L’histoire d’une dissolution

L’arrière droit brésilien sentait que le moment était venu pour lui de quitter Sclessin. Il est convaincu d’avoir effectué le bon choix en optant pour Bruges.

Depuis dix jours, Marcos Camozzato a posé ses valises dans la Venise du Nord. En attendant de trouver une maison, ou de voir celle d’un autre joueur se libérer, il loge toujours à l’hôtel et attend avec impatience l’arrivée de son épouse et de sa fille, de 11 mois. Après trois saisons et demie au Standard, l’arrière droit a éprouvé le besoin de changer d’air. Avec calme et pondération, il nous explique les raisons de son départ et celles qui ont dicté le choix de Bruges.

Marcos, c’est la classe. Sur le terrain mais aussi dans l’expression. Originaire de Porto Alegre, une grande métropole du sud brésilien où se sont établis de nombreux descendants d’Européens, son profil est plus proche de celui de Socrates ou de Kaká que de la majorité des footballeurs brésiliens, sortis des favelas et pour qui le futebol est presque un moyen de survie : avec un père médecin, une épouse psychologue et une s£ur psychiatre, l’éducation a toujours tenu une place importante chez lui.  » C’est vrai, je n’ai pas eu cette pression de devoir à tout prix réussir ma carrière footballistique parce que l’avenir de ma famille en dépendait. J’ai pu poursuivre mes études, effectuer des choix mûrement réfléchis, en attendant le bon moment.  »

Et si le Standard avait été européen ?

Marcos, avez-vous l’impression d’effectuer un pas en avant en quittant le Standard pour Bruges ?

MarcosCamozzato : L’avenir me l’apprendra, mais il arrive un moment dans la vie ou dans la carrière d’un footballeur où il faut prendre une décision, et ce moment était arrivé.

Aviez-vous besoin d’un nouveau défi ?

Probablement. En trois saisons et demie au Standard, j’ai été deux fois champion. J’ai fait partie de l’équipe qui a offert aux supporters rouches un titre qu’ils attendaient depuis 25 ans. Durant trois saisons, j’ai toujours disputé une compétition européenne. La saison dernière, j’ai même participé à la Ligue des Champions. Quand on a pris goût à ce genre de matches, on en veut encore. Mais cette saison-ci, le Standard devra se contenter des compétitions belges. A Bruges, j’aurai encore l’occasion de me montrer sur la scène européenne.

Doit-on en déduire que si le Standard avait encore été européen, vous seriez toujours à Sclessin ?

C’est un peu réducteur, mais j’ai effectivement tenu compte de cette donnée. L’autre raison de mon départ, c’est que je sentais que le groupe du Standard, dont je faisais partie, était arrivé en fin de cycle. Ce groupe avait commencé à se dissoudre, lentement mais inéluctablement, depuis un an. Avant les départs de Milan Jovanovic et d’Igor de Camargo, il y avait eu ceux d’Oguchi Onyewu et de Dante Bonfim. Le temps est aujourd’hui venu, pour le Standard, de reconstruire l’avenir sur d’autres bases.

Bruges a consenti un important effort financier pour acquérir vos services…

L’aspect financier n’est pas négligeable, mais il n’y a pas que l’argent qui a influencé mon choix. J’ai surtout senti, dans le chef des dirigeants brugeois, une grande volonté de m’attirer. Ils croient en moi, sont persuadés que j’incarne cet arrière droit qu’ils recherchent depuis des années, et cette confiance qu’ils me vouent est valorisante. J’ai hâte de leur démontrer qu’ils ne se sont pas trompés. Le style de jeu d’Adrie Koster me plait également. La saison dernière, Bruges a longtemps été l’équipe qui a pratiqué le meilleur football du championnat. C’était un jeu technique, basé sur une bonne circulation du ballon, au sein duquel les arrières latéraux ont un rôle important à jouer. Cela devrait me convenir. Ce style de jeu me rappelle un peu celui auquel j’ai été habitué, jadis, au Brésil. Et, même, celui de ma première saison complète au Standard, sous la houlette de Michel Preud’homme : avec Dante sur l’autre flanc, et beaucoup de qualités techniques dans l’entrejeu. Les méthodes de Koster n’ont pas totalement porté leurs fruits la saison dernière, puisque Bruges n’a terminé que troisième, mais le coach néerlandais aura une saison d’expérience en plus dans le championnat de Belgique et je ne doute pas qu’il parviendra à corriger les petits défauts qui, au bout du compte, se sont révélés fatals. En outre, l’essentiel de l’effectif a été conservé. La base est restée la même, cela permettra de gagner du temps au niveau des automatismes. Je crois au projet brugeois.

