L’homme aux 100 IDÉES PAR JOUR

En janvier 2011, quand il a repris le Club Bruges, Bart Verhaeghe voulait renouer avec le succès endéans les trois ans. Cinquième, le Club n’est qu’à quatre unités du Standard, le champion d’automne. Le point sur les différents chantiers.

C’était au début de l’été. Timmy Simons venait de signer. Bart Verhaeghe, le président, a convié quelques monuments du Club pour effectuer un état des lieux. Outre Vincent Mannaert, le directeur général, Arnar Gretarsson, le directeur technique, et Klaus Van Isacker, le responsable de la communication, il y avait Franky Van der Elst, Gert Verheyen, Marc Degryse et Jan Ceulemans. Un moment donné, celui-ci a demandé froidement au président :  » Bart, tu crois vraiment être champion avec cette équipe ?  »

On ignore la réponse exacte de Verhaeghe mais l’anecdote illustre bien les méthodes du président. Un de ses proches collaborateurs, Lorin Parys, précise :  » Il commence par un examen approfondi. Il lit beaucoup, se documente et discute avec des experts. Ensuite, il procède à une analyse, crée une structure puis s’entoure des personnes qu’il pense être les bonnes.  » Dans ce cas, les experts étaient d’anciennes vedettes.

L’organigramme

De toutes les personnes présentes ce jour-là, Vincent Mannaert est le seul à avoir survécu à l’ère Verhaeghe. Car l’homme est passionné mais terriblement exigeant. Parys :  » En effet, mais avant tout envers lui-même. Il a déjà travaillé avec beaucoup de personnes, y compris à Bruges, mais c’est normal : les talents requis évoluent en même temps que l’organisation.  »

Luc Devroe a été le premier à être limogé alors qu’il concluait son dernier transfert, celui de Thomas Meunier. Henk Mariman lui a succédé, assisté par Sven Vermant. Cette collaboration a pris fin en 2012 mais le premier reste en contact avec Verhaeghe et le second est devenu entraîneur des jeunes. Le poste est resté vacant six mois, jusqu’à l’arrivée de Gretarssson, le 28 décembre 2012.

Vincent Mannaert a expliqué qu’il était débordé : les dossiers du stade, du complexe d’entraînement, les contrats des joueurs, des entraîneurs, la responsabilité de la cellule commerciale. En outre, cette accumulation de tâches était contraire à la philosophie de Verhaeghe, qui veut une bonne structure et qui délègue. Les transferts ratés étaient aussi imputés à Mannaert. Le DT soulage le directeur général, même si toutes les décisions sont prises après consultation du staff technique et de la cellule scouting, ce qui répartit les responsabilités.

Le renvoi de Devroe a-t-il été positif ? Pas vraiment. Il n’a pas réussi tous les transferts mais il a quand même recruté Perisic, Meunier, Odjidja, Donk, Lestienne et Dirar, les achats les plus réussis des dernières années. Par la suite, seul Carlos Bacca a mérité un label similaire.

Allées et venues

Sous l’ère Verhaeghe, le Club a engagé 34 joueurs et en a vendu 30. Lors du premier match suivant son intronisation, le Club a aligné l’équipe suivante à Eupen (1-4) : CoosemansHoefkens, Donk, Van Gijseghem, Van Der HeydenDalmat, Simaeys, Geraerts, Perisic — Vargas, Kouemaha. Akpala, Vermeulen et Odjidja sont entrées en cours de match tandis que Lestienne, De Vlieger, Marcos et Van Acker sont restés sur le banc.

Il ne reste plus que deux joueurs : Lestienne et Odjidja. La prochaine campagne de transferts va entraîner d’autres mouvements. Le noyau actuel est trop large et certains rêvent de s’en aller, comme Odjidja, chez qui ça tourne à l’obsession, et Lestienne, convoité par Wolfsburg.

