© BELGAIMAGE - CHRISTOPHE KETELS

L’HISTOIRE SANS FIN

La soirée devait se filmer en noir et blanc. Une fête zébrée au bout de la nuit, finalement gâchée par un invité-surprise caché derrière un masque de Hulk. Récit d’un samedi carolo entre chants, calculatrices et théories du complot.

Comme s’ils savaient que Charleroi avait tout pour être  » the place to be  » de ce samedi de Pro League, les nuages noirs se sont donné rendez-vous au-dessus du Mambour. Longtemps avant le coup d’envoi, la pluie s’est invitée dans le ciel carolo. Pendant ce temps, à l’abri des buvettes, les supporters des Zèbres expérimentent à leur manière le concept de  » soirée arrosée « , préférant allègrement les degrés d’alcool du bar aux degrés Celsius de la tribune.

Ceux dont la mémoire n’a pas encore été atteinte par l’accumulation de bières rappellent à l’assemblée qu’il y a dix mois à peine, la dernière venue de Courtrai au Pays Noir s’était soldée par une victoire de leurs héros, signée Jérémy Perbet à la 90e minute, au plein coeur de ce qu’on n’appelait pas encore le  » Felice Time « . Près d’un an plus tard, pareil scénario offrirait aux hommes de Felice Mazzù une deuxième qualification pour les play-offs 1 en trois ans.

L’exploit est à portée de main, et la météo capricieuse n’a pas suffi pour empêcher le stade de dépasser la barre symbolique des 10.000 occupants pour la cinquième fois de la saison. Au sein du club, le scepticisme était pourtant de mise la veille quant à une affluence à la hauteur de l’événement, mais les supporters ont visiblement entendu l’appel du coach des Zèbres, et ont fait la queue pour acquérir un billet dans les quelques heures qui précédaient le coup d’envoi.

Le speaker ne peut masquer son impatience pour annoncer la composition des équipes et mettre le feu à la T4, où les Ultras carolos préparent leur dernier tifo de la phase classique. Entre l’hymne du Pays de Charleroi et la montée des joueurs sur la pelouse, il s’écoule cinq bonnes minutes, comblées par une sono toujours aléatoire et de premiers chants lancés depuis les tribunes. Suspendues dans l’air du kop carolo, les lettres  » Charleroi  » sont envahies par la lumière et le brouillard noir et blanc des fumigènes craqués pour l’occasion. Sur la pelouse, les onze visages zébrés sont fermés. La concentration est de mise, et quelques sourires s’échangent en même temps que des tapes amicales au fur et à mesure que le premier coup de sifflet de monsieur Wim Smet approche.

SMARTPHONES ET CALCULATRICES

Partout dans le stade, la concentration se disperse entre la pelouse et les smartphones, où les supporters actualisent nerveusement leur application de résultats favorite pour suivre l’évolution du score à Malines, à Waasland-Beveren ou à Genk. Certains la jouent à l’ancienne, avec Vivacité dans les oreilles et du stress dans les yeux. Les gouttes d’eau ont disparu, et ce sont désormais les buts qui pleuvent. Charleroi marque deux fois en première mi-temps, mais David Pollet et Hamdi Harbaoui étaient tous les deux hors-jeu. Vestiaires et buvettes se rejoignent avec un marquoir toujours endormi.  » Plus que quarante minutes à attendre avant de marquer « , ironisent certains, pendant que d’autres s’improvisent docteurs en mathématiques pour établir les probabilités d’une qualification pour les play-offs 1 en cas de match nul.

Les calculatrices volent en éclats à l’heure de jeu, quand Idriss Saadi décide de sortir un extérieur du pied venu d’ailleurs pour dégainer son masque de Hulk. Partout en Belgique, les buts s’empilent, et la belle histoire tourne au film d’épouvante pour Charleroi.  » À un moment, j’ai regardé le classement sur mon téléphone, et on n’était plus dans le top 6. Je dois vous dire que ça fait une drôle de sensation « , explique Mehdi Bayat après la rencontre.

Alors que le  » Felice Time  » commence, l’administrateur délégué du Sporting fait ce qui est désormais devenu une routine : descendre au bord de la pelouse, et demander au speaker le temps additionnel. Cinq minutes, qui semblent aller beaucoup trop vite pour les Zèbres jusqu’à ce que Dorian Dessoleil, quelques instants après avoir touché le montant, fasse trembler les filets à vingt secondes du terme. La tribune se désarticule, et le petit ramasseur de balles placé à côté du but oublie son rôle l’espace d’un instant pour devenir un supporter comme les autres, lancé dans une course folle derrière le défenseur carolo.