Dominique D’Onofrio prône un jeu plus direct. La prolongation de son contrat a-t-elle aussi joué un rôle dans votre décision de quitter le Standard ?

Non, pas du tout. Ma décision n’a rien à voir avec l’entraîneur, la direction ou le style de jeu. Je sentais simplement que le moment était venu d’entamer une nouvelle étape de ma carrière, dans un autre club qui ambitionne aussi de devenir champion de Belgique et de réaliser un bon parcours en Europa League. Le groupe est de qualité, et il a faim, car cela fait longtemps qu’il n’a plus gagné le titre. Cette faim avait un peu manqué au Standard la saison dernière : après les deux sacres, j’avais l’impression que beaucoup de joueurs étaient rassasiés. Je suis très motivé par la perspective d’apporter mon expérience à ce jeune groupe brugeois. Je crois en mon travail, je sens que je peux réussir. Je viens à Bruges pour remporter de nouveaux titres.

Pour l’étranger, on verra plus tard

Le titre 2010-2011 n’est-il pas déjà promis à… Anderlecht ?

( Ilrit) Le Sporting a mérité son titre, cette année, ce serait malvenu de prétendre le contraire. S’il a autant dominé, je pense que c’était aussi une question de motivation, de cette faim dont je parlais. Les Mauves avaient mal accepté de voir le Standard leur ravir le titre deux années d’affilée et voulaient leur revanche. En outre, ils avaient conservé l’essentiel de leur effectif, un peu comme Bruges pour la saison qui s’annonce. C’était aussi un avantage. Mais à chaque début de saison, les compteurs sont remis à zéro. Lorsque le Standard a remporté deux titres d’affilée, on avait écrit qu’il avait pris dix ans d’avance. Au vu de la domination d’Anderlecht sur le dernier championnat, on pense maintenant que c’est le Sporting qui sera invincible au cours des dix prochaines années. Bruges, mais aussi d’autres équipes (et j’inclus le Standard dans le lot), a les moyens de contrarier les Bruxellois. Je sens bien ce nouveau défi.

Le réel défi, pour vous, n’aurait-il pas été celui d’un grand championnat européen ?

Oui, peut-être, mais il faut en avoir la possibilité. Différentes rumeurs ont fait état d’un intérêt de la part de clubs étrangers, mais je n’ai reçu aucune proposition officielle. A Bruges, c’était du concret. La porte de l’étranger n’est pas définitivement fermée pour autant. Je n’ai que 27 ans, d’autres possibilités pourraient se présenter plus tard. Et puis, j’ai appris à connaître et à apprécier la Belgique, où mon épouse se sent bien et où je peux élever ma fille en toute quiétude. C’est important aussi.

La Bundesliga, comme vos amis Dante et de Camargo, ne vous aurait pas plu ?

Si, bien sûr. Le championnat d’Allemagne a changé : il est devenu plus technique et on y trouve beaucoup d’étrangers aussi. Mais je pense que le style pratiqué là-bas convient mieux à Igor et à Dante, car ils sont grands et forts physiquement. Ils jouent beaucoup avec la tête et ont aussi les qualités pour faire la différence, ballon au pied. Je ne sais pas si ce style m’aurait convenu également, car on attend généralement d’un défenseur qu’il soit grand et costaud. Je ne mesure que 1m77, pour 71 kilos. Déjà, lors de mon arrivée en Belgique, certaines personnes estimaient que j’étais trop petit. Après six mois d’adaptation, elles se sont rendu compte que j’avais d’autres qualités et ont revu leur jugement. Igor et Dante resteront des amis pour la vie. Nos chemins se sont séparés, peut-être temporairement. C’est la vie.