Quelles leçons tirer du passé ? Avant tout, que les transferts hivernaux ne constituent pas une garantie de succès. En 2012, peu après l’arrivée de Bojan Jorgacevic, Carlos Bacca, Jordi Figueras et Mushaga Bakenga ont débarqué. Seul Bacca a émergé. L’hiver dernier, le Club a recruté quatre éléments : Laurens De Bock, Oscar Duarte, Enoch Adu et Eidur Gudjohnsen. Duarte est un bon défenseur quand il est en bonne santé mais les autres n’ont pas précisément signé une bonne première année, ceci dit sans les classer trop vite, comme Bruges en a la mauvaise habitude.

Un joueur transféré en hiver ne dispose que de deux semaines pour s’intégrer. S’il vient d’Amérique du Sud, il est confronté à un changement de climat, de langue, de régime. S’il est issu de Scandinavie, il est resté deux mois sans jouer et a besoin d’une longue préparation.

Si Lestienne s’en va, le Club devra embaucher un attaquant de valeur, pour concrétiser les ambitions présidentielles. Donc, il sera cher. Un fameux risque.

Le scouting du Club et son directeur sportif devront être prudents. L’été dernier, ce dernier a misé sur des certitudes – Simons, De Sutter, il a pris un léger risque – gagnant – dans le but avec Mat Ryan, et a enrôlé quelques joueurs libres, qui ont été autant d’échecs – les Grecs Vlachos et Fourlanos, le Suisse Elton Monteiro.

34 nouveaux joueurs, cinq entraîneurs (Koster, Daum, Leekens, Garrido et Preud’homme), trois coaches des gardiens (Verlinden, Van de Walle, Lopez), autant de préparateurs physiques (Van Winckel, Desender, Simo). Difficile d’instaurer la moindre continuité sportive dans ces conditions. Cela se reflète sur le terrain : Stijnen, De Vlieger, Coosemans, Jorgacevic, Kujovic et Ryan ont déjà défendu le but brugeois, le poste qui est censé être le plus stable.

En coulisses aussi, c’est le va-et-vient. Des personnes engagées par Mannaert il y a deux ans et demi, il ne reste que Veroniek Degrande, le manager financier. Gretarsson gère l’aspect sportif, le département juridique est aux mains d’Evy Verhaeghe (sans lien de parenté) et Dagmar Decramer est chargée de l’organisation des matches. La direction s’est féminisée, comme vous le constatez.

Des spécialistes partout

Bart Verhaeghe n’a cessé de retoucher l’organigramme et de le professionnaliser. Michel Preud’homme travaille avec un entraîneur des gardiens (Ricardo Lopez), un préparateur physique (Joost Desender), un analyste vidéo (Siebe Hannosset), un psychologue (Rudy Heylen) et trois adjoints (Philippe Clement, Stephan Van der Heyden et Stan Van den Buijs).

Verhaeghe veut des spécialistes dans tous les domaines. Même Gretarsson a un assistant, Roel Vaeyens. Le staff médical a également subi des modifications : le Dr Kristof Sas est arrivé pour repartir après deux ans et depuis cet automne, le Club bénéficie de l’assistance de Lieven Maesschalck, qui passe toutes les deux semaines pour établir des programmes de revalidation et surveiller leur suivi, ce qui suscite parfois des discussions en interne.

Il faut reconnaître que Bart Verhaeghe ne recule devant aucun effort. À l’issue du rude hiver que nous avons connu cette année, Juan Carlos Garrido a insisté pour que le Club dispose d’une aire de jeu chauffée. Ce terrain a la taille de deux surfaces normales, ce qui constitue une nouveauté. Évidemment, à quoi sert un terrain principal chauffé si, toute la semaine précédant les matches, les joueurs doivent s’entraîner en salle, sur du sable ou sur une pelouse artificielle ? Autre nouveauté, Sven Vermant assure le suivi individuel des meilleurs jeunes.

Las, pour l’heure, ses efforts s’avèrent vains : il n’a pas encore remporté le moindre trophée, malgré le renouvellement de son staff, l’embauche incessante de joueurs et d’entraîneurs. Nous avons fait les comptes : si on considère Timmy Simons comme un nouveau joueur, le Club a aligné 65 joueurs différents en 113 matches de championnat depuis janvier 2011 et l’arrivée au pouvoir de Verhaeghe.

