L’HOMME QUI SAIT TOUT FAIRE

L’attaquant guinéen compte bien lancer sa carrière en Belgique. Portrait d’un attaquant complet.

Le Standard a donc bouclé son mercato urgent avec l’arrivée de Mohamed Yattara. Depuis un mois, ce nom revenait aux oreilles des supporters. Les départs d’Igor De Camargo et d’Imoh Ezekiel avaient laissé l’attaque en jachère. L’arrivée d’Ivan Santini avait rassuré quelque peu mais il manquait un pion, quelqu’un capable de combler le trou laissé par Ezekiel. Le nom de Yattara avait directement fait l’unanimité.  » Oui mais quand les choses traînent, cela n’augure jamais rien de bon « , nous signale une source proche du transfert. Pourtant, la direction du Standard avait joué la transparence dans ce dossier. Elle a également fait preuve de beaucoup de calme et de maîtrise, temporisant et accélérant au bon moment.  » On a joué la franchise avec le joueur en lui disant qu’il était notre cible numéro un mais en affirmant également qu’à un certain moment, on allait ouvrir d’autres dossiers « , explique le directeur sportif, Axel Lawarée.  » Les négociations étaient tout à fait normales entre quelqu’un qui demandait un certain prix et une partie qui voulait, légitiment, faire baisser le prix « , ajoute Bernard Lacombe, le conseiller du président lyonnais Jean-Michel Aulas.  » Chacun est revenu sur ses positions et finalement, le président a fait un geste « , conclut Lacombe.

Lyon avait bien le temps, pas pressé de vendre, même si avec l’arrivée de Claudio Beauvue, l’attaquant de Guingamp, Yattara était projeté à la 5e place dans la hiérarchie des attaquants derrière le meilleur buteur de la saison dernière, Alexandre Lacazette, fortement courtisé mais toujours à Lyon, Nabil Fekir, devenu international en cours de saison, Beauvue et Clinton Njie, très prometteur. Pas pressés mais contents quand même de s’être débarrassés de quelqu’un devenu surnuméraire, les dirigeants lyonnais. Quant au Standard, on se félicitait de la tournure des événements :  » La saison passée, on s’était déjà vaguement renseigné sur le joueur mais suite à sa belle saison à Angers, le prix était alors de 5 millions d’euros « , dit Lawarée.  » Sa cote était toujours la même quand on est revenu à la charge en hiver.  » Lorsque le Standard rouvre le dossier cet été, Lyon lui ressort le même prix.  » A ce prix-là, il n’en était pas question « , continue Lawarée. Lyon fait pourtant très vite marche arrière et s’arrête sur un prix plus abordable : 3 millions d’euros. Le Standard n’est disposé qu’à sortir 2 millions d’euros mais arrive à convaincre le joueur.  » On lui a dit que notre équipe ne comporterait pas six ou sept attaquants et comme nous disputerons également l’Europa League, il pouvait être certain qu’il y aurait de la place pour lui « , explique Lawarée.

Finalement, quelques jours avant le stage, les deux clubs s’arrêtent sur la somme de 2,3 millions d’euros.  » Il y avait beaucoup de clubs intéressés mais à partir du moment où le joueur est venu lui-même nous dire qu’il désirait aller au Standard, les négociations se sont concentrées entre le Standard et Lyon « , reconnaît Lacombe.

Et voilà comment le Standard réalise son plus gros transfert de l’été. Mais qui est vraiment ce joueur ? Que vaut-il vraiment ? Et pourquoi le Standard le désirait tant ?

SUCCESSEUR DE BENZEMA

C’est dans le Périgord qu’il faut partir pour trouver la première trace de ce jeune Guinéen. Dans ce pays plus connu pour sa gastronomie que pour ses clubs de football, Yattara brille à Chomiers, un village proche de Périgueux. Fleury Di Nallo, la légende de Lyon (222 buts en 489 matches), le remarque et renseigne son ancienne équipe, et surtout Bernard Lacombe avec qui il est resté ami. L’OL le transfère pour son centre de formation alors que le natif de Conakry n’a que 16 ans. Ce n’est pourtant pas une habitude lyonnaise, le centre de formation étant composé à 90 % de joueurs de la région.

Mais Yattara va se faire remarquer. Avec les U17, il inscrit 37 buts, ce qu’on n’avait plus vu du côté de la cité rhodanienne depuis un certain Karim Benzema. Son nom commence à circuler. L’OL décide de le prêter pour l’aguerrir. D’abord à Arles-Avignon en 2011-2012 puis la saison suivante à Troyes. Il apprend ses gammes et en 2013-2014, il est prêté une troisième fois. Lui commence à perdre patience, jamais un joueur n’a été prêté à trois reprises par l’OL. Il a peur qu’on ne croit pas en lui.  » Etre prêté à gauche et à droite, ce n’est pas du tout évident « , déclare-t-il dans France Football.  » Quand je regardais l’équipe, j’avais la rage parce qu’on ne m’avait pas donné ma chance.  »