Un équilibre rompu

Pendant deux ans, vous avez été considéré comme le meilleur arrière droit du championnat de Belgique. La saison dernière fut plus difficile. Pourquoi ?

J’ai un peu suivi la courbe de l’équipe. En trois saisons, j’ai quasiment toujours été titulaire. Je n’avais pas vraiment de concurrence à mon poste. J’ai parfois souffert de petites blessures, mais j’ai toujours mordu sur ma chique pour essayer de jouer coûte que coûte, et j’ai peut-être un peu payé la note lors de la troisième saison. De tous les joueurs du Standard, je dois être celui qui a joué le plus. A la longue, j’ai commencé à sentir la fatigue. Physiquement, mon corps ne réagissait plus de la même manière. C’est l’une des explications. Elle n’est pas la seule. Comme l’équipe tournait moins bien, j’ai aussi eu un rôle plus défensif. Je ne pouvais plus monter aussi souvent, car je n’étais plus certain d’être couvert. Je ne me mettais donc plus autant en évidence offensivement et je suis passé plus inaperçu. Ce n’était pas uniquement un problème physique, mais aussi d’équilibre au sein de l’équipe Lorsqu’on monte, il faut qu’on soit couvert. Les deux premières saisons, on avait trouvé un très bon équilibre entre Dante et moi : on montait à tour de rôle mais jamais les deux en même temps. Avec le départ de Dante, cet équilibre a été rompu. Il n’y avait plus la même coordination avec mon vis-à-vis de l’autre flanc, dont le nom changeait souvent d’ailleurs. Le départ d’Onyewu a aussi été préjudiciable pour cette question d’équilibre, en plus de son talent. Lorsque je montais, il glissait souvent sur le flanc droit, pour me couvrir. Mais lorsqu’on change continuellement de partenaire, cela devient difficile. Globalement, la saison qui vient de s’achever a été difficile pour tout le monde au Standard.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Différentes circonstances se sont accumulées : il y a eu de nombreuses blessures, Laszlo Bölöni a été limogé, le directeur technique a été promu au rang de coach principal, des joueurs sont partis. Durant les deux saisons qui ont débouché sur un titre, on a joué quasiment tous les matches avec la même équipe. La saison dernière, c’était presque une autre équipe à chaque match. C’est très difficile de construire un groupe soudé dans ces conditions-là. Les automatismes ne sont plus présents, et au fil des mauvais résultats, la confiance est ébranlée. Il n’y avait pas de liant dans le groupe. Mais c’était difficile de faire autrement, il fallait bien que l’entraîneur cherche des solutions pour remplacer les joueurs indisponibles. Des jeunes ont été introduits, mais ils manquaient à la fois d’expérience et de confiance. On ne pouvait pas leur demander de porter le groupe. On a parfois manqué de solidarité, aussi. Lorsqu’on ratait une passe, on voyait rarement un partenaire se retrousser les manches. C’étaient des discussions qui commençaient. Et cela, ce n’est jamais bon signe. C’est le début de la fin.

L’envie n’était plus là ?

Je ne parlerais pas d’envie. Tous les sportifs professionnels ont envie de gagner des trophées, mais on n’aborde pas toujours les compétitions dans les mêmes dispositions d’esprit. Pour s’imposer, il faut avoir les crocs. Lorsqu’on a été champion deux fois d’affilée, on se dit qu’un troisième titre serait le bienvenu mais que si on le loupe, ce ne serait pas la fin du monde. Si on a toujours démarré les matches avec l’intention de les gagner, on n’a pas fourni tous les efforts requis.

Repartir sur d’autres bases

On a dit aussi que Bölöni accordait plus d’importance à la Ligue des Champions, susceptible de lui conférer une réputation au niveau européen, qu’au championnat de Belgique. Avez-vous eu cette impression ?

Etait-il le seul dans le cas ? Le groupe des joueurs, aussi, était très excité à l’idée de participer à la Ligue des Champions. On s’est focalisé là-dessus. Pouvoir disputer la C1, pour des joueurs qui n’ont pas cette chance chaque année, c’est enivrant. Et puis, lorsqu’on a vu le tirage, on s’est dit que derrière Arsenal, il y avait un coup à jouer pour la deuxième place avec Olympiacos et AZ. On a mal commencé le championnat, mais on s’est dit qu’à un moment donné, tout rentrerait dans l’ordre. Mais on n’a jamais su redresser la tête.

