L’inconnue

Jeté dans les play-offs à la place de Bolat, l’Ardennais est en questionnements.

Chez lui, là où la Rulles unit la Gaume et l’Ardenne, on prend le temps de préparer ses ambitions. A Habay-la-Neuve, on mesure mieux qu’ailleurs que les rives sont la chance d’un cours d’eau car elles l’empêchent de devenir marécage. Anthony Moris a ses berges à lui : sa région dont il est si fier, la majestueuse forêt d’Anlier où il adore se lancer dans de longues randonnées à vélo :  » Dès que le football m’offre un peu de temps libre, ce grand bol d’air frais me fait un bien fou. La nature est fantastique, mystérieuse et impressionnante quand nos allons écouter le concert des cerfs au moment du brame.  »

C’est le terroir du ministre d’Etat Charles-Ferdinand Nothomb, de l’écrivain Amélie Nothomb et du plus grand grammairien de la langue française, Maurice Grevisse. Le jeune gardien du Standard découvre le  » bon usage de la D1  » avec ce que cela suppose comme joies et remises en question. Anthony est le premier à reconnaître qu’il négocia mal un ballon flottant contre Genk. Personne ne lui a jeté la pierre.  » Je suis étonné par la force de son mental « , explique Georges, son papa que tout le monde appelle Jojo.  » Mon fils ne laisse jamais tomber les bras.  »

A 10 ans, Anthony joue à la JS Habay (club de Promotion D) et fréquente une fois par semaine le centre de perfectionnement et de recrutement du Standard à Sainte-Marie-sur-Semois. Alors entraîneur à Izel et directeur d’une école primaire, Jojo ne se rend pas compte que le petit Anthony ne va pas tarder à bouleverser toute l’organisation familiale. Il a oublié les propos de sa femme quand elle attendait la naissance du fiston : – Celui-là, il bouge tellement qu’il jouera au Standard. Paroles en l’air, souhait, pressentiment ? Le petit Ardennais est convoqué à Sclessin alors qu’il n’a même pas 11 ans. Chez les Moris, les enfants ont la tête bien faite : les trois frères et la soeur d’Anthony sont aux études ou ont décroché des postes au CERN (recherche nucléaire) en Suisse, en informatique, dans le domaine de l’électromécanique. Anthony, lui, a toujours rêvé d’un diplôme à l’Université des Rouches.

 » Preud’homme était mon idole « 

 » Je n’y serais pas arrivé sans ma famille « , insiste-t-il.  » En près de cinq ans, avant que je n’entre à l’internat, mon père a effectué 900 fois le trajet Ardennes-Sart-Tilman, aller-retour. Il a usé quelques voitures mais c’était une époque inoubliable. Je faisais les voyages en compagnie d’autres Luxembourgeois, comme Jordan Feltesse, mon grand ami Thomas Meunier et le plus doué d’entre tous, GaelArend qui a été stoppé par des problèmes de dos. La voiture était notre seconde résidence : on y mangeait, se reposait, étudiait. Mes grands-parents ont apporté leur contribution, eux aussi. Le soir, je déposais mon sac de sport chez eux. Le lendemain matin, tout était lavé et repassé. Et ma boîte à tartines était prête si c’était nécessaire : je n’oublierai jamais ça.  »

Chemin faisant, il travaille avec les Nicolay, père et fils, Christian et Didier Piot, Claudy Dardenne, Jean-FrançoisLecomte, Jorge Veloso, Hans Galjé, Eric Deleu, etc. En janvier 2008, Michel Preud’homme invite Moris et un autre jeune, Jesse Soubry, à s’entraîner de temps en temps avec l’effectif pro.

 » Là, je rêvais les yeux grands ouverts « , raconte Morris.  » Je me suis retrouvé du jour au lendemain avec des stars : Marouane Fellaini, Steven Defour, Milan Jovanovic, Axel Witsel, Dieumerci Mbokani, Igor de Camargo,Dante, Oguchi Onyewu… En tant que gardien, j’ai été impressionné par la gentillesse et la classe d’ AndresEspinoza qui, hélas, était un peu incompris par le public, peu habitué au style sud-américain. C’était dur pour lui mais il n’a jamais perdu son sourire, même sur le banc. Il était doté d’un mental exceptionnel. Jérémy Devriendt était là aussi. Preud’homme n’intervenait quasiment pas dans l’entraînement des portiers. Cela m’a étonné mais j’y ai finalement vu l’expression de sa confiance à l’égard de son staff. Preud’homme était mon idole et cette admiration n’a fait que croître au vu de son travail de coach qui a emmené tout le club vers le titre. Je garde aussi un souvenir ému de Tomislav Ivic qui avait insisté pour que je prenne part à tournoi de jeunes en France.  »

