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L’homme derrière Jonas De Roeck, entraîneur de Westerlo: « Je n’aime pas les projecteurs »

Dans cette rubrique, partons à la découverte de l’homme derrière le footballeur ou l’entraîneur. Qui est-il? Comment est-il devenu ce qu’il est? Que veut-il? Notre invité: Jonas De Roeck, entraîneur de Westerlo, champion en D1B.

J onas De Roeck (42 ans) gare sa voiture dans les environs de Westerlo. Peu après l’entraînement, il prend le temps de nous accorder une interview en pleine nature. Il n’y est venu qu’une fois, mais il trouve que l’endroit se prête bien au dialogue et aux photos.

Maintenant que la saison et le championnat sont terminés, l’équipe ne s’entraîne plus qu’une semaine sur deux. C’est ainsi que le KVC Westerlo prépare la prochaine saison en D1A. Bien que son nom soit cité ici et là, De Roeck a déjà promis de rester. Et pour lui, une parole a toujours été une parole. « Même si ça ne m’a pas toujours facilité la vie », dit-il. « Le monde du football n’est pas toujours honnête. C’est la vie, mais dans ce domaine, c’est encore plus vrai qu’ailleurs. »

C’est ainsi qu’une fois, il a eu la possibilité de gagner beaucoup plus d’argent que dans le club auquel il avait déjà donné sa parole. Il n’avait encore rien signé, mais encore une fois, une parole est une parole. Puis il y a eu cette époque au Lierse où, après trois ans, Paul Put l’a renvoyé sur le banc. « Je n’y comprenais rien. Je sentais qu’il se passait quelque chose: on me dénigrait pour pouvoir m’écarter et je me posais des tas de questions. Qu’avais-je fait? Qu’est-ce qui avait changé par rapport aux années précédentes? C’était une année bizarre et ça m’a pris la tête. »

Au terme de la saison, l’affaire Ye a éclaté: quelques joueurs et l’entraîneur ont été soupçonnés de recevoir de l’argent de la mafia chinoise des paris. « Toutes les pièces du puzzle se sont alors mises en place. Comme ils savaient qu’ils ne pourraient pas m’acheter, le coach m’a mis sur le banc. Je suis peut-être parfois trop honnête, mais je ne peux pas faire autrement. Je crois qu’en travaillant dur, en croyant en moi et en agissant en âme et conscience, je ne rencontrerai que des gens comme moi. C’est vrai aussi en dehors du football, où d’autres normes sont en vigueur. À Westerlo, par exemple, je travaille avec des gens très chouettes, qui veulent le bien de tous. »

Je n’aime pas les projecteurs. J’ai toujours été un footballeur à part à ce niveau. » Jonas De Roeck

The American Dream

Il affirme tenir cet état d’esprit positif de son père. Tony De Roeck emmenait sa famille partout. Avec sa femme Ria, il a vécu au Zaïre. Au lieu de faire son service militaire, il a opté pour une vie de missionnaire à l’étranger. « Dans les années soixante, ce n’était pas habituel. La plupart des jeunes optaient pour la sécurité, ils ne s’éloignaient pas de leur clocher. Je ne sais pas pourquoi mes parents sont partis, je ne le leur ai jamais demandé, mais mon père aimait la liberté, il détestait les restrictions, les règles qui l’empêchaient de faire ce qu’il voulait. Il vivait selon L’ American Dream : quand on veut quelque chose, on doit tout faire pour y arriver et, pour celui qui travaille, tout est possible. Je suis comme ça aussi. J’apprécie énormément sa façon positive de voir la vie et son sens des responsabilités. La vie est déjà tellement difficile. Pourquoi la compliquer encore davantage alors qu’on peut la prendre du bon côté? »

Jonas De Roeck:
Jonas De Roeck: « Je conçois que certains utilisent leur notoriété pour se mettre en valeur, mais très peu pour moi. »© INGE KINNET

Plus tard, son père est devenu ingénieur chimiste. Il a travaillé pour des multinationales et deux de ses fils sont nés à l’étranger: le cadet, Kobe, à Johannesbourg et le benjamin, Jonas, à Barcelone. L’aîné, Bram, a vu le jour à Borgerhout, mais il a été adopté par la famille De Roeck. On ne connaît pas son histoire exacte, ses parents et son frère n’ont jamais éprouvé le besoin de faire des recherches, mais sa mère biologique venait du bloc de l’est et a accouché en Belgique. « Mes parents voulaient des enfants mais au début, ils ne parvenaient pas à en avoir. Par la suite, ils en ont eu deux et le plus amusant, c’est que mon frère aîné et moi avons le même caractère. On n’a pas les mêmes gênes, mais on a reçu la même éducation et ça se voit très fort. Il est aussi calme et réservé que moi. Il ne se laisse pas facilement envahir par ses émotions et moi non plus: je laisse passer les choses et je réfléchis. On est assez sobres: Kobe, lui, ressemble plus à notre mère: il est plus émotif et plus sociable. »