De Camargo a été soulagé lors du départ de Bölöni. Etait-ce aussi votre cas ?

Personnellement, je n’ai jamais eu de problèmes avec l’entraîneur roumain. Mais il est exact que certains joueurs commençaient à en avoir assez de ses méthodes de travail. On le respectait parce qu’il nous avait apporté le titre la saison précédente, on ne doutait pas de ses compétences tactiques, mais l’ambiance devenait pesante.

Il pressait trop le citron ?

Les mises au vert étaient fréquentes. Pour certains, elles devenaient difficiles à supporter. Et puis, il y avait la manière dont il traitait les joueurs. Il ne plaçait pas tout le monde sur un pied d’égalité.

Avec Dominique, c’est devenu plus relax ?

C’était une ambiance différente, en tout cas. Avec Bölöni, il y avait beaucoup de stress dans le groupe et Dominique a un peu relâché la pression. C’était nécessaire.

Dominique n’est pas trop apprécié des supporters. Est-il un bon entraîneur ?

A mes yeux, oui. Il diversifie énormément ses entraînements, il effectue beaucoup de travail technique, sait motiver ses joueurs. Il a tous les atouts en main pour reconstruire un bon groupe, cette saison.

Sur d’autres bases…

Oui, mais ce n’est peut-être pas plus mal. Un chapitre s’est clôturé, un autre va commencer. Pour le Standard comme pour moi.

Que garderez-vous comme souvenir du Standard ?

Au bout du compte, le bilan est très positif. Le Standard m’a beaucoup apporté. J’estime, de mon côté, avoir beaucoup apporté au Standard également. Cela avait pourtant mal commencé. Mes six premiers mois avaient été difficiles. Question d’adaptation, tout simplement. Et pas uniquement au climat, à la nourriture ou au jeu physique, comme on le pense généralement. Tactiquement, le jeu pratiqué en Belgique est très différent aussi. Au Brésil, par exemple, l’adversaire direct de l’arrière droit est… l’arrière gauche adverse. J’ai bien dit l’arrière gauche, pas le demi gauche. Car au Brésil, les défenseurs latéraux sont généralement seuls sur leur flanc. Les médians occupent une position plus centrale, mais ne sont pas des ailiers de débordement : un rôle laissé aux défenseurs. Je n’étais pas habitué à jouer avec quelqu’un devant moi, et j’ai dû m’adapter à cette nouvelle donne. Raison pour laquelle, au début, certains estimaient que j’avais des lacunes tactiques. Débarquer en Belgique, ce n’est jamais évident pour un Brésilien. L’adaptation est plus facile au Portugal ou en Espagne, où la culture et le style de jeu sont plus proches de ce que l’on connaît.

Pourquoi, alors, avez-vous choisi la Belgique plutôt que la Portugal ou l’Espagne ?

On n’a pas toujours le choix. C’est une question d’opportunités. Dominique est venu à Porto Alegre. Il m’a vu à l’£uvre et m’a proposé de traverser l’Atlantique.

Vous étiez arrivé avec Felipe et Fred. A l’époque, on disait que vous étiez le moins talentueux de trois.

Felipe était un joueur plus technique que moi, il était également plus habile dans les dribbles, et grâce à cela, il s’est d’emblée mis en évidence. Felipe est ensuite parti à Roulers où ça n’a pas marché. Fred est allé à Dender, où il s’est peut-être senti seul, dans un environnement flamand, alors qu’au Standard il était entouré par d’autres Brésiliens. Moi, j’avais mon épouse à mes côtés, cela m’a aidé à persévérer. Malgré les difficultés initiales, je n’ai jamais douté. l

par daniel devos – photos: reporters

Le double champion de Belgique était en fin de cycle. Le Standard doit reconstruire. Le style du Club me rappelle un peu celui auquel j’ai été habitué, jadis, au Brésil. Après les deux titres, j’avais l’impression que beaucoup de joueurs étaient rassasiés.

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