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L’imprévisible Gallois

Depuis quelques années, la carrière de Gareth Bale emprunte un chemin sinueux. Cette saison ne fait pas exception. Comment l’ancien Madrilène en est-il arrivé là et comment envisage-t-il l’avenir?

Le 20 octobre 2010, le monde découvre Gareth Bale, un jeune arrière gauche de Tottenham, qui cause bien du souci à la défense d’un Inter qui sort pourtant d’un triplé sous la direction de José Mourinho. Le Gallois inscrit alors trois buts et donne le tournis au Brésilien Maicon, l’un des meilleurs arrières droits du monde.

Les Nerazzurri l’emportent certes 4-3, mais c’est Gareth Bale qui dépose sa carte de visite sur le bureau de la planète football.  » An amazing performance« , déclare Harry Redknapp, le coach des Spurs de l’époque. Dès cet instant, il apparaît que l’avenir de Bale ne se situe pas dans la ligne arrière. Dans l’autobiographie de Redknapp, Always Managing, l’entraîneur anglais affirme à ce sujet: « Gareth semblait trop léger pour un défenseur, nous l’avons donc positionné plus haut sur le terrain. »

L’équipe a besoin de son talent. Il est meilleur que jamais. Dans cette forme-là, aucun entraîneur ne peut se permettre de le laisser sur le banc. » José Mourinho

Au cours des années suivantes, on s’aperçoit que ce choix est bel et bien le bon. En 2013, c’est en tant qu’ailier gauche que Bale remporte tous les prix individuels imaginables en Premier League et gratte un transfert au Real Madrid. Les Merengues déboursent plus de cent millions d’euros pour acquérir ses services – un record à l’époque – et le Gallois se retrouve à former la mythique BBC, aux côtés de Cristiano Ronaldo et Karim Benzema.

Gareth Bale a déjà été décisif à quelques reprises cette saison pour les Spurs.
Gareth Bale a déjà été décisif à quelques reprises cette saison pour les Spurs.© GETTY

Bale quitte la pluie de Londres pour le soleil de Madrid, et s’intègre parfaitement dans l’effectif du Real. Sous le maillot castillan, il délivre des assists et marque comme il respire, dont le but décisif du 2-1 lors des prolongations, en finale de la Ligue des Champions 2014 contre le voisin de l’Atlético. C’est ainsi que le gamin de Cardiff offre la légendaire dixième coupe aux grandes oreilles, La Décima, à son club . « Un rêve », déclare-t-il sur le terrain de Lisbonne. « C’est pour vivre des moments pareils que je suis venu au Real Madrid. »

Ses prestations restent régulières jusqu’en 2016. Mais par après, Bale souffre de blessures et ses statistiques oscillent entre le bon et le moins bon. Ses relations avec l’entraîneur Zinédine Zidane sont quant à elles tendues. Durant la saison 2019-20, le Gallois touche carrément le fond et ne joue presque plus. On le voit même s’asseoir avec désinvolture en tribune et il préfère jouer au golf que de se concentrer sur son métier. « Le pays de Galles. Le golf. Et Madrid. Dans cet ordre-là », peut-on lire sur le drapeau gallois avec lequel il pose lorsque son pays se qualifie pour l’EURO, en 2019.

Le grand retour

« Je voulais déjà le faire venir à Madrid depuis longtemps », déclare Mourinho lorsqu’il évoque sa période madrilène. Flash-back. La saison dernière, devenu coach de Tottenham, le Mou a bien besoin d’un peu plus de poids devant. Il ne dispose d’aucun back-up pour Harry Kane et en dehors de Son Heung-min, la production offensive reste décevante. Le Portugais n’est pas satisfait non plus du rendement irrégulier du milieu de terrain Dele Alli, comme on le découvre dans le documentaire d’Amazon Prime sur Tottenham, All or Nothing: « Où est Dele? J’ai déjà entendu que tu étais fucking fainéant à l’entraînement. Je n’ai pas besoin de gens comme ça. »

Que se passera-t-il après cette saison? Tottenham serait en position de force et pourrait prolonger son contrat de location d’une saison supplémentaire.

Au départ, Bale n’est pas convaincu de l’utilité d’un retour en prêt dans son ancienne équipe, mais après une saison passée sur le banc à Madrid, le joueur et son influent agent, Jonathan Barnett, estiment qu’il est temps d’aller voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. L’opération va cependant se révéler plus compliquée que prévu, car en 2019, la direction madrilène a déjà élaboré un transfert vers le club chinois de Jiangsu Suning, pour se débarrasser du joueur.

Le président des Spurs, Daniel Levy, a la réputation d’être dur en affaires, mais son faible pour l’ancienne star du club et son amitié avec Barnett rendent un accord avec les Londoniens plus évident qu’avec d’autres équipes. En outre, le Real est dans le collimateur du fair-play financier, et le champion d’Espagne voit dans un départ de Bale une opportunité de réduire considérablement sa masse salariale de plus de trente millions d’euros. C’est d’ailleurs pour la même raison que le Real laissera également partir gratuitement James Rodríguez (Everton) et se décidera à se séparer de ses défenseurs latéraux Sergio Reguilón (également parti chez les Spurs), et Achraf Hakimi (Inter).

