L’HOMME 9

De bouc émissaire en fin de saison dernière à leader et buteur implacable. Gonzalo Higuaín a porté le SC Napoli sur ses épaules jusqu’au titre, honorifique, de champion d’hiver, étape intermédiaire avant un éventuel scudetto. Et est en train de marcher sur les traces de son illustre prédécesseur sur place, un certain Diego Maradona.

Stade San Paolo, le 30 mai dernier, le Napoli reçoit la Lazio pour le compte de la 38e et dernière journée de championnat. L’ambiance est chauffée à blanc, car ce match est ni plus ni moins qu’une finale pour accéder aux barrages de la Champions League. En effet, en cas de victoire, les Azzurri passent devant leur adversaire du jour, de quoi finir la saison sur une bonne note. Le scénario est fou : mené 0-2 à la pause, le Napoli revient au score en l’espace de quelques minutes grâce à un doublé de l’Argentin avant d’obtenir un penalty à un quart d’heure de la fin.

Le destin est entre les pieds de GonzaloHiguain, qui s’élance et manque le cadre. La Lazio plantera deux autres banderilles. Fin du rêve, le Napoli se fait même passer par la Fiorentina sur le fil et finit à une triste 5e place. Les semaines qui suivent,  » ElPipita  » est volontiers désigné comme le responsable de cette débâcle, et peu importe s’il a inscrit les deux buts qui ont permis aux Napolitains d’entretenir l’espoir. C’est sur cet échec qu’il s’en va au Chili disputer la Copa America.

Il y loupera un autre penalty lors de la séance de tirs aux buts qui conclut la finale contre le pays organisateur. Une sale période, le genre qui donne envie de tourner la page pour repartir de zéro ailleurs, d’autant que RafaBenitez, celui qui l’a convaincu de venir à Naples, s’en est allé au Real Madrid. Jour après jour, les rumeurs de départ se multiplient, l’Angleterre est la destination la plus souvent citée avec Arsenal, Manchester United ou encore Chelsea. Seule une clause de 94 millions d’€ empêche la réelle mise en route des négociations, permettant aux dirigeants napolitains de temporiser jusqu’à fin juillet.

FAINÉANT SUR LES BORDS

C’est à cette date qu’Higuain se rend enfin à Dimaro, une bourgade nichée au milieu des Dolomites et où ses coéquipiers sont en pleine préparation d’avant-saison. MaurizioSarri fait transpirer ses hommes, ça travaille dur mais dans la bonne humeur. Une sensation de véritable renouveau virevolte dans l’air pur du Trentin et l’Argentin s’en rend compte. Il en aura la certitude au moment de la rencontre avec le nouveau coach, arrivé en provenance de l’Empoli avec ses méthodes innovantes dans sa valise mais aussi une problématique : pourront-elles s’appliquer à des champions de la trempe de l’ancien madrilène ?

 » Nous avons parlé trois minutes lors d’une réunion privée et cela a été suffisant pour me convaincre de rester « , révélera l’intéressé quelques semaines plus tard aux micros de Mediaset. Habitué à fréquenter les meilleurs entraîneurs de la planète depuis le début de sa carrière (de JoséMourinho à FabioCapello en passant par ManuelPellegrini),  » ElPipita  » se surprend à apprécier le style de celui qui était encore un inconnu il y a peu mais qui n’hésite pourtant pas à le titiller.

 » Higuain est un phénomène, c’est évident, mais je suis certain qu’il a encore une grande marge de pression et qu’il n’a pas réussi à exprimer tout son potentiel. Il est un peu fainéant, je le lui ai dit et il l’a très bien compris. Potentiellement, il peut être le meilleur attaquant du monde mais, s’il ne s’applique pas, il ne le deviendra jamais « , confiait Sarri lors d’une conférence de presse d’avant-match.

Le déclic mental s’opère car Higuaín avait toujours soigné sa feuille de stats : 24 buts la 1re année, 29 la seconde, mais jamais il n’avait réussi à se muer en véritable leader. Trop égoïste, trop occupé à s’énerver contre ses coéquipiers. Un buteur oui, mais parmi tant d’autres. Un soliste.

DES CHIFFRES ÉLOQUENTS

Suite à un début de saison laborieux, fait de deux petits points récoltés en trois journées, le technicien toscan abandonne son fidèle 4-3-1-2 pour un 4-3-3 correspondant bien mieux aux caractéristiques de ses meilleurs éléments, libérant ainsi toute la puissance offensive du Napoli. Seul en pointe comme durant l’ère Benitez, Higuain est toutefois amené à participer beaucoup plus au jeu.

Son rayon d’action, c’est l’entrée de la surface, dos au but, en remise, en combinant avec ses ailiers, notamment LorenzoInsigne. Une association qui fait des ravages. Ce n’est pas un hasard si le petit Napolitain est en train de définitivement exploser. En outre, le mouvement sans ballon de l’Argentin permet de créer des espaces dans lesquels s’engouffrent les deux milieux relayeurs.

Ainsi, le capitaine MarekHamsik peut de nouveau faire parler son talent après deux années moindres, tandis que la recrue brésilienne Allan, déjà très bon à l’Udinese, surprend. Des trames de jeu étudiées par Sarri et parfaitement assimilées par son avant-centre, fondamental dans leur application. Au service du collectif, Higuaín trouve également son compte d’un point de vue statistique, importantissime pour lui. Car l’ego d’un champion, ça s’entretient.

Pendant de longues années, les experts italiens étaient persuadés que les statistiques de Messi et Ronaldo n’étaient réalisables qu’en Liga, là où les défenses sont plus laxistes et les entraîneurs moins pointus tactiquement. Le début de saison de l’attaquant napolitain est en train de démentir toutes ces théories.

