L’image, mais pas le son

Le capitaine argentin d’Anderlecht est actuellement critiqué. Pour son jeu mais aussi pour son attitude.

Vendredi 7 avril. Sur le coup de 22 h 15, au terme du Clásico Standard-Anderlecht qui s’est soldé par un partage blanc, LucasBiglia réunit ses hommes au centre du terrain. Le message que fait passer le capitaine mauve est apparemment clair : motus et bouche cousue vis-à-vis de la presse.

MilanJovanovic, qui s’est déjà écarté pour s’exprimer devant les caméras de Telenet, n’est pas encore au courant et parle quand même. Plus tard, en quittant le stade via la zone mixte (là où la presse peut rencontrer les joueurs), les Mauves défilent sans dire un mot, au grand dam des journalistes peu habitués à cela. C’est courant à l’étranger que les footballeurs quittent le stade sans s’exprimer après un résultat décevant, mais en Belgique cela fait un tollé. Plus tard dans la soirée, depuis le bus de l’équipe, le responsable de la communication DavidSteegen envoie un message émanant de l’Argentin :  » Le sentiment réside depuis un bon moment dans le groupe. La façon dont le club a été traité par certains médias n’a pas été juste. Si la presse est correcte, nous le serons également « .

Le mardi, Biglia apparaît en conférence de presse afin d’expliquer les raisons du silenziostampa. Cela concerne bien le cas de MarcinWasilewski. Là encore, la presse s’offusque : n’avait-elle pas le droit de critiquer le coup de coude du Polonais envers PeterDelorge alors que la direction du Sporting elle-même l’avait condamné ?

Lors de cette conférence de presse, Biglia s’est exprimé exclusivement en espagnol, avec la traduction du team manager JoséGarcia, ce a qui fait encore jaser car il est en Belgique depuis cinq ans et ne parle toujours pas l’une des deux langues nationales. En fait, Biglia comprend très bien le français. Souvent, lors des conférences de presse, les journalistes lui posent toutes les questions dans la langue de Molière, mais il préfère – par timidité ou par crainte de ne pas utiliser les mots adéquats – répondre dans sa langue maternelle.

Pour certains, c’est difficile à accepter. Du coup, les critiques – déjà latentes – sur le jeu de Biglia fusent également : il n’est plus le même qu’avant son opération à l’épaule, il est trop gros, n’avance plus, etc.

A-t-il repris trop tôt après son opération à l’épaule ?  » Non « , assure le kiné d’Anderlecht, JochenDeCoene.  » Son épaule est complètement guérie, il ne ressent plus rien et ne reçoit pas de soins particuliers. Lucas est fit.  »

Un vrai leader malgré un caractère introverti

Quoi qu’il en soit, cette attitude démontre que malgré un caractère introverti, Biglia est bien un vrai leader. Ce que plusieurs sources confirment. Dans le vestiaire, il n’hésiterait pas à prendre ses responsabilités. Il est aussi très impliqué dans la gestion du groupe. Son souci de vouloir défendre Wasilewski -et donc l’intérêt à la fois du joueur et de l’équipe- est louable. On raconte aussi qu’il aurait fondu en larmes, dans le bus lors d’un retour de Bruges, parce qu’il avait dû quitter le terrain sur blessure et n’avait donc plus été d’aucune utilité. Et que lorsqu’il n’était pas en état de jouer, il insistait toujours pour pouvoir accompagner le groupe.

Biglia est originaire de Mercedes, à 100 kilomètres au nord-ouest de Buenos Aires. Les gens y vivent de la culture du soja. Biglia est issu d’une famille de cinq enfants. Il a vécu une enfance sans histoire.  » Au départ, son père croyait plus en Cristian, son frère aîné, mais Lucas a eu plus de chance « , estime sa maman Stella, supportrice invétérée. Lucas a commencé à jouer à l’Atlético Quilmes. Après deux ans, son père Miguel, aujourd’hui décédé, l’a transféré à l’Estudiantes Mercedes, un club plus grand et plus riche. Miguel a également joué au football, comme médian offensif. Un tempérament, assez bavard, paraît-il. A l’Estudiantes Mercedes, Lucas état au-dessus du lot, et après deux ans, son père l’a de nouveau transféré, à Buenos Aires, chez les Argentinos Juniors. Il y a atteint l’équipe Première en 2004, puis a été recruté par Independiente en janvier 2005, là où Anderlecht l’a découvert.

