L’INCLASSABLE

Impossible de faire plus simple que Thomas Müller dans la vie. Sur le terrain, l’avant du Bayern et de la Mannschaft ne s’inscrit dans aucune catégorie. Mais il ne faut pas le perdre de vue un seul instant.

Peu après la Coupe du Monde 2014, on pose une question à Thomas Müller : pourquoi n’a-t-il pas emmené sa femme au Brésil.  » Ce n’est quand même pas une sacoche qu’on emmène comme ça « , rétorque Müller.  » Elle mène sa vie et a ses propres souhaits.  »

Ce genre de réaction est typique. Comme quand on lui avait demandé pourquoi il avait choisi le numéro treize.  » Parce qu’il était encore libre.  » Il fonce droit au but sur le terrain et dans la vie, ses commentaires fusent de la même manière, ce qui lui vaut parfois des ennuis.

Après le récent revers 2-3 contre l’Angleterre, interrogé sur son sentiment, Müller répond spontanément :  » C’était un match amical typique, dans lequel on se surprend à ne pas y aller à fond.  »

La réponse est franche mais tout le monde n’est pas amused.  » Quand on n’est pas motivé, mieux vaut ne pas venir « , déclare Toni Kroos. Müller hausse les épaules :  » Il ne fait pas bon dire la vérité en Allemagne.  »

Sa spontanéité fait sa popularité. Ce garçon issu du petit village de Pähl, au bord de l’Ammersee, en Haute-Bavière, fait fondre l’Allemagne. Il a le nom le plus répandu, il dit ce qu’il pense et en plus, il joue bien. A 17 ans, il a rencontré Lisa, une cavalière spécialisée en dressage. Il l’a épousée trois ans plus tard. Le couple possède trente chevaux et deux chiens.

BUTEUR-NÉ

En 2009, Jürgen Klinsmann, alors entraîneur du Bayern, convoque Müller : il n’a pas de place pour lui et Hoffenheim est disposé à le louer. Malheureusement, Hoffenheim ne peut verser la somme requise. Ancillo Canepa, le président du FC Zurich, n’aime pas qu’on lui rappelle sa décision de ne pas embaucher le jeune avant.

 » Nous ne l’avions vu que sur DVD et nous cherchions un autre type d’avant.  » Quelques semaines plus tard, le nouvel entraîneur du FC Bâle tente sa chance. Thorsten Fink a gagné la Ligue des Champions 2001 avec le Bayern et le connaît bien. Il convoite deux jeunes : Müller et l’arrière Holger Badstuber.  » J’ai contacté le Bayern, qui a refusé.  » Un autre deal semble en cours, avec le SC Fribourg, promu en Bundesliga. La Forêt Noire est convaincue du transfert. C’est une erreur.

Hermann Gerland (61 ans) n’a pas envie de perdre Müller. Entraîneur de l’équipe B depuis 2001, devenu adjoint depuis, il se tourne vers Uli Hoeness.  » Nous ne pouvions pas vendre un tel joueur. Hoeness m’a demandé si je pouvais lui garantir qu’avec lui, nous gagnerions la Ligue des Champions. J’ai répondu : – Ça pas mais il peut nous rendre de grands services.  »

Gerland est convaincu du potentiel de Müller :  » Au début, il ne savait pas lui-même ce qu’il faisait sur un terrain. Il alternait les actions fantastiques et les mauvais choix mais il marquait toujours. Même quand il n’était pas dans le match. Il savait exactement où courir. Mettre le ballon dans le but est l’essentiel et il possède cette qualité. Il marquait aussi dans les matches importants. Combien de fois n’ai-je pas été sur le point de le remplacer puis nous marquions et je voyais que Thomas était le buteur.  »

Louis van Gaal succède à Klinsmann. Avant de donner son fiat au transfert des deux jeunes, il veut les voir à l’oeuvre. Et les garde. L’entraîneur néerlandais apprécie la polyvalence de Müller. On peut l’aligner n’importe où devant. A gauche, à droite, au centre ou en décrochage, peu importe. C’est ce dont Van Gaal a besoin, même si Müller n’a pas d’expérience et que le compartiment offensif compte déjà Arjen Robben, Franck Ribéry, Miroslav Klose, Mario Gomez, Luca Toni ou Ivica Olic.  » Avec moi, Müller jouera tout le temps « , déclare Van Gaal. Il tient parole. Müller ne rate qu’un des 52 matches de cette saison-là. Il inscrit 19 buts et délivre seize assists.

