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L’HOMME DE LA SITUATION ?

Le Standard a baqué Yannick Ferrera et importé Aleksandar Jankovic pour aller aux play-offs. Raté. Était-ce une fausse bonne idée ? Et le Serbe peut-il réussir dans la durée ?

« Si on offre un contrat de trois ans à Aleksandar Jankovic, c’est parce qu’on lui fait confiance.  » Signé Olivier Renard en septembre dernier, lors de la présentation du nouveau coach. Déjà, ça passait pour un fait marquant dans ce club habitué à offrir des contrats de courte durée à ses entraîneurs. Et si, aujourd’hui, la direction se mordait les doigts d’avoir subitement changé ses habitudes ?

Commençons par un éclairage positif. Un exemple concret. Ainsi, contre le top 3 du championnat en cours, Bruges – Anderlecht – Zulte Waregem, Jankovic s’en tire avec un 4 sur 15. Pas folichon, OK, mais quand même mieux que le 2 sur 18 de Yannick Ferrera contre les mêmes adversaires. Et à part ça ? La remontée espérée dans le classement n’a pas eu lieu. L’objectif a été loupé. Et quoi encore ? On plonge dans le ventre de l’Académie et au coeur du vestiaire de Sclessin, on écoute et on fait le tri pour répondre à ces questions qui peuvent déranger. Aleksandar Jankovic est-il, oui ou non, l’homme de la situation ? Analyse.

POURQUOI ON LUI A OFFERT TROIS ANS

Quand il est contacté par le Standard, Jankovic estime que le temps est peut-être venu pour lui de quitter Malines. Il nous le dira quelques semaines plus tard :  » Après deux ans et quelque chose là-bas, c’était à mon tour de tirer un petit profit personnel.  » Mais sur le coup, il ne veut pas partir coûte que coûte. Ça apparaît lors de la même interview :  » Ma zone de confort était à Malines. J’avais encore deux ans de contrat, tout le monde m’appréciait, on avait réussi notre début de championnat.  » Il a foncé sur l’opportunité liégeoise parce que  » le but est quand même d’essayer de se pousser dans le rouge.  » Mais pas que… S’il a accepté, c’est aussi parce qu’il y avait ce bail de trois saisons qui l’attendait. Une source interne du club nous dit :  » Il a fallu négocier sur la durée. Comme il l’a reconnu, il était bien à Malines et encore protégé par contrat pour un bon moment. Si on n’avait pas accepté de lui offrir trois ans, il ne serait peut-être pas venu.  » Les négociations se sont faites par téléphone, de 23 heures à 8 heures.

Ce ne serait pas simplement son long contrat qui protège aujourd’hui le Serbe. Le club veut de la stabilité et elle passe notamment par le poste d’entraîneur. On continue à croire en ses méthodes, malgré les résultats décevants. Olivier Renard nous a dit récemment :  » Oui, le Standard d’aujourd’hui est stable. On dit que le noyau n’arrête pas de bouger ? Mais il faut voir la situation dont on avait hérité, avec une soixantaine de gars sous contrat. Oui, il y a encore eu beaucoup de mouvements en janvier, dont une quinzaine de départs. Mais il faut voir plus loin, bien analyser les choses. En deux périodes de transferts, on n’a laissé partir que deux incontournables de l’équipe de base : Ivan Santini en été et Adrien Trebel cet hiver. Ça, c’est la stabilité.  »

LE NOSTRA CULPA DE LA DIRECTION ET DU COACH

En haut lieu, ils reconnaissent qu’ils n’ont pas fait un cadeau à leur nouvel entraîneur en lui demandant de travailler avec un noyau XXL. Bruno Venanzi, Daniel Van Buyten et Olivier Renard semblent d’accord là-dessus. C’est difficile de faire passer un message à une trentaine de gars. Chaque week-end, deux tiers des joueurs étaient déçus. Ceux qui ne jouaient pas ne tenaient pas compte des remarques et des analyses de Jankovic.  » À force d’écouter des mecs négatifs, tu peux devenir négatif toi-même « , nous dit-on. Le Serbe ne pense pas autre chose quand il nous explique ceci :  » Je ne peux pas rassurer les déçus puisque je ne sais pas moi-même s’ils seront un jour dans l’équipe. Je ne peux pas faire de promesses. C’est d’abord à eux de gérer la situation.  »