À l’école en hélicoptère

Jonas avait deux ans quand ses parents sont rentrés en Belgique. Il ne se souvient donc pas tellement des années passées en Espagne et a oublié la langue. Après quatre ans, la famille est repartie parce que son père a été muté à Charlotte, en Caroline du Nord, à l’est des États-Unis. « Je me souviens encore qu’on apprenait l’anglais à la maison et qu’on a participé au déménagement. Ça m’a marqué, mais pas fragilisé. Je ne connaissais pas autre chose et mes parents étaient très positifs. Bien sûr, on devait laisser des choses derrière nous: nos amis, notre environnement. Mais on allait découvrir une autre vie et se faire de nouveaux copains. C’est comme ça qu’on l’a vécu et je garde un souvenir formidable de ces années en Amérique. »

On parlait de cancer du cerveau, avec des traitements et des opérations à la clé. Pour une enfant de six mois… » Jonas De Roeck

Ils y sont restés quatre ans. « On avait une superbe maison et les gens étaient très chaleureux. Le premier contact s’est très bien passé, on s’est directement sentis chez nous. Et puis, la vie était très axée sur le sport. Au lieu de deux heures d’éducation physique par semaine, on en avait deux par jours. Pour moi, c’était magnifique. Avec mon père et mes frères, on allait voir tous les sports. J’ai vu jouer Michael Jordanlive, mais aussi Kareem Abdul Jabar, Magic Johnson ou Larry Bird, ce sont des choses qu’on n’oublie pas. À ce moment-là, bien sûr, je ne m’en rendais pas compte car je n’avais rien vécu d’autre, mais aujourd’hui, je réalise que j’ai grandi dans un autre monde que la plupart des gens. Ça m’a apporté énormément et ça m’a ouvert l’esprit. J’en suis très reconnaissant à mes parents. »

Jonas De Roeck:
Jonas De Roeck: « J’ai fait le choix de rester à Westerlo et je ne changerai pas d’avis. »© INGE KINNET

Avant de rentrer à Anvers, la famille a encore passé un an en Angleterre. De Roeck avait dix ans lorsque ses parents ont quitté l’Amérique pour Esher, au sud-ouest de Londres. « Ce fut aussi une belle période », dit-il. Il a fréquenté une école internationale, à Cobham, où il a joué au football. C’est là que, plus tard, Chelsea a construit son centre d’entraînement. « On fréquentait une école très huppée avec des enfants dont les parents travaillaient pour de grandes entreprises, souvent des multinationales. Il y avait des cheiks qui, le lundi, amenaient leurs enfants en hélicoptère pour venir les rechercher le vendredi. On avait même des cours de golf à l’école. C’était vraiment abusé, mais aussi très chouette à vivre. »

Bling bling

De Roeck ne s’est pas mis à planer, ce qui est assez étonnant vu le milieu dans lequel il a grandi. « On n’était pas super riches, mais on vivait dans un certain luxe: on habitait dans de belles maisons et on pouvait se permettre de faire ce qu’on voulait. » D’autant que par la suite, il a atterri dans le monde du football. Mais il a conservé une vision large sur la vie et la société. « Je pense que ça fait partie de mon caractère. Je n’aime pas les projecteurs. Lors de la séance photos pour votre magazine, votre photographe m’a vraiment fait sortir de ma zone de confort. J’ai toujours été un footballeur à part à ce niveau, surtout ces dernières années, depuis que le bling bling a pris beaucoup d’importance dans ce milieu, à cause des réseaux sociaux. Je comprends parfaitement ce monde et je conçois que certains utilisent leur notoriété pour se mettre en valeur. Ça peut leur permettre d’atteindre certaines choses, mais très peu pour moi. Je préfère conserver mon regard distant et m’amuser de voir comment certains se comportent ou se laissent influencer. »

De Roeck a pourtant un compte Instagram. C’est sa fille aînée, Siena (seize ans), qui a insisté. Il a marqué son accord, à condition qu’elle s’en occupe. C’est donc elle qui gère le compte.