DES PATTES D’INSECTE

Le jeune Müller du TSV Pähl, son premier club, est chétif dans son équipement noir et jaune. Ses jambes sont aussi maigres que des pattes d’insecte. Il n’a pas l’air d’une star en devenir. Sa course est raide, il n’est ni rapide ni fin technicien. Il n’est pas davantage un génie du dribble ni un athlète accompli.  » J’ai toujours eu des jambes fines mais ce n’est pas grave. Ça m’a aidé à progresser au Bayern car j’ai réalisé que je ne devais pas me servir uniquement de mon corps mais aussi de ma cervelle.  »

Gerland s’énerve de voir l’avant s’effondrer dans les duels.  » Je lui ai dit que j’allais appeler un hélicoptère pour le conduire à l’hôpital s’il continuait. Sa réaction ? Il est resté sur ses jambes.  »

L’instinct de Müller le conduit là où il peut être décisif. Il surgit où on l’attend le moins.  » Il n’a pas un style très orthodoxe « , reconnaît le sélectionneur allemand, Joachim Löw.  » Je ne peux pas expliquer pourquoi il se dirige vers tel endroit. Il ne pense qu’à une chose : comment puis-je marquer ? Il est très difficile de le neutraliser.  »

A neuf ans, il a marqué 120 buts, se souvient son entraîneur du TSV Pähl, Peter Hackl.  » Cette saison-là, nous avons été champions de Bavière. Thomas était notre meilleur buteur mais aussi notre plus forte personnalité.  »

Müller a onze ans quand Jan Pienta, mandaté par le Bayern, le visionne dans un match scolaire.  » Il a inscrit huit buts en un match. Il m’a impressionné « , dit celui qui a également découvert Badstuber, Philipp Lahm et Bastian Schweinsteiger.  » Sa décontraction et son enthousiasme m’ont séduit autant que son sens du but.  »

Pienta est convaincu que la sérénité de Müller, qui ignore toute pression, est à l’origine de son ascension fulgurante, au Bayern comme en équipe nationale. Müller confie ceci au magazine Kicker, qui lui demande s’il connaît la signification du mot pression.  » Je suis meilleur quand il y a un enjeu. J’aime la pression car je sais ce qu’on attend de moi.  »

À L’INSTINCT

Müller franchit un premier cap le 15 août 2008, en remplaçant Miroslav Klose à la 80e minute du match Bayern-HSV (2-2). Il effectue ses débuts internationaux le 3 mars 2010, à Munich, contre l’Argentine. A l’issue de la partie, le sélectionneur argentin, Diego Maradona, s’offusque de découvrir à la conférence de presse un gamin inconnu, en survêtement de l’Allemagne. Que fait là un ramasseur de balles ?

Trois mois plus tard, il dispute le Mondial avec l’Allemagne. Il ne compte encore que trois sélections mais il est titulaire et devient meilleur buteur du tournoi, ex-aequo, avec cinq goals. Il se définit dans les colonnes du Süddeutsche Zeitung :  » Je cherche constamment des brèches afin de faire mal à l’adversaire. Les défenseurs ne savent jamais où je vais me pointer. On peut exercer certains mouvements à l’entraînement mais je fonctionne à l’instinct. Je reconnais que quand j’échoue, j’ai l’air un peu bizarre.  »

Il explique au mensuel 11 Freunde :  » Au sein de l’équipe, je suis responsable de l’anarchie. Il faut quelqu’un comme moi dans toutes les équipes.  »

Ces six dernières années, Müller a marqué en moyenne 21 buts pour le Bayern, toutes compétitions confondues. Lors des deux dernières Coupes du Monde, son compteur a atteint cinq buts. Malgré ses 26 ans, il figure déjà parmi les cinq meilleurs buteurs de tous les temps du Bayern.

Le club bavarois a eu un moment d’inquiétude en été. Manchester United convoitait Müller, qui n’a pas dit non de suite. Pas seulement à cause des salaires de la Premier League ni de l’aura de United mais pour son entraîneur, Louis van Gaal, celui qui s’est opposé à ce qu’il quitte le Bayern.  » Il m’a trouvé quelque chose au moment où personne ne me considérait comme un talent.  » Malgré les cent millions d’euros que United est prêt à verser, le transfert ne se réalise pas.

En décembre, soulagement général : Müller, lié jusqu’en 2019, prolonge jusqu’en 2021. Il devient un des plus gros salaires de Bundesliga. D’après Bild, son salaire annuel est passé de 8,5 millions par an à 15 millions alors que Franck Ribéry, Robert Lewandowski et Mario Götze ne gagnent que douze millions.

Thomas Müller est satisfait de la reconnaissance du club auquel il est affilié depuis ses onze ans et qu’il venait supporter, petit, avec son père et son grand-père.  » J’ai reçu des offres intéressantes « , confie-t-il à la TV du club,  » mais pour le moment, le Bayern fait partie du top trois avec le Real et Barcelone. L’Angleterre paie bien mais ne figure plus parmi l’élite sportive. Mon choix a donc été simple.  »

La Bavière se réjouit de conserver son produit du cru. Dans les soirées des clubs de supporters, Müller est un invité très apprécié. Son accent bavarois le rend encore plus proche des gens. Quand des enfants lui demandent s’il porte encore ses culottes en cuir, il répond :  » Dans toutes les occasions qui s’y prêtent et il y en a beaucoup, puisque j’habite la région.  »

PAR NICK BIDWELL ET GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

Malgré ses 26 ans, il figure déjà parmi les cinq meilleurs buteurs de tous les temps du Bayern.

Thomas Müller est à ce point polyvalent qu’on peut le placer n’importe où devant.

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