Tuyauté ou pas par ses employeurs, Jankovic a parfois eu trop tendance à vouloir faire plaisir au plus grand nombre. Il partait du principe que tout le monde méritait au moins une chance. Ça explique aussi le fait qu’on ait très rarement vu deux fois d’affilée la même équipe sur le terrain. À Malines, il avait pour chaque poste un titulaire A et un back-up B. Au Standard, il dispose parfois d’un A, d’un B, d’un C et d’un D, du moins jusqu’en janvier. La direction se demande s’il n’a pas commis l’erreur, en arrivant, de déclarer qu’il donnerait une chance à tout le monde.  » Ton discours a plus de poids si tu as, pour chaque place, un titulaire et un réserviste, point à la ligne.  » Un jour, il a avoué à ses patrons qu’il s’était trompé en relançant trop tôt un joueur qui revenait de blessure et n’était pas prêt.  » Il ose se mouiller, assumer, prendre ses responsabilités. Ce jour-là, il s’en voulait énormément. Il sait qu’il n’est pas Superman.  »

Le groupe actuel est différent de celui que Jankovic dirigeait jusqu’à fin décembre. Il a encore près de 25 joueurs à l’entraînement, mais là-dedans, il y a cinq ou six joueurs qui ont entre 17 et 20 ans. Et qui ne revendiquent rien. Alors qu’avant la trêve, des gars comme Birama Touré, Mohamed Yattara ou Dino Arslanagic râlaient s’ils ne jouaient pas. L’entraîneur a avoué récemment à ses patrons qu’il avait désormais  » un noyau sain  » et il a ajouté :  » Si j’avais eu ce groupe dès le début, on serait sans doute autre part dans le classement.  »

L’HOMME À POIGNE

On rencontre Adrien Trebel en décembre, quelques semaines avant son départ à Anderlecht. À l’époque, il a toujours le brassard autour du bras. Pour quelques jours encore. Il va le perdre parce que le sens de la discipline, chez lui, n’y est plus vraiment. Et justement, à propos de discipline, le Français nous avoue :  » Jankovic, il sait rentrer dedans. Quand ça ne va pas, il te dit que tu es nul. Clairement. Il ne passe pas par cinquante mille chemins. Et ça te fait avancer. Toujours chouchouter les joueurs, leur dire -T’inquiète, ça ne marche pas. Quand ça ne va pas, il ne nous donne rien du tout.  » Si, au moment de cette interview, la relation entre Trebel et Jankovic n’est déjà plus sans nuages, le capi roux nous lance :  » Il va falloir lui laisser du temps. On ne pourra pas le juger après six mois. Quel grand club juge un entraîneur après six mois ?  »

C’est confirmé par tout le noyau : derrière le sourire poli, bien éduqué d’Aleksandar Jankovic, on trouve un gueulard. Le Sacha en costume et le Sacha en training sont deux gars complètement différents. Plus question de peser ses mots dès qu’il est sur une pelouse de l’Académie. Lors de sa première journée à Malines, il avait dit à ses joueurs :  » Maintenant, on se tait et on bosse.  » Et Alexander Scholz nous lâche :  » Il y a parfois eu un problème de mentalité dans tout ce club. Ferrera a beaucoup travaillé là-dessus. Jankovic continue à le faire.  »

Il y a des coaches comme Jacky Mathijssen qui protègent systématiquement leurs joueurs en public. Il y a les coaches qui n’hésitent pas à les démolir, comme Yannick Ferrera et sa réplique culte sur les  » gamins de merde  » et les  » gosses de riches « , du temps où il était au Standard. Aleksandar Jankovic est entre les deux. Quand ça n’a pas été bon, il le dit. Mais calmement. Il nous explique pourquoi :  » Ce n’est pas en disant que l’arbitre nous a cassés que mon équipe va être plus performante le week-end suivant. On doit assumer. Tous.  »

Entre les joueurs et lui, la relation est parfois tendue mais toujours saine. Moins explosive qu’au temps de Ferrera, qui voyait les choses autrement et n’avait pas peur de leur rentrer dedans sans jamais mettre de gants.

LE SALE TOURNANT CAROLO

À Liège, on ne digère pas du tout la décision de la CBAS de n’avoir attribué aucun point pour le match de décembre à Charleroi. Jankovic, lui, a cette affaire sur l’estomac depuis trois mois. Très vite, il a compris que ce match risquait de compliquer toute la suite de la saison. Si le Standard prend directement les trois points du succès conquis sur le terrain, il se retrouve ce soir-là à la septième place, à deux points du sixième, à trois points seulement du trio Anderlecht – Ostende – Gand. Et les Rouches sont, à ce moment-là, dans une spirale positive. Ils viennent de mettre une raclée (4-1) à Zulte Waregem. Quatre jours après Charleroi, ils font un nul contre l’Ajax. Puis ils balaient Westerlo. Mais en étant privés de ces trois points – et on se doute directement que l’affaire va traîner en longueur -, ils n’arrivent pas à s’arrimer au top 6. Ça joue dans la tête et Jankovic le voit au quotidien.

