L’IMPASSE

Une gauche sens dessus dessous, un Front national qui réalise une percée historique aux dépens de la droite. Après le premier tour d’élections régionales aux allures de désaveu pour l’exécutif, François Hollande et Manuel Valls se retrouvent déboussolés. Comment réagir ? Les réponses sécuritaires, ils le savent désormais, ne suffiront pas à reconquérir l’opinion publique.

Non, Manuel Valls n’a pas envie de faire un selfie.  » Pas aujourd’hui.  » Le jeune d’Evry, qui a poliment demandé au Premier ministre français, range donc son téléphone portable. En ce dimanche matin d’élections, le 6 décembre, l’élu semble anxieux. Il se rend d’un bureau de vote à un autre, délaissant quelques instants sa voiture officielle, et son cortège policier, pour marcher dans ces rues qu’il connaît par coeur… Besoin d’air ? Ces temps-ci, il dort mal. Quand il parle, il s’entremêle les doigts, nerveusement.  » En janvier, il y avait eu, après les attentats, la manif du dimanche 11, qui avait été un moment de catharsis, où la parole avait circulé, confie Valls au Vif/L’Express. Là, avec les événements du 13 novembre, il n’y a pas de répit.  » La menace terroriste est toujours présente. Et la montée du FN, irrépressible, contre laquelle Manuel Valls lutte depuis des mois. En vain.

Le Premier ministre veut sonder ses anciens administrés. Mais les électeurs se font rares. Ici, dans un gymnase, les isoloirs sont désertés. Là, une salle de classe attend désespérément des citoyens. Manuel Valls salue les assesseurs et une dame âgée qui a perdu sa carte d’identité. Dans la préfecture de l’Essonne, au sud de Paris, 2 habitants sur 3 sont restés à la maison. Le politique n’attire pas. Manuel Valls plaide pour une  » recomposition  » un peu plus attractive du paysage politique, destinée à contrer l’extrême droite.  » La présidentielle est un bon moment pour ce genre de recompositions « , estime-t-il. Et d’ajouter :  » Le prochain président de la République, quel qu’il soit, risque d’être élu face au FN. Que fait-on après ?  »

Le chef de l’Etat considère qu’il a une bonne équipe

La question d’un rapprochement avec la droite modérée est posée. Et tant pis, prévient Valls, si cela passe pour une preuve de plus de l’existence de la fameuse  » UMPS  » dénoncée par le Front national.  » J’assume.  » Le député Malek Boutih, proche du Premier ministre, enfonce le clou :  » Mieux vaut l’UMPS que le FNPG.  » Une alliance entre le Front national et le Parti de gauche…

Jean-Marc Ayrault a été débarqué au lendemain du fiasco aux élections municipales, en avril 2014. Son successeur ne sera pas sacrifié, malgré la perte de régions symboliques comme Provence-Alpes-Côte d’Azur ou Nord – Pas-de-Calais – Picardie. François Hollande ne veut rien chambouler, en plein état d’urgence.  » Le chef de l’Etat considère qu’il a une bonne équipe, dit l’un de ses conseillers. Alors pourquoi en changer ?  » L’Elysée a beaucoup phosphoré sur le remaniement postrégionales. Il devait vraisemblablement intervenir en janvier 2016. Pour l’instant, il est remisé dans les cartons. A l’origine, il s’agissait de faire entrer d’autres sensibilités politiques, de réintégrer les écologistes après la conférence de Paris sur le climat, voire des centristes. Une ministre constate :  » Dans le contexte actuel, qui oserait toucher à Le Drian, Cazeneuve (NDLR : les ministres de la Défense et de l’Intérieur) ou Valls ?  » Le piètre score des partenaires du PS aux régionales n’incite pas non plus à faire entrer ces nouvelles composantes.

François Hollande ne prend pas seulement ses ministres à contre-pied. Son électorat aussi a de quoi perdre son latin.  » La gauche a été élue en promettant le droit de vote des immigrés aux élections locales ; elle ne le fait pas et finit par proposer la déchéance de nationalité pour les binationaux « , s’étrangle un député PS  » frondeur « . Une mesure réclamée par la droite et l’extrême droite depuis des années.  » François Hollande vide l’eau du bocal de l’opposition pour l’empêcher de polémiquer avec nous, avant la réforme constitutionnelle « , décrypte un ami du chef de l’Etat.