De Roeck et son épouse, Eline, ont deux autres filles: Havana (quatorze ans) et Dakota (treize ans). Des prénoms peu communs. « Mon frère a vécu un certain temps à Saint-Martin ( île franco-néerlandaise des Antilles, ndlr) et sa femme faisait du baby-sitting dans une famille qui avait une jolie petite fille, blonde aux yeux bleus. Elle s’appelait Siena et on a retenu ce prénom. Lorsque ma femme est tombée enceinte de notre deuxième fille, pour rigoler, j’ai pris l’atlas. Puisque Siena était une ville d’Italie, on pouvait peut-être poursuivre dans le même registre. Je suis tombé sur Havana. Pour la troisième, on avait vu un film avec Dakota Fanning et ça nous a inspiré. »

J’ai grandi dans un autre monde que la plupart des gens. Ça m’a apporté énormément et ça m’a ouvert l’esprit. » Jonas De Roeck

De Roeck est entouré de quatre femmes et il trouve ça chouette. « Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis toujours dit que j’aurais trois filles. Ça convient parfaitement à mon caractère. Je suis calme et, avec quatre femmes, c’est parfois agité. Elles se tracassent pour des trucs que je n’imagine même pas. Avant, on était contents avec un ballon. Les filles font de tout. Combien de fois n’ai-je pas déjà mis du vernis sur leurs ongles (il rit) ? Avant, elles étaient fans de K3 et je devais chanter les chansons avec elles. »

La fin du monde

Il n’a jamais éprouvé le besoin d’avoir un fils à qui transmettre son amour du football. « Tout ce qui m’intéresse, c’est que mes filles soient en bonne santé. » Il admet que ça fait un peu cliché, mais rien n’est plus vrai. Surtout dans le cas de De Roeck et de sa femme. En 2009, Eline était en fin de grossesse lorsqu’elle a reçu une mauvaise nouvelle concernant Havana, qui avait six mois à l’époque. « Ses yeux tremblaient alors, par prudence, on lui a fait passer un scanner. On voulait juste être rassurés, car dans 99% des cas il n’y a rien. »

Mais à la lecture du diagnostic, leur monde s’est écroulé: elle souffrait d’une malformation du cerveau, il ne lui restait plus que six mois à vivre et il y avait un risque que l’enfant à naître souffrirait du même problème. « On parlait de maladie métabolique ou de cancer du cerveau, avec des traitements et des opérations à la clé. Pour une enfant de six mois… Le lendemain, je ne suis pas allé m’entraîner, j’en étais incapable. Le surlendemain, j’ai essayé mais je suis vite rentré au vestiaire. Par respect, le club n’a rien dit à la presse ni à mes équipiers, ils ont juste parlé d’un problème familial. » Il marque une pause. « Tous les matins, je sortais la petite de son lit. Quand j’entrais dans sa chambre, elle me souriait alors que je me disais que j’allais devoir lui dire adieu. J’avais le coeur brisé à chaque moment passé avec elle. Pendant des semaines, on n’a pas dormi, on était détruits, on survivait. Tout était flou. Mais en même temps, on devait s’occuper de l’aînée et ma femme était sur le point d’accoucher. Et cet accouchement… Sur le plan émotionnel, tout était si confus. On a dû garder le sang du cordon ombilical pour le cas où on aurait besoin de cellules-souches. »

Jonas De Roeck en plein exposé tactique avec ses joueurs de Westerlo.
Jonas De Roeck en plein exposé tactique avec ses joueurs de Westerlo.© INGE KINNET

Il secoue la tête. « Quand je repense à tout ça, je me demande comment on a survécu. » De Roeck et son épouse, qui avaient respectivement 29 et 27 ans à l’époque, se sont soutenus mutuellement. « Ça nous a rendus plus mûrs très rapidement. Certains couples ne s’en seraient pas remis mais nous, ça nous a rapprochés. On se connaissait depuis si longtemps, j’avais quinze ans quand je l’ai rencontrée au club de tennis de Schilde. On est sortis ensemble quand j’ai eu 17 ans. C’est non seulement ma femme, mais aussi ma meilleure amie. Notamment en raison de tout ce qu’on a vécu avec notre fille. »

Sur le plan sportif, De Roeck ne se souvient plus de la fin de cette saison-là. Il disputait alors ses derniers matches pour La Gantoise. Peu avant d’apprendre la nouvelle concernant sa fille, il venait de signer pour trois ans au FC Augsburg. Pendant des semaines, ils ont fait la navette entre leur domicile et l’hôpital. Les diagnostics ont été adaptés et les nombreux tests s’avéraient sans cesse négatifs. « Ça nous rendait un peu d’espoir et d’énergie, mais on était angoissés, on se demandait si on pouvait avoir confiance. On vivait au jour le jour. »