 » Il y a des moments cruciaux qui font qu’une saison peut devenir très compliquée « , nous dit un proche de l’entraîneur.  » Aleksandar Jankovic a retrouvé, dès le lundi du match suivant Charleroi, des joueurs frustrés. Ils étaient conscients d’avoir déroulé contre un adversaire direct mais ça ne leur avait rien rapporté. En plus, c’était à Charleroi, hein ! Jankovic dit parfois : -Un derby, ça ne se joue pas, ça se gagne. Il savait que, dans le conscient et le subconscient de ses joueurs, ce rendez-vous était un tournant de la saison. On entend maintenant que le Standard ne mérite de toute façon pas les play-offs parce qu’il n’a pas été capable de battre Lokeren, Saint-Trond ou Courtrai. Jankovic raisonne autrement : si son équipe avait reçu directement les points de sa victoire sur le terrain à Charleroi, certains des matches suivants auraient été négociés autrement parce que le classement aurait été différent. L’état d’esprit du groupe aussi.  »

LE JEU ET LE STADE

Le soir de son premier match à la tête du Standard, Jankovic déclare :  » Le premier objectif n’est certainement pas de proposer du football champagne pour séduire le public, mais de tout faire pour gagner. Si on commence à penser en termes de séduction, on va perde l’idée principale qui est de construire une équipe avec une mentalité exemplaire.  » Il lâche aussi cette phrase qui est une mini-déclaration d’amour :  » Sclessin, c’est magnifique. C’est un stade qui vous oblige à tout donner, qui vous empêche de calculer vos efforts.  »

Le bilan, six mois plus tard… Question points, c’est insuffisant. Question jeu, ce n’est pas folichon. Question relation avec le public, ce n’est ni chaud, ni froid. Certains de ses tests n’ont pas convaincu tout le monde dans les bureaux. Comme sa défense à trois. Une rumeur circule : Olivier Renard l’aurait recadré à la mi-temps d’un match. Le directeur sportif nous l’a démentie tout récemment :  » Je ne suis jamais intervenu sur la façon de jouer. J’allais beaucoup plus au clash avec lui quand on était ensemble à Malines. Je lui donne parfois mon avis, mais globalement, il fait ce qu’il veut. Et il accepte toujours mes remarques.  »

LA COMMUNICATION

Sacha fait l’unanimité à l’Académie aussi parce qu’il a le bon mot pour chacun ! Le club reprochait à Yannick Ferrera de ne s’intéresser qu’aux cadres du noyau et d’ignorer les réservistes, par exemple. On estime au Standard que  » l’ambiance dans un groupe est créée par ceux qui ne jouent pas.  » Jankovic l’a compris. On le voit discuter à l’occasion avec un responsable du matériel ou avec le gars qui trace les lignes.  » Yannick Ferrera râlait parfois parce que l’herbe était un millimètre trop haute. Jankovic est plus philosophe.  »

LA PRESSION

 » En fait, c’est tout le Standard qui est sous pression « , nous dit Scholz.  » Il y a la pression que la direction met sur son staff et sur le groupe des joueurs, mais aussi la pression mise sur le club par les médias, par les adversaires, par le public en général. Toute la Belgique a tendance à être naturellement anti-Standard.  » Aleksandar Jankovic voit tout ça au quotidien, sait qu’il est en permanence sur un siège éjectable et répond :  » Ce milieu n’est qu’un cimetière. Mais l’Étoile Rouge, ça te blinde un coach. J’avoue que j’avais du mal avec ça quand j’avais 35 ans. Je me cassais la tête dès qu’il y avait un commentaire négatif. Maintenant, ça me perturbe beaucoup moins.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

Aleksandar Jankovic a avoué à ses patrons qu’il s’était trompé en relançant trop tôt un joueur qui revenait de blessure et n’était pas prêt.  » Il sait qu’il n’est pas Superman. »

 » J’allais beaucoup plus au clash avec Aleksandar Jankovic quand on était ensemble à Malines.  » OLIVIER RENARD

Le Sacha en costume et le Sacha en training sont deux gars complètement différents. Plus question de peser ses mots dès qu’il est sur une pelouse de l’Académie.

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