre nous.  »

Del Piero se montre enfin. Il s’arrête un instant à notre table. Bouteille d’eau en mains, il a l’air d’avoir surmonté sa tourista. Il bredouille quelque chose à propos de riz et de thé avant de rejoindre sa cour italienne. Van Veldhoven le suit du regard.  » Il n’est pas méchant. Le problème, c’est son entourage. Il y a toute une entreprise derrière lui. C’est une grande pièce de théâtre. On peut jouer les acteurs mais encore faut-il tourner un film. Je l’ai remplacé une fois et immédiatement, son manager a surgi près du banc. Il m’a ensuite dit que je nuisais à son image. Moi, j’ai répondu que je voulais gagner.  »

Tant pis si c’est sans l’homme dont le maillot numéro dix fait un tabac. Et même s’il devait être mis sous pression parce qu’il diminue l’audimat ou nuit aux intérêts commerciaux de DEN Networks. Van Veldhoven sourit :  » Ça s’est déjà produit. Ce n’est pas toujours facile mais bon, il faut pouvoir dire non.  »

Malgré l’énergie dépensée, il ne s’est pas encore plaint une seconde de s’être lancé dans cette aventure. Les équipes logent à l’hôtel durant toute la durée du championnat. Les adversaires y logent aussi – c’est une des obligations imposées – de sorte que les équipes fraternisent souvent.

 » A Mumbai, j’ai bavardé avec Anelka et Ljungberg. Tout est neuf, personne ne se connaît et il n’y a donc pas de problèmes issus du passé. Une fois, Zico, l’entraîneur brésilien de Goa, est venu me trouver, il m’a saisi par les épaules et m’a dit que son équipe avait eu beaucoup de chance. Ici, les entraîneurs sont dans le même bain. La collégialité est beaucoup plus grande que ce à quoi j’étais habitué.  »

A une petite place des play-offs

Deux jours plus tard, nouveau match. Cette fois, c’est un nul blanc. Del Piero s’est échauffé mais n’est pas entré au jeu. Il est devenu trop lent pour le football de transition qu’il veut développer, estime Van Veldhoven. Le message ne semble toutefois pas encore parvenu à l’attaquant, et encore moins à son entourage.

Le matin suivant, l’Italien est le dernier à monter dans le car. Plus tard, toujours escorté par son staff, c’est un homme heureux qui appuie sur le bouton de l’ascenseur. Il est accompagné de la personne à laquelle il doit cette expérience unique. Martin Van Geel vient d’atterrir pour discuter avec DEN Networks. Il a assisté au match contre Kolkata et va bientôt reprendre l’avion pour les Pays-Bas.

 » Je ne sais pas encore ce que je vais faire « , confie Van Veldhoven en sirotant un verre de vin.  » Le club voudrait poursuivre notre collaboration mais je veux d’abord évaluer cette aventure. Dès mon arrivée, j’ai senti que je voulais participer à ce projet. Je voulais faire quelque chose qui me permette de rester moi-même. Je ne supporte pas les gens malhonnêtes. Hélas, il y en a beaucoup dans notre monde.

J’ai une méthode de travail : je travaille de tout mon coeur. Mais il faut rester correct. Ce n’est pas toujours le cas. Donc, je ne peux pas m’intégrer partout. J’ai besoin de ressentir de la passion, de pouvoir me lancer corps et âme dans mon travail. Delhi était intéressant. J’ai connu des moments difficiles mais ils ne font qu’enrichir mon expérience. Je pense que je reviendrai meilleur, comme homme et comme entraîneur, en Belgique.  »

Le verdict est finalement tombé le 10 décembre : Delhi Dynamos termine cinquième, à une petite place des play-offs. Harm Veldhoven et Kristof Van Hout sont revenus en Belgique le week-end dernier.

PAR JAN HAUSPIE, À NEW DELHI – PHOTOS: NATALIE LYCOPS

 » Friedrich a voulu une photo avec moi. L’année passée, il jouait encore contre le Real avec Dortmund !  » Kristof Van Hout

 » Personne ne peut avoir de téléphone dans le stade, par peur du trucage des matches.  » Harm van Veldhoven

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