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L’homme à tout faire

Si Bruno Venanzi n’a jamais voulu être un président omnipotent, son nouveau bras droit ne semble, lui, pas avoir peur du pouvoir. Une nouvelle politique judicieuse pour de nombreux sympathisants rouches, mais qui comporte quelques dangers. Explications.

« Personne n’arrive à vraiment quitter le foot, c’est terrible.  » Ce constat, Bruno Venanzi l’avait avancé pour expliquer en partie le retour aux affaires de Michel Preud’homme après une retraite de douze mois en Gironde. L’ex-coach du Club Bruges est un footaholic de la plus belle espèce.

Il l’était déjà du temps où il était joueur, il l’est encore davantage depuis qu’il a raccroché les crampons. Son année sabbatique semblait indispensable, tant son visage se marquait de plus en plus sur la fin de son aventure brugeoise. Quant à ses sautes d’humeur légendaires, elles étaient de moins en moins maîtrisées.

L’iode de l’Océan Atlantique semble lui avoir fait le plus grand bien. À la reprise des entraînements, au début de l’été, MPH paraît même rajeuni, décontracté. Même si l’on ne changera jamais totalement Michel Preud’homme. Et surtout pas à près de 60 ans.

Deux mois après une remise en route éprouvante physiquement et compliquée tactiquement pour les troupes liégeoises, le coach liégeois ne peut masquer son inquiétude puis son agacement lorsque son équipe prend l’eau de toutes parts à la Johan Cruijff Arena (3-0).

Les Liégeois quittent les qualifications pour la Ligue des Champions la tête basse après avoir fait illusion lors du match aller (2-2). Après la rencontre, Preud’homme pointe à demi-mots les responsables du fiasco, façon HeinVanhaezebrouck.

 » Les consignes, c’était de faire presque la même chose qu’à l’aller, c’est-à-dire empêcher les Ajacides de jouer. Mais pour ça, il faut être réveillé et avoir envie de faire les efforts dès le début, tout ce qu’on n’a pas fait en début de match. On a pressé à 2 kilomètres/heure et on était à 10 mètres des adversaires.  »

Place aux sanctions

Luis Pedro Cavanda fut la victime désignée de 45 premières minutes sans âme. Lors du déplacement quatre jours plus tard à Lokeren, l’arrière latéral passé par la Lazio Rome ou Galatasaray n’est pas du voyage. MPH envoie un message clair à ses troupes pour la première fois de la saison. Cavanda n’est pas seulement sanctionné pour ses errements défensifs mais bien pour un comportement qui laisse fortement à désirer, à l’image de retards répétés aux entraînements.

 » Nous ne dévierons pas de notre ligne de conduite pour mener le projet à bien. Le club décide comment on vit, comment on s’entraîne, comment on joue et après, les joueurs vont l’exécuter ou pas « , clame Preud’homme.

Car face aux Ajacides, c’est tout un groupe, ou presque, qui est passé à côté de son sujet et qui n’a pas respecté les consignes tactiques du duo Preud’homme- Ferrera. Si Cavanda s’est retrouvé trop souvent abandonné à son triste sort face à Dusan Tadic et cie, c’est aussi la faute à un milieu de terrain, Uche Agbo en tête, qui ne coulissait pas sur le côté droit alors que les Liégeois avaient été briefés sur les déplacements de l’international serbe.

La claque reçue à Amsterdam aura eu l'effet de remettre tout le monde à sa place.
La claque reçue à Amsterdam aura eu l’effet de remettre tout le monde à sa place.© BELGAIMAGE

La claque reçue à Amsterdam aura au moins eu l’effet de remettre tout le monde à sa place. Depuis le premier jour, Preud’homme sait qu’il est au-devant d’un fameux chantier. D’autant que les fabuleux résultats de la fin de saison dernière ajoutent une dose de pression supplémentaire à sa mission.

Peut-il d’ailleurs faire mieux que son prédécesseur, Ricardo Sa Pinto, vainqueur de la Coupe de Belgique et vice-champion ? Cela semble difficile d’autant que l’Europa League s’est rajoutée au calendrier et que la concurrence, Anderlecht et Genk notamment, semble s’être renforcée.

Un vrai projet

L’autre grande question que beaucoup se posent : Preud’homme ne risque-t-il pas de s’éparpiller en endossant toutes les fonctions qui lui ont été attribuées (entraîneur+vice-président+administrateur) ? Un cumul qui peut s’avérer lourd sur la durée.

 » C’est la première fois qu’il porte autant de casquettes, mais dans les faits, ça ne va pas trop le changer par rapport à ce qu’il faisait ailleurs « , s’est défendu l’entraîneur de terrain, Emilio Ferrera.  » À Al Shabab, il prenait des décisions à plusieurs niveaux du club, il n’était pas simplement l’entraîneur.