Il y a quand même une constante : la pression exercée par le président – elle n’est pas neuve car Michel D’Hooghe et Pol Jonckheere y soumettaient leurs troupes aussi. Quand Georges Leekens a paraphé son contrat, il n’avait qu’une mission :  » Tu dois être champion.  » Il en va de même pour tous les entraîneurs. Le patron est très exigeant. Celui qui ne résiste pas à la pression est renvoyé, à moins qu’il ne démissionne.

Verhaeghe suit tout de près, en direct, par courriels, via des réunions. Garrido l’appelait  » l’homme aux 100 idées par jour.  » Toutes ne sont pas applicables, surtout pas ses trouvailles tactiques.

Il ne vit plus en Suisse depuis un moment. Quand quelqu’un réside en Suisse, on pense généralement que c’est pour des raisons fiscales. Verhaeghe a fait fortune mais en fait, ses motifs étaient très personnels. Il y a émigré, un moment, parce qu’il estimait important de voir plus loin que l’église de son village. Il voulait offrir à ses enfants une vision plus large du monde et il les a donc inscrits dans une école internationale en Suisse. Las, un de ses enfants ne s’y est pas épanoui et toute la famille est revenue en Belgique au terme de l’année scolaire.

Un jour par semaine au Club

En général, il consacre un jour par semaine au seul Club mais la plupart des réunions se déroulent au château de Bever. Mannaert, Van Isacker et Verhaeghe habitent non loin et l’endroit est donc pratique. Le président passe cependant régulièrement au Club, comme des supporters en colère ont pu le constater le samedi 2 novembre, quand ils ont perturbé l’entraînement. Par hasard, le patron était là et il a tenté, en personne, de calmer les trublions. Une fois Verhaeghe dans sa voiture, pour retourner à Malines, où il habite dans une ferme rénovée, il a voulu faire le plein à Drongen, où il a rencontré d’autres supporters mais ils n’étaient pas fâchés : ils l’ont invité à boire un café.

Verhaeghe a un don pour les confrontations. Il y a deux saisons, quand le Club a réalisé un nul 1-1 à Zulte-Waregem, il s’est attardé dans la tribune avec un collaborateur. Les supporters, mécontents déjà, l’ont remarqué et sont venus lui dire le fond de leur pensée. Verhaeghe les a patiemment écoutés. Par contre, en réunion, mieux vaut être bien préparé et attentif sous peine d’être balayé.

L’URBSFA l’a expérimenté. Verhaeghe a succédé à Pol Jonckheere comme membre du Comité Exécutif. L’homme est entier et authentique. Que ce soit en privé, en affaires ou en tant que dirigeant de club, il reste le même. Si, en général, un nouveau membre se contente d’observer la manière dont tout se passe, ce n’est pas le style de Verhaeghe. Il n’est jamais absent. Ni chez lui, ni au Club et certainement pas à l’URBSFA. Dès la première réunion, il s’est opposé aux projets de construction d’un nouveau stade pour l’équipe nationale. Le Club trouve que la Fédération s’occupe trop de la 17e équipe. Verhaeghe considère ce stade comme un cadeau offert à son principal concurrent, Anderlecht, et ne veut pas qu’on retire de l’argent au football de club. Il peut y aller très fort par moments, même si Philippe Collin contre-attaque de tout son coeur. En principe, les deux hommes siègent au Comité Exécutif au nom de la Pro League et ils sont donc censés défendre les mêmes intérêts mais ce n’est pas toujours évident dans les gros dossiers, d’autant que Bart Verhaeghe n’est absolument pas porté sur les compromis. Blanc c’est blanc, noir c’est noir. Tout au plus bleu et noir. Mais il y a fort peu de gris dans son existence

PAR PETER T’KINT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Avec lui, blanc c’est blanc et noir c’est noir. Ou bleu et noir. Mais jamais mauve et blanc.

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