Après le virage social-libéral, voici donc le virage sécuritaire : constitutionnalisation de l’état d’urgence, renforts de l’armée, prêt d’armes aux polices municipales, assouplissement envisagé des règles d’ouverture du feu pour les gendarmes… Les digues tombent.  » Si Marine Le Pen est élue un jour présidente, elle trouvera à sa disposition un régime d’exception revisité, dont on peut se demander quel usage elle fera « , s’inquiète un parlementaire socialiste de la région Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées.  » L’électorat de gauche plébiscite toutes les mesures sécuritaires « , se défend Manuel Valls. A droite, on dénonce une manoeuvre politicienne, mais il reste difficile d’attaquer un chef de l’Etat qui se drape dans l’habit du défenseur de la nation en danger.

Omniprésent et protecteur au moment des événements du 13 novembre, ultraexposé sur le plan international, François Hollande voit sa courbe de popularité bondir.  » C’est la fonction qui est plébiscitée, ce n’est pas un soutien à François Hollande « , tempère le président du groupe les Républicains à l’Assemblée nationale, Christian Jacob. Qui l’eût prédit ? Hollande, qui était moins visible et moins populaire que son Premier ministre, le dépasse maintenant sur ces deux registres.

A l’Elysée, bon prince, on s’offre maintenant le luxe de saluer les actions les plus controversées du Premier ministre. Exemple : les piques du chef de l’Etat français contre la notion de  » guerre de civilisation  » (expression utilisée par Manuel Valls) ? Oubliées. L’idée d’envisager une  » fusion  » des listes PS avec la droite pour contrer le FN en Nord – Pas-de-Calais – Picardie, brandie en pleine campagne ? Pas du tout intempestive. Pensez donc :  » Cette initiative a permis de tester l’idée, souligne-t-on dans l’entourage de François Hollande. On s’est rendu compte que tout le monde à droite était contre le principe d’une fusion. Même François Bayrou !  » Pierre de Saintignon, le candidat socialiste en Nord Pas-de-Calais Picardie, n’est pas prêt à l’oublier.  » On voulait parler emploi et région, pas faire une campagne sur le non au FN, déplore un cadre de son équipe. Ça, c’est l’agenda personnel de M. Valls.  »

Dernière menace agitée par Valls : la Libye

A Matignon, on sait aussi se montrer aimable.  » Depuis janvier, avec le chef de l’Etat, nous avons consolidé nos automatismes « , se félicite le Premier ministre. Les deux têtes de l’exécutif ont rodé une nouvelle répartition des rôles. Acrobatique. Le Président joue la protection et l’apaisement, quand le Premier ministre dégaine parler  » cash  » et propos alarmistes, comme lorsqu’il évoque l’éventualité d’un attentat à l’arme chimique sur le sol français. Sans compter certaines colères, comme à l’Assemblée nationale, quand la séance de questions au gouvernement après les attentats a dégénéré.  » On n’avait même pas encore pris la parole que le Premier ministre déjà était en autoallumage « , assure Christian Jacob. Dernière menace agitée : la Libye.  » La communauté internationale va devoir intervenir d’une façon ou d’une autre, pour faire face aux milliers de djihadistes qui s’y trouvent « , confie Manuel Valls.

L’ancien maire d’Evry doit aussi composer avec le médiatique ministre de l’Intérieur.  » Bernard Cazeneuve est en train de faire oublier l’empreinte laissée par son prédécesseur Place Beauvau « , persifle un collaborateur du chef de l’Etat. Manuel Valls est obligé de jouer des coudes pour rappeler à tous son existence. C’est ainsi que, le 3 décembre, il rapatrie à Matignon une réunion censée se tenir au ministère de l’Economie, à Bercy, sous la tutelle de la secrétaire d’Etat chargée du Numérique, Axelle Lemaire. Autour de la table, les représentants d’Apple, Twitter, Google, Microsoft et Facebook (l’un de ses responsables est venu spécialement des Etats-Unis). Le 13 novembre, les géants du Web ont permis de localiser et de rassurer nombre de Parisiens. Valls veut les remercier :  » Vous avez joué un rôle majeur pour nous aider à gérer au mieux les terribles attentats. Internet est aussi un outil de partage, d’information, de fraternité.  » Et d’ajouter, la mine soudain grave :  » De tels actes risquent de se reproduire. Que peut-on améliorer ? Pouvez-vous nous aider aussi à porter des contre-discours (NDLR : messages destinés à contrer la propagande de Daech) ?  »

Pourtant, les réponses sécuritaires ne suffisent pas à reconquérir l’opinion publique.  » J’ai toujours dit que, si nous ne faisions pas notre mutation quand nous étions dans l’opposition, dit Manuel Valls, nous devrions la faire dans l’expérience du pouvoir.  » L’exécutif français est au milieu du gué.

Par Marcelo Wesfreid

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