L’HOMME QUI VALAIT 68 MILLIONS

Le passage de Raheem Sterling de Liverpool à Manchester City est l’un des temps forts de l’intersaison. Mais qui est donc ce jeune Anglais qui vaut 68 millions de livres ?

Je pense qu’il n’y a pas meilleur entraîneur pour Raheem Sterling que Brendan Rodgers, qui croit beaucoup en lui. Il est dangereux de tout vouloir tout de suite. S’il reste à Liverpool, il peut devenir un phénomène comme Fernando Torres ou Luis Suarez.  » C’est le bon conseil qu’avait donné Steven Gerrard, la star de Liverpool, avant de rejoindre LA Galaxy mais Sterling n’en a pas tenu compte.

 » Je veux retirer le maximum de ma carrière et remporter des trophées « , déclarait-il en avril à la BBC. Et en trois ans dans le noyau A de Liverpool, hormis la Coupe de la Ligue en 2012, il n’avait rien gagné. Au cours de la dernière décennie, la vitrine aux trophées du club des bords de la Mersey ne s’est guerre remplie. Les derniers trophées de Liverpool remontent déjà à 2006 (Coupe d’Angleterre) et 2005 (Ligue des Champions).

Quant au dernier titre, il date de 1990. On peut donc comprendre que Sterling avait envie de partir, même s’il pouvait gagner 140.000 euros par semaine à Liverpool. Car l’ailier britannique avait l’embarras du choix : le Real Madrid, Chelsea, Arsenal et Manchester United étaient intéressés, dit-on. Finalement, c’est Manchester City qui sut le convaincre.

Avant même son transfert, la presse anglaise se demandait déjà s’il avait suffisamment de talent pour s’imposer au plus haut niveau.  » S’il va à Chelsea, prendra-t-il la place de Diego Costa ? « , faisait remarquer Phil Neville, ex-défenseur de Manchester United et consultant à Match of the Day.  » Je ne pense pas ! Et à Manchester City, sera-t-il préféré à Sergio Agüero ? Jamais !  » Sterling va donc devoir faire ses preuves.

Heemio, le magicien

Raheem Shaquille Sterling grandit à Kingston, capitale de la Jamaïque. Dans une ville où la drogue et la violence sont monnaie courante, c’est sa grand-mère qui s’occupe de lui. A l’âge de cinq ans, il part vivre à Londres avec sa mère. Il habite à un jet de pierre de Wembley. Un endroit tellement mythique pour lui qu’il se fait tatouer l’arche du nouveau stade et la station de métro sur le bras. Raheem n’a que neuf ans lorsque son père a été assassiné dans son pays natal.

Suite à cela, il devient très vite adulte et sa mère, Nadine, joue un grand rôle dans sa vie. Il en rigole même.  » Elle se prend pour José Mourinho. J’essaye de l’écouter car, la plupart du temps, elle a raison mais parfois, elle se mêle de choses qui ne la regardent pas.  » Ce qui ne l’a pas empêché de se faire tatouer cette phrase sur l’intérieur du biceps : Thank you mama for the nine months you carried me, through all the pain and suffering. (Merci maman de m’avoir porté pendant neuf mois, d’avoir souffert et supporté la douleur).

En 2012, Heemio – le surnom que lui ont donné ses amis parce qu’il aime jongler comme un Brésilien – devient déjà papa d’une petite Melody Rose.  » La meilleure chose qui me soit arrivée « , dit le médian offensif qui, il y a deux ans, lui a pourtant souhaité bon anniversaire avec une semaine d’avance sur Twitter. Rapide sur le terrain, il l’est aussi dans la vie. Parfois un peu trop, même…

Sterling a dix ans lorsqu’il effectuait ses premiers pas au centre de formation de Queen’s Park Rangers. A quatorze ans, malgré sa petite taille, il évolue déjà en U18.  » Je n’avais pas peur des grands « , dit-il.  » Pour moi, c’était un défi. Le football n’est pas une question de taille mais de maniement de ballon.  »

QPR part en tournée en Allemagne et, quand Sterling s’échauffe le long de la ligne, il entend les supporters allemands se moquer de lui. Mais ils ne rigolent pas longtemps. Dès qu’il entre au jeu, il dribble les raides défenseurs de l’équipe locale.  » C’était très drôle « , se souvient son ex-coach, Mark Langton.