Il intervenait dans l’organisation générale, dans le recrutement, dans les décisions stratégiques, il était parfois dans les négociations de contrat. Il n’est pas fait pour s’occuper simplement de ce qui se passe sur le terrain. Donc, ça ne va pas trop changer pour lui. La seule différence, c’est que ses casquettes sont maintenant officielles. Le Standard a un président qui a eu l’honnêteté intellectuelle de tout officialiser…  »

À Bruges aussi, Preud’homme outrepassait largement la case purement  » terrain  » et s’ingérait dans les transferts et dans le développement du club, ce qui avait d’ailleurs fini par faire naître quelques tensions, et mettre fin à son mandat avant la date-butoir de son contrat.

Mais Michel Preud’homme a toujours pris le soin d’assurer ses arrières. Cette fois encore, le juteux et parfaitement ficelé contrat de quatre ans qu’il a paraphé, en fin de saison dernière, lui assure d’être présent sur la durée, sans quoi la compensation financière engendrée par un éventuel départ grèverait fameusement le budget du club principautaire.

On n’en est évidemment pas là. Si l’idée de ramener le mage de Sclessin au bercail germe dans la tête de Bruno Venanzi depuis bientôt un an, c’est évidemment pour travailler sur le long terme.  » On n’attire pas des mouches avec du vinaigre « , dixit le nouveau directeur général, Alexandre Grosjean. Qui, la semaine dernière, dans nos colonnes, avançait déjà :

 » Bruno a voulu intégrer Michel avec un vrai projet. Si Bruno lui avait proposé d’être coach du Standard, il lui aurait répondu qu’il l’avait déjà été il y a dix ans. Il fallait quelque chose de plus grand. Intégrer la structure d’un club en tant que dirigeant, c’est quelque chose qui lui parlait.  »

Pieds nickelés et troisième homme

À travers son titre d’administrateur et de vice-président, MPH est bien plus qu’un manager à l’anglaise, même si l’arrivée d’Emilio Ferrera à ses côtés va en ce sens. Les pieds nickelés ont tout pour s’entendre. L’un a pour lui une carrière, un palmarès et une aura assez unique en Belgique alors que le second passe pour un fin tacticien et un maître de la mise en place aux entraînements.

Tous deux sont également de grands passionnés. Deux caractères compliqués aussi. Qui ont dû accorder leurs violons, à travers une bonne discussion, alors que la ligne était rompue il y a encore un an. A Bruges, MPH a prolongé la méthode Ferrera, que ce soit aux entraînements ou en match. Cette saison, l’animation offensive tend vers celle à laquelle on était habitué du côté du Jan Breydel :

Un 4-3-3 sur papier, qui prend des tournures de 4-2-2-2 avec un ailier qui rentre dans le jeu en possession de balle alors que l’autre flanc vient prêter main forte à l’attaquant de pointe. Emilio Ferrera a énormément travaillé les sorties de défense, le passing et l’animation durant la préparation, n’hésitant pas à pousser quelques fameuses gueulantes. Tandis que le débriefing d’après-match en semaine du duo MPH-Ferrera se veut assez pointu.

Le Standard s’est rationalisé depuis la venue de Michel Preud’homme et de son staff. Rien n’est laissé au hasard. Contrôle d’urine régulier, prise de poids quasi quotidienne sont au programme. Le groupe doit aussi rattraper son gros retard physique légué de la saison passée.

Un GPS qui calcule la vitesse/ distance et un cardio pour l’intensité accompagnent les joueurs à chaque entraînement. Les données sont ensuite récoltées et analysées. Impossible donc de se cacher aux entraînements comme ce fut trop souvent le cas sous l’ère Jankovic par exemple. Le travail est très spécifique, calculé en fonction de l’échéance à venir. Les joueurs affirment arriver frais le jour J.

Le troisième homme, Renaat Philippaerts est une pièce essentielle du système MPH. Les deux hommes ne se quittent plus depuis le passage de Preud’homme à Gand. Au-delà d’indéniables qualités en tant que préparateur physique, cet universitaire a un rôle relationnel très important pour son chef de tribu. C’est lui, souvent, qui fait redescendre MPH dans les tours quand sa tension monte d’un cran.

Preud’homme rameute la presse flamande

Le départ de Roland Duchâtelet et les deux saisons de turbulences qui ont suivi et qui ont amené le club en PO2 avaient fini par faire fuir les médias du nord du pays. L’été dernier, alors que le Standard tentait de se reconstruire mais nageait en pleine inconnue avec l’arrivée de Ricardo Sa Pinto, l’Antwerp de Lucien D’Onofrio venait faire ombrage.