 » Lucas a toujours eu bon caractère « , se remémore RobertoGomez, son premier entraîneur à Quilmes. A Buenos Aires, beaucoup de talents se perdent. Lucas a consenti beaucoup de sacrifices pour réussir.  »

En juin 2005, il fut champion du monde aux Pays-Bas, avec la génération de LionelMessi. Il y a parfois porté le brassard de capitaine, même s’il n’a pas joué tous les matches. Biglia a été convoqué une première fois en équipe nationale A lors d’un match amical disputé au Qatar contre le Brésil, en novembre 2010, mais n’est pas monté au jeu. Il a réalisé son rêve le 9 février 2011, en jouant quelques minutes contre le Portugal, à Genève (victoire 2-1). Il a été titulaire le 29 mars 2011, lors d’un autre match amical contre le Costa Rica, et a même porté le brassard en deuxième mi-temps. Le sélectionneur SergioBatista, qui fut son entraîneur à Argentinos Juniors, l’a retenu pour la Copa America où il a joué quelques minutes malgré sa blessure à l’épaule. Depuis le limogeage de Batista et son remplacement par AlejandroSabella, il n’a plus été retenu. Il compte aujourd’hui six sélections (0 but).

 » Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il parle très bien français… « 

 » Je doute qu’Anderlecht m’appelle un jour pour devenir le successeur de Biglia « , a déclaré KillianOvermeire, le capitaine de Lokeren qui évolue dans le même rôle.  » Techniquement, il est beaucoup plus fort que moi. C’est un joueur magnifique lorsqu’il est au sommet de sa forme… ce qui ne me semble pas être le cas ces dernières semaines, à l’exception du match à Gand où je l’avais trouvé très bon. Il est resté une longue période sans jouer, ceci explique peut-être cela. Ce qu’il a de spécial ? Tous les ballons passent par lui. Il les distribue avec bonheur, en récupère également beaucoup. Il tire ses coéquipiers vers le haut. Les critiques sur un jeu trop latéral sont, à mon sens, infondées. Un Biglia en forme est d’une importance cruciale pour Anderlecht. Son caractère ? C’est un garçon discret, et très correct sur le terrain.  »

L’ancien médecin du Sporting, Kristof Sas, aujourd’hui passé au Club Bruges :  » Lorsqu’il est arrivé à Anderlecht, il était encore très timide, mais avec le temps, il s’est érigé en véritable leader. Au sein du groupe de joueurs, mais également vis-à-vis de l’entourage. C’est un homme de très agréable compagnie. Quelqu’un qui incite au respect. Il est aussi très professionnel, il se soigne parfaitement. S’il est un leader dans le vestiaire, il l’est également sur le terrain. La position centrale qu’il occupe sur la pelouse favorise évidemment ce leadership. Tout comme la qualité de son jeu. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, il parle très bien français…  »

Son coéquipier et compatriote MatiasSuarez ne va pas démentir ces propos.  » C’est un joueur exceptionnel « , nous a confié le Soulier d’Or.  » C’est aussi un guide, dans le vestiaire comme sur le terrain. Lorsqu’il n’est pas bien, c’est tout Anderlecht qui tousse.  »

Le professionnalisme de Biglia nous avait aussi été confirmé, à l’époque, par le préparateur physique MarioInnaurato.  » C’est un bosseur, il ne néglige aucun effort et en fait même parfois plus qu’il n’en faut.  »

 » Quand il est arrivé, c’était un petit ket « 

Le team manager d’Anderlecht, JoséGarcia, est celui qui connaît le mieux Biglia. Il est même devenu son confident.  » Je me souviens parfaitement de son arrivée « , témoigne-t-il.  » C’était en 2006, il était le deuxième Argentin d’Anderlecht après Nicolas Frutos. Je me trouvais précisément chez Nico lorsque la nouvelle est tombée. Il a été très étonné que le Sporting puisse l’engager car il faisait partie de l’équipe U20 championne du monde 2005. Le genre de joueur qui, en principe, ne débarque pas en Belgique. S’il est venu, c’est précisément grâce à Frutos, qui avait vanté les qualités d’Anderlecht dans son pays. Je suis allé chercher Lucas à l’aéroport. C’était… un petit ket ! Avant d’arriver ici, il n’avait jamais vécu seul. En Argentine, il parcourait tous les jours les 100 kilomètres de Mercedes à Buenos Aires, aller-retour, pour s’entraîner. Il révisait ses cours dans la voiture, pendant que son père conduisait. Il est issu de la classe moyenne, relativement aisée. Lucas a tout appris en Belgique. Il l’a d’ailleurs reconnu : la Belgique a fait de lui un homme. A son arrivée, il était déjà timide, et cela n’a pas changé. Je peux comprendre que les gens se fassent une fausse idée de lui.