Et pourtant, cette saison 2013-2014 va s’avérer un tournant. A Angers, en L2, il éclate. Il marque comme il respire. Un but pour son premier match. Un triplé pour son deuxième (et contre son ancien club de Troyes). 11 buts en 30 matches. Cette année-là, le SCO Angers échoue à la 4e place tout en atteignant les quarts de finale de la Coupe de France. Yattara n’est pas étranger à cette belle saison et comme son prêt n’a pas d’option d’achat, il revient à Lyon. Par la grande porte cette fois-ci. Les clubs intéressés ne manquent pas et ses prestations avec l’équipe nationale de Guinée où il a forgé un statut d’idole en marquant contre le Zimbabwe et le Mozambique n’ont fait que renforcer son image, lui le petit frère d’Ibrahima que l’on a connu du côté de l’Antwerp.

Les départs de Bafetimbi Gomis et Jimmy Briand ont laissé de la place en attaque et les finances de l’OL l’obligent à aligner des jeunes. En préparation, c’est Yattara qui est aligné. En préliminaires d’Europa League, face à Mlada Boleslav aussi. Il inscrit d’ailleurs un doublé. Mais une blessure le bloque et le voilà qui rate le train de cette belle saison.  » C’est dommage pour lui car Hubert Fournier, l’entraîneur de Lyon, qui le voulait déjà aussi quand il officiait à Reims, croyait en lui « , explique Vincent Duluc, journaliste à L’Equipe et spécialiste de Lyon.

ATTAQUANT COMPLET

 » Il a eu la malchance de voir les jeunes exploser avant lui « , résume Duluc. 22 ans et déjà trop vieux, pourrait-on dire. Oubliée la belle saison à Angers. Une légère blessure et les éclosions de Lacazette, Fekir et Njie vont lui donner un coup de vieux et le reléguer dans la hiérarchie. Sa saison se limite à quelques apparitions, pas si anodines que cela.  » Malgré tout, il a marqué un des buts les plus importants de la saison, face à Bastia (1-0) en fin de saison alors que Lyon n’arrivait pas à trouver la faille « , se souvient Duluc.  » Et puis, il y a ces deux passes décisives face à Montpellier en fin de rencontre « , ajoute Lacombe. Trop bon pour être remplaçant, pas assez pour rivaliser avec Lacazette et Fekir.  » Il est moins dribbleur que Njie, moins buteur que Lacazette, moins technique que Fekir mais peut-on vraiment lui en vouloir quand on voit avec qui on le compare « , le défend Duluc.  » C’est un joueur assez complet qui peut à peu près tout faire.  »

Et c’est cela qui a plu au Standard.  » Il est intéressant pour nous car il a plusieurs qualités : grand, sait garder le ballon et utiliser son corps, excellent jeu de tête, avec de la puissance et de la rapidité. Il peut jouer en combinaisons ou en rupture. Avant, on disposait d’attaquants qui n’avaient qu’une qualité et il fallait jouer sur cette qualité « , déclare Lawarée. Ezekiel était peut-être plus véloce, il courait sans doute plus mais il ne pouvait pas jouer seul devant. Yattara peut lui évoluer en 4-4-2 ou comme attaquant central dans un 4-3-3. A la limite, il peut même dépanner dans un couloir. Il l’a fait à Lyon.  » Ponctuellement oui car il fait les efforts qu’il faut. Et comme il conjugue bon esprit et vitesse… « , dit Duluc.  » Avec la vitesse et le physique, même l’aile lui convient. Il peut se sacrifier pour l’équipe. C’est donc une arme en plus même s’il ne s’agit pas de sa meilleure place « , corrobore Lawarée.

Reste alors à en faire un buteur car il a beau être attaquant, il n’est pas encore un renard des surfaces.  » Il doit travailler devant le but « , explique Lacombe, qui sait ce dont il parle puisqu’il a marqué 255 buts entre 1970 et 1987.  » Les buteurs sont des gens différents. Devant le but, vous êtes un fauve, toujours là, en attente. Et lui, il n’a pas encore cet instinct.  » Pas assez buteur, ni tueur.  » Il a besoin d’espaces, ce qui fait que quand l’équipe domine, il est moins à l’aise dans le petit rectangle. Par contre, vous lui mettez de bons centreurs et lui laissez un peu d’espace et là, il peut en profiter « . Le revers de sa bonne mentalité que tout le monde loue.  » Il est parfois trop gentil. Cela peut être un défaut pour un attaquant « , lâche Lacombe.

Récemment, Bernard Lacombe a croisé dans les bureaux lyonnais le nouvel entraîneur adjoint du Standard, Eric Deflandre. Il l’a félicité pour le transfert de Yattara et n’a pas manqué de lui en dire un mot.  » Je lui ai dit – il faut que tu l’entoures, que tu l’aides car c’est quelqu’un de réservé. Tu dois veiller à son adaptation.  »

PAR STÉPHANE VANDE VELDE ? PHOTOS BELGAIMAGE

 » Devant le but, vous êtes un fauve. Et lui, il n’a pas encore cet instinct  » BERNARD LACOMBE

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