Le transfert à Valenciennes était quasiment conclu

Après le départ de MPH, Moris découvre le football selon Laszlo Bölöni. Certains aiment, d’autres pas tellement et Moris pas du tout :  » Je suis tombé des nues tant la différence de style était énorme. C’est Preud’homme qui a été champion en 2009, pas Bölöni. Le Roumain était sur le banc mais il n’a fait que profiter de l’héritage de Preud’homme. Et j’exagère à peine : il a même bazardé, détruit ce qui avait été mis en place. Un effectif, Bölöni ne savait pas ce que cela signifiait : il ne tenait compte que de son équipe de base au sein de laquelle ses chouchous se comportaient en privilégiés. A la longue, cela a créé pas mal de tensions. Je suivais cela de loin. Un jour, à l’entraînement, il s’est adressé à moi de façon étonnante : – Hé, gardien… Comme ce n’était pas la première fois, j’ai remarqué qu’il ne connaissait ni mon nom ni mon prénom : – Moi, c’est Anthony. Même si je n’étais qu’un jeune, je trouvais Bölöni impoli. Il a parfaitement compris ce que je pensais.  »

Il boucle ses humanités à Sainte-Véronique tout en faisant la connaissance d’un gardien pétri de classe : Sinan Bolat. Personne ne discute ses galons au club, que ce soit Espinoza, Srdjan Blazic, Kristof Van Hout. Moris s’inspire de ses sorties, de son jeu au pied, de la précision de ses dégagements :  » Je le trouve génial et je suis persuadé qu’il a tout pour réussir dans un grand club. Et il partage son expérience.  »

Quand, à la fin 2010-2011, après son succès en finale de la Coupe, le Standard passe dans les mains de Roland Duchâtelet, c’est le flou pour un Moris en fin de contrat. Son agent, Jorge Vidal, connaît bien un des scouts de Valenciennes : Stéphane Pauwels. Moris prend la direction du Stade du Hainaut. L’entraîneur à succès Philippe Montanier, partisan de jeu offensif, a besoin d’un deuxième portier ambitieux. En juillet, l’affaire est quasiment dans le sac quand Montanier cède à l’appel des sirènes de la Real Sociedad en Espagne. Son successeur, Daniel Sanchez, réexamine le dossier alors que le Standard se restructure. Nommé directeur technique, Jean-François de Sart connaît parfaitement Moris : il l’a retenu en équipe nationale Espoirs, l’a observé quand il était T2 du Standard. José Riga songea aussi à lui quand il coachait Visé. Vidal conseille la patience à Moris. Une bonne idée car de Sart ne tarde pas à lui proposer un contrat qui court jusqu’en 2017. Moris cadre avec le nouveau projet du Standard qui veut miser sur la formation, désormais confiée au revenant Christophe Dessy. Et comme l’Ardennais a fait toutes ses classes au Standard, il incarne cette ambition.

Le sms aimable d’Olivier Renard

En juillet, il joue en match amical à Ciney, est la doublure de Bolat en Supercoupe de Belgique. On le voit quelques fois en championnat avant son grand match d’Europa League à Copenhague. Ce sont les hauts mais il y aussi les bas comme en Coupe contre Hoogstraten ou face à Genk en championnat. Il faut que jeunesse se fasse et même un monument comme Bolat a commis des erreurs cette saison.

Pour le prochain championnat, comme Bolat ne sera plus là, le Standard a déjà fait appel à un de ses anciens, Olivier Renard. Sera-t-il le guide de Moris vers l’avenir ou son concurrent ?  » Le gardien de Malines m’a envoyé un sms et m’a dit de jouer comme je sais le faire et de ne pas m’inquiéter pour ce qu’on raconte dans les médias : c’était aimable « , raconte Moris.  » Je sais que rien n’est jamais facile mais j’ai confiance en moi « .

En cette fin de saison, il profite de la blessure de Bolat pour prendre ses marques. Son père n’a pas caché ses inquiétudes :  » C’est un magnifique cadeau mais il recèle des dangers : une équipe décimée, c’est difficile pour un jeune gardien. Le staff du Standard le sait et Anthony apprend… « 

PAR PIERRE BILIC – PHOTO: IMAGEGLOBE

 » C’est Preud’homme qui a été champion en 2009, pas Bölöni. « 

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