Avec Ryan Giggs, l'actuel sélectionneur du pays de Galles.
Avec Ryan Giggs, l’actuel sélectionneur du pays de Galles.© GETTY

Pour retrouver son amour du football, rien de mieux pour Gareth Bale que de retourner dans le nord de Londres, là où autrefois, il faisait fureur à White Hart Lane. Au final, l’attaquant revient sous forme de prêt dans le nouveau Tottenham Hotspur Stadium. Le Real Madrid continue à payer 60% de son salaire, mais même avec seulement 40% de son super-contrat, Bale reste le joueur le mieux payé du vestiaire anglais. À titre de comparaison, Harry Kane et Tanguy Ndombélé gagnent tous les deux 230.000 euros par semaine, soit près de 50.000 euros de moins que leur nouvel équipier.

Après de longues négociations de plusieurs semaines, les Lillywhites annoncent le 19 septembre « le grand retour » de Bale, avec une compilation de ses meilleurs moments sous le maillot de Tottenham. Le rêve de tout supporter des Spurs devient réalité.

Message sur Instagram

Après un mois d’attente, Bale figure enfin sur la feuille de match contre West Ham. Car si Daniel Levy a fait revenir le puissant ailier dans le nord de la City, c’est pour qu’il produise un impact sur le jeu. Mais au début, le Gallois doit se contenter d’apparitions en Premier League et de titularisations contre de petites équipes en Coupe ou en Europa League.

Il semble logique que Bale ait besoin de retrouver la forme après une longue période d’inactivité, mais de là à utiliser avec autant de parcimonie un tel phénomène physique et un joueur du talent de Bale… Et s’il existait des raisons autres qu’un simple « choix tactique »?

Le 9 février, l’ailier de 31 ans poste une photo d’entraînement sur Instagram avec la mention: « Un bon entraînement, aujourd’hui. » Trois jours plus tard, lors d’une conférence de presse, son patron sportif précise: « C’est prendre beaucoup de libertés avec la réalité. Depuis le début de la saison, j’essaie que rien ne sorte du vestiaire, mais dans ce cas-ci, je me dois de rectifier. Il n’a peut-être pas posté ce message lui-même, mais son contenu est complètement faux », assène Mourinho.

Le Special One n’est pourtant pas du genre à critiquer ses joueurs en public. Gareth avait-il besoin d’être remis à sa place? Il faut dire qu’à ce moment-là, son équipe traverse depuis un moment une période plus compliquée. Tottenham éprouve des difficultés à se créer des occasions, et lorsque Kane ou Son ne sont pas en réussite, le moteur connaît des ratés. Le coach est conscient qu’un Gareth Bale au meilleur de sa forme pourrait lui être bien utile.

« Meilleur que jamais »

Une semaine plus tard, Bale est titularisé contre l’un des Petits Poucets de l’Europa League, le Wolfsberger AC. Il reçoit l’occasion de prouver qu’il mérite une place dans le onze de base. Face au club autrichien, Bale offre rapidement un but à son pote en attaque, Son. Et à la demi-heure, il inscrit lui-même le 0-2.

Le double affrontement débouche sur un score cumulé de 8-1, avec un but de Bale lors du match retour. Pendant le week-end entre les deux matches, il monte au jeu pour essayer de refaire un retard contre West Ham. Il délivre un assist et permet à Tottenham de sauver l’honneur, mais on en restera là. Quoi qu’il en soit, Bale livre des prestations encourageantes, susceptibles de lui permettre de regagner la confiance de l’entraîneur.

La semaine suivante, Bale est au coup d’envoi contre Burnley, une équipe très défensive contre laquelle son talent créatif peut se révéler bien utile. Face aux Clarets, il n’y a plus d’excuses pour ne plus faire appel à l’ancien capitaine. Ndombélé est de son côté aligné un peu plus bas dans l’entrejeu afin de faire de la place pour Bale.

Ce dernier remercie directement son entraîneur, en marquant après deux minutes de jeu. Dix minutes plus tard, il offre une nouvelle passe décisive, et juste après le repos, il donne au score son allure définitive: 4-0. Bref, une belle prestation qui ne passe pas inaperçue. « L’équipe a besoin de son talent. Il est meilleur que jamais. Dans cette forme-là, aucun entraîneur ne peut se permettre de le laisser sur le banc », sourit Mourinho devant les caméras de Sky Sports.

Bale l’avoue lui-même, soulagé: « J’ai travaillé ma condition physique et la forme revient tout doucement. Je suis satisfait de cette prestation. Je suis venu ici pour jouer avec des footballeurs comme Son et Kane, espérons que nous aurons encore l’occasion de jouer ensemble. »

Tottenham doit encore disputer pas mal de matches en Premier League, est en finale de la Carabao Cup et qualifié en huitièmes de finale de l’Europa League. Pour Bale et les Spurs, il est donc encore temps de quitter ces sentiers de l’ombre pour emprunter ceux de la gloire.