Heemio termine sa formation à Londres mais il ne jouera jamais en équipe première à Loftus Road. En 2010, alors qu’il n’a que quinze ans, Liverpool lui fait une proposition qu’il ne peut refuser. Sterling n’hésite pas et signe. Selon Gianni Paladini, ex-président des Hoops, QPR a pourtant tout fait pour le conserver.

 » Nous lui avons même offert une superbe maison.  » Aujourd’hui encore, le club londonien est très fier de son ex-protégé.  » Il est la preuve vivante que nous pouvons former de bons jeunes « , dit Steve Gallen, son ancien coach en U16, qui le surnommait The Magician.

 » C’est fou tout ce qu’il peut faire avec un ballon. Il a tout : de la vitesse, de la technique, de l’équilibre et de la vista. Je n’ai jamais vu un joueur comme lui. Il est tout simplement fantastique.  »

Golden Boy Award

En 2010, lorsqu’il débarque à Liverpool, qui l’a acquis pour 600.000 euros, il poursuit sur son élan. Que ce soit en U18 ou en U21, il marque facilement et multiplie les assists. Le 24 mars 2012, après plusieurs mois du même tonneau en réserve, il effectue ses débuts en équipe première.

Kenny Dalglish le fait monter au jeu à six minutes de la fin du match de championnat contre Wigan Athletic, ce qui fait de lui le troisième joueur le plus jeune à avoir porté le maillot du club légendaire.

Dès la saison suivante, il est considéré comme membre du noyau à part entière. Brendan Rodgers l’aligne pour la première fois en Coupe d’Europe à l’occasion d’un match du tour préliminaire d’Europa League face aux Biélorusses du FC Gomel. Le train est en marche, on ne l’arrêtera plus.

Il inscrit son premier but pour les Reds à l’occasion d’un match amical face au Bayer Leverkusen et, en août 2012, il est titularisé pour la première fois lors d’un match de qualification pour l’Europa League face aux Ecossais de Hearts. Trois jours plus tard, il entame à nouveau le match de championnat face à Manchester City et Vincent Kompany.

C’est sa première titularisation en Premier League. En septembre, après la rencontre face à Sunderland, il est élu Homme du Match, sa première (petite) récompense individuelle. Mais tout cela n’est rien comparé à la joie qui s’empare de lui le 20 octobre 2012, lorsqu’il inscrit son premier but en D1 anglaise face à Reading.

Son tir de l’extérieur du rectangle permet à Liverpool de s’imposer 1-0 et il devient ainsi le deuxième buteur le plus jeune de l’histoire des Reds. Seul Michael Owen s’est montré plus précoce.

Lors de la saison 2013-2014, le rapide ailier fait mieux encore. Beaucoup mieux, même. Brendan Rodgers est son premier fan et l’aligne très souvent. Non seulement, Sterling joue beaucoup plus que la saison précédente mais surtout, il améliore nettement ses statistiques. A la fin de l’exercice, son compteur affiche 38 matches, 10 buts et 9 assists.

Il joue bien, même dans les grands matches, malgré la pression. C’est ainsi qu’il inscrit deux buts contre Tottenham et Arsenal et qu’il marque aussi face à Manchester City. Ses prestations sont d’un grand secours aux Reds, qui se classent deuxièmes.

Ce n’est donc pas une surprise si le jeune joueur figure parmi les nominés pour le trophée du PFA Young Player of The Year, qui revient à notre compatriote Eden Hazard. Sterling sera récompensé un peu plus tard, en décembre 2014, lorsqu’il recevra l’European Golden Boy Award, décerné par les journalistes sportifs au meilleur jeune joueur européen. Notre compatriote Divock Origi, qui va tenter de faire oublier Sterling à Liverpool, se classe deuxième de ce référendum.