VILAIN PETIT CANARD

Le scénario de la saison s’est répété, une fois de plus. Mais avec un goût amer.  » J’ai un sentiment bizarre, parce qu’on aurait voulu tout finir ici, devant nos supporters « , confie Javier Martos. À côté de lui, certains de ses coéquipiers s’étonnent ouvertement de la qualité de la prestation courtraisienne.  » Je trouve quand même ça bizarre « , affirme par exemple Clément Tainmont, qui suggère que Courtrai  » avait peut-être l’intention de nous mettre hors des play-offs 1.  » Francis N’Ganga, lui, ne prend même pas de pincettes :  » Vous savez, Charleroi, c’est une équipe qui n’est pas très aimée du reste du championnat. Je pense que peu de gens veulent nous voir dans le top 6.  »

Des propos à chaud, certes, mais qui font écho à ceux de Damien Marcq, interviewé quelques jours plus tôt par La Dernière Heure :  » Je pense qu’on est un peu le vilain petit canard de la Pro League.  » Les supporters sont évidemment d’accord, eux qui n’hésitent jamais à chanter  » Union belge mafia  » quand les décisions de l’homme en noir tournent en leur défaveur.

Charleroi aime cette posture de victime, d’équipe seule contre le monde. Cela permet au groupe, constitué d’une bonne partie de joueurs revanchards, d’évoluer en vase clos et de renforcer ses liens pour lutter contre une adversité prétendument excessivement hostile. C’est sans doute l’un des secrets de la belle saison zébrée.

Pendant que les Ultras donnent ce qu’il leur reste de voix pour saluer la défaite du Standard à Mouscron, Idriss Saadi est victime de la frustration d’un supporter qui le traite de  » sale terroriste « . Après avoir tenté d’accéder à la tribune pour dire sa façon de penser à son agresseur vocal, l’Algérien est calmé par Mehdi Bayat, décidément omniprésent, et multiplie les apparitions devant la presse pour témoigner de ces événements malheureusement classiques d’une fin de soirée qui tourne mal. Saadi explique qu’il s’agissait d’un cas isolé, et que  » l’arbre qui tombe fait toujours plus de bruit que la forêt qui pousse.  » Il réfute ensuite tout soupçon de motivation exacerbée pour cette rencontre :  » Moi, dès que je rentre sur un terrain, c’est pour gagner.  »

POUR UN HAPPY END À DAKNAM

Sorti des vestiaires en même temps que lui, Idir Ouali s’offusque presque d’être interrogé sur la motivation des Courtraisiens pour ce déplacement sans enjeu à Charleroi.  » On aime le foot, quand même, non ? Je ne comprends même pas qu’on pose la question « , explique l’ailier des Flandriens, qui poursuit :  » On ne va quand même pas perdre exprès, hein. S’ils veulent aller en play-offs 1, ils n’ont qu’à aller les chercher, ce n’est pas à nous de leur donner.  »

Un étage plus haut, dans la salle de presse, Felice Mazzù n’évoque d’ailleurs que son équipe, comme s’il n’imaginait même pas le début de polémique abordé par certains de ses joueurs quelques instants plus tôt.  » Comme toutes ces dernières semaines, les gars y ont cru jusqu’au bout « , souligne le coach des Zèbres, qui ajoute que son équipe est  » encore allée chercher ce point au courage et à la volonté.  » C’est comme si Charleroi trouvait de nouvelles forces dans les arrêts de jeu.  » Cet état d’esprit de la fin de rencontre, tu ne peux pas le mettre tout le match « , explique Javier Martos pour justifier cette perpétuelle métamorphose zébrée à l’approche du coup de sifflet final.

Parce que rien ne pouvait décidément être résolu avant la fin, Charleroi devra donc attendre son trentième match, et un déplacement pas franchement enchanteur à Lokeren, pour composter son billet de première classe pour la suite de sa saison. Et c’est là que le but de Dorian Dessoleil change tout. Parce que sans lui, les Zèbres auraient été obligés de s’imposer à Daknam, face à une équipe qui n’a encaissé que treize buts en quatorze matches depuis sa venue au Mambour, à la fin du premier tour.

Grâce à ce nouveau moment de  » Felice Time « , garder le zéro suffira, sur le terrain de la plus mauvaise attaque du championnat, et avec un Nicolas Penneteau tout juste élu  » Zèbre du mois  » par des supporters qui n’hésitent jamais à scander son nom quand il se dirige vers son but, avant le coup d’envoi. La mission pourrait ressembler à une formalité. Mais le script de la saison carolo est copié sur ces séries américaines, où le rebondissement inattendu de fin d’épisode vous oblige toujours à regarder le suivant. Reste à savoir si le happy end hollywoodien sera au bout de la saison.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Charleroi aime cette posture d’équipe seule contre le monde. Cela permet au groupe de renforcer ses liens pour lutter contre une adversité prétendument hostile.

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