Les chiffres sont éloquents. A la fin des matches aller, il avait inscrit 18 buts en 19 rencontres dont un seul penalty. Seuls 5 joueurs ont fait mieux que lui à ce stade de la saison dans l’histoire de la Serie A : IstvanNyers de l’Inter en 1949-50 et AldoBoffi du Milan dix ans plus tôt avec 19 buts, EnriqueGuaita de la Roma en 1934-35 avec 21, FeliceBorel de la Juve, la saison précédente, avec 22 et AntonioAngelillo de l’Inter en 58-59 avec 24.

PLUS FORT QUE BATIGOL

Un autre football, un autre sport même, juste avant l’avènement du légendaire catenaccio qui verrouilla les défenses pour de bon. En un sens, Higuain réécrit l’histoire et bouscule même des hiérarchies qui paraissaient pourtant immuables. C’est en tout cas l’avis d’AbelBalbo dans les colonnes d’IlMattino. Balbo, Argentin lui aussi et ancien attaquant prolifique de Serie A mais dans les années 90.

 » Il est plus fort que GabrielBatistuta, il n’a pas de rivaux en Italie et, en Europe, il est au niveau de Messi et Ronaldo.  » Pour rappel, Batigol, c’est un des plus grands buteurs jamais vus en Italie, 184 pions en 318 rencontres entre 1992 et 2003, sans oublier les 56 en 78 caps avec l’Argentine.

Si les comparaisons avec le passé atteignent vite leurs limites, celles avec les homologues contemporains ont beaucoup plus de sens. En cette première partie de saison, la planète football s’est soudain rappelée l’existence de l’un de ses meilleurs représentants. Un joueur que l’on tendait à oublier, du fait aussi de son absence de la Champions League depuis deux ans, une compétition qui concentre toute l’attention médiatique.

Laissons de côté les monstres Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, injoignables en termes de statistiques, dans un hypothétique classement des attaquants les plus redoutables. Higuain se dispute alors la dernière place vacante sur le podium en compagnie de Neymar, SergioAgüero, ZlatanIbrahimovic, RobertLewandowski, LuisSuarez et KarimBenzema.

Parmi ce gratin, il est probablement celui qui se rapproche le plus de la perfection du numéro 9. Pour s’en rendre compte, il suffit de jeter un coup d’oeil à ses réalisations, rarement banales. Des prises de balles aux 30 mètres pour écarter plusieurs adversaires et mordre la surface de réparation à pleines dents. Un alliage de puissance et technique détonnant malgré un style loin d’être académique.

26 ANS APRÈS

Ne cherchez pas le dribble chaloupé ou le  » skill  » qui fera le buzz sur la toile, Higuaín ne gâche pas un ballon et va droit au but. Il joue des épaules, cherche le un contre un, résiste à la charge des défenseurs pour ensuite crucifier le portier adverse d’une frappe placée là où il le veut, du droit ou du gauche, peu importe.

Mais il sait également s’illustrer dans un style plus classique, dans la surface de la réparation, à la réception d’un une-deux, d’un centre à ras de terre ou en exploitant un ballon errant. Contrairement à la mode – bientôt désuète – des  » faux 9 « , le Napolitain a pour terrain de chasse les 16 mètres.

En Serie A, il y touche presque deux fois plus de ballons que ses concurrents, les PauloDybala, EdinDzeko, MauroIcardi et NikolaKalinic. A mi-parcours, il en était à 42 tirs cadrés, là aussi beaucoup plus que ses adversaires.

 » Ma mentalité a changé, je suis plus calme et serein. J’ai compris les erreurs que j’ai faites par le passé. Depuis le premier jour, je me suis mis en tête de rentrer dans l’histoire du Napoli, c’est pour cela que je suis venu, ce n’est pas un poids, mais plutôt une motivation « , déclarait-il après un de ses derniers exploits. Longtemps, il a buté sur le dernier cap à passer, il l’a enfin franchi, à 28 ans.

Le Napoli est donc champion d’hiver, un titre honorifique qui n’avait plus été obtenu depuis 26 ans, c’était lors du deuxième et dernier scudetto conquis par la bande à DiegoMaradona. Difficile de ne pas évoquer un passage de témoin. Une métaphore déjà employée pour EzequielLavezzi, parti au PSG en 2012, et qui avait justement souffert de la pression de cette comparaison.

Higuain semble avoir les épaules plus solides, grâce aussi au rapport privilégié qu’il entretient avec ElPibedeOro. N’oublions pas qu’il en fit son attaquant titulaire au Mondial 2010, à l’époque où il était sélectionneur de l’Albiceleste :  » Gonzalo est mon héritier, je suis certain qu’il écrira des pages importantes de l’histoire du Napoli « , a-t-il affirmé il y a quelques semaines dans le CorrieredelMezzogiorno.

Une intronisation en belle et due forme de la part de la divinité napolitaine, Sarri aussi voit grand :  » Pour moi, c’est le meilleur 9 au monde. Higuaín a le potentiel pour gagner le Ballon d’or; s’il ne réussit pas, il ne pourra s’en prendre qu’à lui « . Messi et Cristiano Ronaldo sont avertis, mais avant de penser à d’hypothétiques récompenses individuelles,  » ElPipita  » a un scudetto à remporter. Un Argentin roi de Naples, un scenario déjà vu, mais un remake auquel on assisterait avec plaisir.

PAR VALENTIN PAULUZZI – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Gonzalo est mon héritier, je suis certain qu’il écrira des pages importantes de l’histoire du Napoli.  » – DIEGO MARADONA

 » Il a le potentiel pour gagner le Ballon d’or.  » – MAURIZIO SARRI, COACH DU SC NAPOLI

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