Finalement, le temps a passé et Havana est toujours là. « Le diagnostic, c’est… qu’ils ne peuvent pas poser de diagnostic. Ses yeux tremblent toujours, mais elle ne présente pas d’autres caractéristiques extérieures et la cadette est en bonne santé. « Havana évolue comme l’aînée. Ça nous permet d’avancer, mais évidemment, on a toujours une crainte, car on ne sait pas exactement ce qu’elle a. Désormais, chaque jour passé avec elle est un cadeau. »

Sensible

Positif comme il est, il préfère penser aux bons côtés de cette expérience plutôt qu’au traumatisme vécu à l’époque. « Ça nous a rapprochés et m’a fait prendre conscience de l’importance des relations familiales. J’espère que mes filles savent qu’elles peuvent toujours s’adresser à nous. Elles ne doivent pas tout nous raconter, on ne leur a pas tout dit non plus, mais je veux qu’elles ne se sentent jamais seules et qu’elles sachent qu’il n’y a jamais d’obstacle. »

Et quand elles auront leur premier petit ami? Il rigole. « On n’en est pas encore là, mais je leur ai déjà dit que je pouvais être un père très exigeant. J’ai un côté protecteur. Ça me semble normal mais d’un autre côté, on ne peut pas éviter les coeurs brisés. Ça nous rendra plus forts aussi. J’espère surtout qu’on restera toujours en bons termes. Qu’on restera ouverts les uns aux autres, même quand elles auront une famille et qu’elles seront heureuses. »

Cet événement a marqué De Roeck. « Je comprends aujourd’hui que ces choses que je considérais comme évidentes ne sont pas aussi simples. C’est pourquoi je n’exprime pas beaucoup mes sentiments… » Il marque une pause. « Je suis plus sensible qu’on le croit généralement. Les gens seraient surpris de voir combien je me tracasse et à quel point je vis les choses. Certains laissent libre cours à leurs émotion, ils sont extravertis et tout le monde doit savoir ce qu’ils ressentent. Je ne suis pas comme ça. Je garde tout pour moi, quitte à passer pour un insensible alors que certaines choses me touchent énormément. La situation des réfugiés, par exemple. Des familles sont obligées d’abandonner une bonne situation, la vie de leurs enfants change et, du jour au lendemain, ils débarquent dans un pays parmi des gens qui se font une piètre image d’eux. Ça me touche et j’y pense beaucoup. »

De Roeck a côtoyé différentes cultures, vécu dans plusieurs pays, rencontré des gens différents et connu des hauts et des bas sur le plan personnel. Mais il tente de garder l’équilibre. « Les gens ne sont pas si différents. Ils sont éduqués différemment et chacun a son caractère mais en fait, on est identiques et on veut la même chose: le bonheur. C’est simple et en même temps, c’est ce qu’il y a de plus compliqué. »

« À la maison, je ne parle qu’en allemand à mes enfants »

Jonas De Roeck a porté le maillot du FC Augsburg de 2009 à 2012. Son épouse, Eline, venait d’accoucher de leur troisième enfant. Ses filles ont donc appris à parler allemand couramment. « Après trois mois, les deux plus grandes parlaient. Après quatre mois, elles s’exprimaient aussi en dialecte bavarois. On a voulu maintenir ça: quand on est rentrés, on a continué à leur parler en allemand. Je suis plus strict que ma femme sur ce plan: à la maison, je ne leur parle que dans cette langue. Mais comme Eline est plus souvent avec elles, elle leur parle quand même souvent en flamand. Pour une question de facilité, mes messages sont en néerlandais mais au téléphone, je parle en allemand. Jusqu’ici, elles me répondent en flamand, elles n’osent pas encore s’exprimer en allemand, mais l’aînée s’y met tout doucement. »

« J’aimerais un jour travailler à l’étranger »

Alors qu’il a beaucoup bougé pendant sa jeunesse, Jonas De Roeck est resté relativement casanier tant comme joueur que comme entraîneur. Hormis son escapade à Augsburg, de 2009 à 2012, il est toujours resté en Belgique. « J’ai eu des possibilités de partir, mais j’ai toujours choisi de rester », dit-il. « C’est comme ça et j’en suis très heureux, mais j’ai l’ambition d’aller le plus haut possible en tant qu’entraîneur et de travailler à l’étranger. Ce métier peut me permettre de rencontrer d’autres cultures et d’autres gens, comme j’y ai été habitué pendant ma jeunesse. Mais il faut attendre le bon moment. Cette année, j’ai fait le choix de rester à Westerlo et je ne changerai pas d’avis. »

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