Mais que se passera-t-il après cette saison? L’équipe londonienne serait, semble-t-il, en position de force pour reprendre Bale. Le contrat de location pourrait être prolongé d’un an, mais lors de la conférence de presse précédant le match contre Fulham, les questions concernant une éventuelle prolongation ont manifestement irrité Mourinho: « C’est une question qu’il faut poser au Real Madrid, c’est leur joueur. Il est chez nous en prêt et j’espère en tirer le meilleur parti. »

Le contrat de Bale à Madrid arrive à échéance en 2022. Après cette saison, il sera donc libre d’être transféré gratuitement dans le club de son choix. Le président du Real, Florentino Pérez, avait sans doute imaginé un autre scénario lorsqu’il avait claqué cent millions d’euros, il y a sept ans. Pour le Real Madrid, c’est une triste fin, mais pour le Gallois de 31 ans, c’est une occasion unique de relancer sa carrière.

L’héritier du Magicien Gallois

En 2006, à seize ans à peine, Gareth Bale débute sa carrière internationale pour le pays de Galles à l’occasion d’un match amical contre Trinité & Tobago, qui se prépare pour la Coupe du monde en Allemagne. Bale est loin d’être l’athlète de haut niveau que l’on connaît aujourd’hui, c’est encore un gamin fluet qui n’a que 180 minutes de jeu en Championship pour le compte de Southampton dans les jambes .

Le pays de Galles occupe à l’époque la 73e place au classement FIFA et, excepté la star de Manchester United Ryan Giggs, ne possède que peu de joueurs connus. Un gamin de seize ans qui joue en deuxième division anglaise peut donc parfaitement faire l’affaire, et après dix minutes en deuxième mi-temps, le jeune Bale gagne le droit de monter au jeu. Et il ne déçoit pas. Quelques minutes avant le coup de sifflet final, il centre pour Robert Earnshaw, qui inscrit le but victorieux.

« Il peut être fier de sa prestation. Il nous a impressionnés et il n’a sans doute pas fini de nous étonner », s’enthousiasme le coach John Toshack à l’issue du match. Gareth lui-même se montre plus modeste: « Je ne m’y attendais pas du tout. J’étais déjà content de m’échauffer le long de la touche, en espérant pouvoir monter au jeu. » Personne n’imagine alors le parcours que Bale s’apprête à réaliser.

Giggs est alors surnommé Le Magicien Gallois, pour sa créativité et son habileté à dribbler. Meilleur donneur d’assists de la Premier League, Giggsy serait une superstar dans n’importe quel pays, mais pour le petit pays de Galles, qui ne compte aucun autre nom ronflant, il est carrément irremplaçable. Dans les années qui précèdent sa retraite en 2014, il se montre cependant de moins en moins décisif.

Heureusement pour Cymru – le pays de Galles en version originale – Bale débarque et s’affirme de plus en plus. Il devient un joueur capable de prendre le relais. Giggs raccroche les crampons un an après le transfert record de Bale au Real Madrid. Difficile de trouver passation de témoin – ou plutôt de baguette magique – plus évidente. Avec des joueurs expérimentés de Premier League et des jeunes talents comme Ben Davies, Joe Allen, Ashley Williams, Wayne Hennessey et Aaron Ramsey, le nouveau Wizard a en outre la possibilité de déléguer davantage que dans le passé, sous l’oeil averti du sélectionneur Chris Coleman.

Depuis, le pays de Galles s’est affirmé comme une nation solide, qui profite des erreurs de l’adversaire, mais capable aussi de produire du jeu. Avec de nouveaux talents comme Rabbi Matondo, Daniel James, David Brooks, Joe Rodon et Ethan Ampadu, le niveau technique est plus élevé et dense qu’autrefois. Même si le capitaine Bale, meilleur buteur de l’histoire de sa sélection, fait toujours la différence, les Gallois ne dépendent plus uniquement d’un seul homme. « Nous possédons désormais d’autres joueurs capables de remporter un match international », confirme l’arrière gauche Neil Taylor au micro de la BBC.

Cet été, les Dragons participeront à leur deuxième grand tournoi depuis 2016, après que la Coupe du monde 2018 en Russie leur ait échappé de peu. Malgré tout, durant les qualifications, ils ont affiché des progrès évidents par rapport aux éliminatoires pour le Mondial 2014 au Brésil, où ils avaient terminé avant-derniers avec dix points dans le même groupe que les Diables rouges.

Sur la route du Qatar, le pays de Galles, coaché depuis 2018 par Ryan Giggs, a de nouveau été versé avec la Belgique et est cette fois bien décidé à se qualifier. « Nous voulons poursuivre notre marche en avant. À l’avenir, nous voulons nous qualifier pour chaque grand tournoi », clame le Magicien Gallois.

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