Si la couverture médiatique restait évidemment importante au sud du pays, le club principautaire était bien loin de l’éclat dont il jouissait lors des années Witsel-Jovanovic-Defour voire celles de l’excentrique Duchâtelet. Le retour au bercail de l’enfant de la maison change évidemment la donne.

Car MPH est l’un des rares personnages du foot belge à être aussi populaire au nord qu’au sud. L’ex-coach du Club bénéficie aussi de pas mal de soutiens de poids chez les éditorialistes flamands, que ce soit de presse écrite ou radio et sait parfaitement comment le système fonctionne. Depuis l’annonce du retour de Michel Preud’homme, le Standard a véritablement retrouvé une dimension médiatique nationale.

La complexité d’une politique de transferts à deux têtes

Michel Preud’homme n’a pas attendu d’apposer sa signature au bas du contrat que lui tendait Bruno Venanzi pour penser transferts. Que ce soit Samuel Bastien, Senna Miangue ou Maxime Lestienne, voire la levée d’option de Luis Pedro Cavanda, toutes ces signatures portent la griffe du duo Preud’homme-Renard.

L’une des volontés était de signer du jeune Belge en vue de préparer la saison 2019/2020. C’est chose faite. Preud’homme s’est très tôt positionné pour l’achat d’un homme fort devant et pensait d’ailleurs le détenir avec l’arrivée de Zinho Gano. L’ex-attaquant d’Ostende, qui avait passé la nuit dans un hôtel à Liège, a brusquement changé d’itinéraire pour se retrouver à Genk alors qu’il devait passer les tests médicaux et signer un contrat au Standard.

Malgré la présence de Renaud Emond et le retour surprise d’ Orlando Sa, Preud’homme n’a pas lâché l’affaire et s’est tourné vers Obbi Oularé, dont le rendement des dernières saisons, n’a rien de rassurant. Hormis Moussa Djenepo, particulièrement en verve depuis le début de saison, qui peut occuper ce rôle comme face à Gand, le Standard ne dispose d’aucun véritable attaquant de rupture qui prend la profondeur, à l’image d’un AbdoulayDiaby à Bruges.

MPH s’est aussi intéressé à Lior Refaelov qu’il jugeait être un surplus d’expérience pour le groupe. La venue de l’international israélien aurait par contre freiné l’éclosion de plusieurs jeunes à l’image de Djenepo ou William Balikwisha, dont on dit le plus grand bien depuis le début de la préparation, et qui voit Herman Van Holsbeeck, resté proche d’ Emilio Ferrera, lui tourner autour. L’ex-directeur général des Mauves se présente désormais comme consultant et s’est aussi rapproché du jeune Mauve Alexis Saelemaekers.

Intouchable

MPH s’est aussi heurté à certaines réalités financières. Zakaria Bakkali était impayable pour les normes liégeoises puisqu’il touche un peu plus d’un million d’euros net par an à Anderlecht. Il était aussi trop tard pour espérer garder Junior Edmilson quelques mois de plus dans la Cité Ardente.

Et pourtant, le coach liégeois en faisait sa priorité et a, à plusieurs reprises, conversé avec le Belgo-Brésilien. Mais celui-ci a préféré sauter sur l’offre plantureuse venue du Qatar. MehdiCarcela est resté, sans surprise, même si l’enfant de Droixhe attend toujours une revalorisation salariale qui lui aurait été promise (selon le camp Carcela). Là aussi Preud’homme a dû faire preuve de psychologie pour arriver à lui faire tourner le bouton.

Présent aux entraînements, devant la presse, lors du conseil d’administration ou lors des comités de direction, MPH est de tous les terrains. Bruno Venanzi est resté cet été davantage en retrait, basé la plupart du temps dans le sud de la France, et a connu pour la première fois, depuis sa prise de fonction en juin 2015, un été apaisé.

En ramenant à Sclessin l’icône MPH, Venanzi s’est acheté une certaine quiétude et un bouclier face aux éventuelles critiques. Car Preud’homme est bien plus qu’un entraîneur. Sa situation est assez unique. Il possède désormais toutes les clefs, ou presque, de la maison rouche. Une toute-puissance qui pourrait s’avérer épineuse d’un point de vue managérial en cas de contre-performances. Car comme le rappelait, Thomas Chatelle :  » Un entraîneur doit pouvoir être recadré. Mais qui sera là pour recadrer l’entraîneur Preud’homme ?  »

Michel Preud'homme énervé : un comportement que Renaat Philippaerts vise à modérer.
Michel Preud’homme énervé : un comportement que Renaat Philippaerts vise à modérer.© BELGAIMAGE

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