Il protège sa famille et se protège lui-même. Mais, une fois que la glace est brisée et qu’il vous admet dans son cercle d’amis, il vous considère comme un membre de sa famille. Il est généreux et a le sens du sacrifice. Il lui est arrivé plusieurs fois de jouer blessé, alors que personne n’était au courant. Au niveau du professionnalisme, il est au top. On ne le trouvera jamais dans une boîte de nuit, c’est déjà rare de le trouver hors de chez lui. Le convaincre d’aller faire un tour, même avec sa fille, c’est un vrai défi. S’il devait y avoir un tremblement de terre, la maison lui tomberait dessus ! L’alcool est totalement prohibé chez lui également. Je me souviens d’avoir fêté son 21e anniversaire en sa compagnie. Je ne suis pas sûr qu’il ait avalé une… demi-coupe de champagne.

Il est pro à l’extrême et ça en devient pesant : après une défaite, son épouse et moi avons droit à ses jérémiades pendant dix jours. Il n’est pas colérique, mais se renferme alors. On a droit à l’image, mais pas au son. Je ne me souviens pas de l’avoir vu pleurer, mais râler, oui. En fait, la seule fois où il a pleuré, c’est lorsqu’il a appris le décès de son père. Nous étions en stage aux Pays-Bas lorsqu’il a fallu lui apprendre la mauvaise nouvelle. Nous nous sommes tous réunis : NicolasPareja, Frutos, moi… Ce fut un drame pour tout le monde. Lui a vraiment souffert et a mis plus d’un an à s’en remettre. La naissance de sa fille Allegra, à Uccle, lui a redonné goût à la vie. Il a compris qu’il lui fallait continuer à se battre.  »

 » Les médecins avaient prévu trois mois, il est revenu après un mois et demi « 

Comment expliquer qu’un garçon timide puisse devenir un leader ?  » Parce qu’il ne faut pas être un gueulard pour susciter le respect. Lucas est un leader en soutenant le groupe et en étant positif. Après son opération à l’épaule, il a tout fait pour revenir dans les plus brefs délais. Les médecins avaient prévu trois mois, il est revenu après un mois et demi. Il voulait à tout prix être présent pour le match du 15 janvier contre Bruges. C’était un défi. Or, Lucas est un garçon qui fonctionne au défi. Je ne pense pas qu’il ait rejoué trop tôt, mais il a forcé pour revenir et a sans doute ressenti le contrecoup.

Les critiques l’ont beaucoup affecté. Il les accepte lorsqu’elles sont fondées. Lorsqu’il a mal joué, il s’en rend compte lui-même. Mais il n’accepte pas qu’on porte atteinte à son intégrité ou à sa fierté. C’est un garçon très honnête. Il sait ce qu’Anderlecht a fait pour lui et il ne laissera jamais tomber le Sporting. Le jour où il partira, ce qui est son ambition car il souhaite jouer plus haut, il voudra être sûr que toutes les parties y trouvent leur compte. Il est aussi reconnaissant du soutien que lui ont affirmé les supporters. Son rêve est de rejouer en équipe nationale. Or, le sélectionneur argentin actuel lui a bien fait comprendre que pour entrer en ligne de compte, il devra jouer dans un championnat plus huppé. Mais Lucas adore la Belgique, et je ne serais pas surpris s’il décide de s’installer ici au terme de sa carrière. Pour tout ce qu’il y a vécu, parce que sa fille est née ici et pour la sécurité. En Argentine, Lucas n’ose pas s’arrêter à un feu rouge avec la vitre ouverte, de peur de se faire braquer. Il adore aussi le rapport avec les supporters en Belgique. Lorsqu’il se balade au Westland Shopping Center, on vient l’accoster pour lui demander un autographe, mais calmement… « 

PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Il a su gagner le respect de tous.  » (Kristof Sas, aujourd’hui médecin de Bruges)

 » Le mot qui le caractérise le mieux, c’est : générosité. A tous les niveaux.  » (José Garcia)

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