Rappels à l’ordre

Après cette saison fantastique, les expectatives sont grandes parmi les supporters mais les choses se compliquent. Liverpool ne parvient pas à se qualifier pour les poules de la Ligue des Champions et, en Europa League, il est éliminé par la modeste équipe turque de Besiktas. En championnat, ce n’est pas mieux puisque les Reds ne se classent que sixièmes, à vingt-cinq points de Chelsea.

Malgré cela, Sterling livre une bonne saison. Brendan Rodgers, son entraîneur, loue d’ailleurs ses prestations.  » Il a pris ses responsabilités et a brillé. A 19 ans, il a beaucoup progressé. C’est un véritable poison pour les défenses.  »

Le talent de Sterling est indiscutable. Mais en dehors du terrain, il lui arrive de déraper. En août 2013, il se retrouve une première fois dans l’oeil du cyclone lorsqu’il est accusé d’avoir agressé sa copine de l’époque, le modèle Shana Ann Rose Halliday.

Il n’a que 18 ans, passe la nuit au cachot et est présenté au juge mais nie et est acquitté parce que les preuves sont insuffisantes et contradictoires.

Dans ces moments difficiles, Brendan Rodgers prend la défense de son joueur mais il le renvoie sur le banc et ne l’aligne plus que quelques minutes par match. Sterling semble avoir compris le message et se rachète une ligne de conduite. Mais pas pour longtemps.

En avril de la même année, il dérape à deux reprises. Sur une photo, on le voit fumer de la chicha lors d’une fête entre amis avec Jordon Ibe, un autre jeune de Liverpool. Cela équivaut à deux cents cigarettes. Pas très bon pour la santé, tout cela ! Le coach leur tape sur les doigts mais ils échappent à une sanction du club. On espère qu’ils ont retenu la leçon.

Mais pas Sterling. Trois jours après l’incident, The Sun diffuse sur son site internet une vidéo dans laquelle on le voit inhaler du gaz hilarant –hippy crack. Rien d’illégal en soi mais, en Angleterre, ce gaz n’a pas bonne réputation : depuis 2006, dix-sept utilisateurs sont morts par manque d’oxygène.

Cette fois, le coach perd patience.  » Celui qui veut devenir un grand joueur, ne peut pas faire des choses pareilles « , dit-il.  » C’est très simple. Je veux que mes joueurs se comportent en professionnels et ne vivent qu’en fonction de leur sport. J’espère qu’il a compris, cette fois.  »

Entre-temps, Sterling est également devenu une valeur sûre en équipe nationale anglaise. Comme le jeune homme hésite avec les Reggae Boyz de Jamaïque, Roy Hodgson le sélectionne pour la première fois dès novembre 2012 à l’occasion d’un match amical face à la Suède.

Sterling est donc présent lors de la Coupe du monde au Brésil. Une expérience décevante puisque l’équipe aux trois lions termine dernière d’une poule dans laquelle on retrouve l’Uruguay, le Costa Rica et l’Italie. Face à ce pays, Heemio avait pourtant livré un tout grand match.

Ça se passe beaucoup mieux en éliminatoires de l’Euro 2016 puisque les Anglais signent un 18 sur 18. Sauf qu’ici aussi, Sterling a des soucis. En octobre 2014, il demande à Hodgson de le laisser sur le banc à l’occasion du match de qualification face à l’Estonie : il se sent fatigué.

Alan Shearer, ex-attaquant de l’équipe nationale devenu consultant pour la télévision, en profite pour le descendre.  » Je n’ai jamais vu cela. Les supporters ne comprennent pas. Si j’étais capitaine, je lui dirais ma façon de penser.  »

Détail amusant : trois jours après ce match, Sterling est aperçu à trois heures du matin dans une discothèque londonienne. Ce qui n’est sans doute pas le meilleur endroit pour se reposer…

PAR MATTHIAS DE LANGHE & STEVE VAN HERPE

 » C’est fou ce qu’il peut faire avec un ballon. Il a tout : technique, vitesse, équilibre, vista.  » – Steve Gallen, son coach en U16 à QPR

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire