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Diables rouges: comment la révolution Martínez a changé la face du football belge

L’impact de Roberto Martínez sur le foot belge est bien plus grand qu’on l’imagine. Car ce que l’on voit avec les Diables rouges n’est que la partie émergée de l’iceberg. Son mérite est d’avoir amené l’Union belge dans l’ère moderne. Voici l’histoire d’un sélectionneur qui a construit des ponts.

Trois anecdotes illustrent bien l’impact de Roberto Martínez.

1. Juin 2019. Les U17 belges participent au championnat d’Europe en Irlande. Les jeunes Diables sont versés dans une poule qui comprend la République tchèque, la Grèce et le pays organisateur, l’Irlande. Quelques centaines de personnes garnissent les tribunes, dont le sélectionneur fédéral. Il veut découvrir quels sont les talents en devenir, sur et en dehors du terrain. Il en tient un particulièrement à l’oeil: Jérémy Doku. Deux ans plus tard, l’Anversois est le petit nouveau, invité dans la cour des grands à l’EURO 2020.

2. Durant cette longue période qui a précédé l’EURO, Voetbal Vlaanderen, l’aile flamande de la Fédération, lance un appel à la demande de Roberto Martínez: toute personne intéressée par un poste d’analyste-datas dans le staff de l’équipe nationale est invitée à poser sa candidature. S’en sont suivis quelques entretiens, et une personne qui travaille pour un club amateur dans la vie « normale » a intégré la cellule data des Diables rouges. Tout le football amateur s’en enorgueillit.

3. À intervalles réguliers, Roberto Martínez rassemble tous les sélectionneurs des équipes nationales, jeunes et autres. Dont Ives Serneels, coach des Red Flames, l’équipe nationale féminine. Lors de la dernière réunion, avant le championnat d’Europe, on discute d’un surclassement des équipes et d’une évaluation de chaque talent. Lors d’autres réunions, on demande aux sélectionneurs de réfléchir à un thème. La construction depuis l’arrière, par exemple. Ou encore le football de Manchester City sans vrai numéro 9. Après chaque présentation, on procède à une évaluation et une discussion. Martínez coordonne et écoute. De cette manière, chacun améliore ses connaissances. Lui-même, même s’il a évidemment une idée claire de la manière dont il veut faire évoluer l’équipe A, mais aussi ses coaches qui débattent sur le thème et se demandent s’il faudrait éventuellement orienter l’équipe dans une autre direction ou à partir de quel âge on pourrait s’entraîner à telle ou telle tactique.

Avec son expérience de manager en Angleterre, Martínez possède une toute autre vision de son métier que ses prédécesseurs.

Le modèle anglais

Lorsque Roberto Martínez signe son contrat de sélectionneur fédéral, on se rend rapidement compte qu’avec son expérience de manager en Angleterre, il possède une toute autre vision de son métier que ses prédécesseurs. « Je pense qu’il a uniformisé la manière de penser et la collaboration des différents départements », avance Bob Browaeys, coach des U17. « Je dirais qu’il a bâti des ponts. Autrefois, tout le monde travaillait encore dans son coin, sauf peut-être pendant la période de Georges Leekens. Georges a lui aussi créé des liens. Il s’est impliqué dans la formation des entraîneurs, l’UEFA Pro, le scouting… Ceux qui donnaient des cours de scouting à l’école des entraîneurs pouvaient aussi remplir des missions de scouting pour l’équipe A. »

Quoi qu'il arrive, Roberto Martínez (ici avec Romelu Lukaku) va laisser un grand vide au sein de la Fédération.
Quoi qu’il arrive, Roberto Martínez (ici avec Romelu Lukaku) va laisser un grand vide au sein de la Fédération.© BELGAIMAGE

Martínez passe au niveau supérieur dans beaucoup de domaines. Avant même qu’il n’obtienne officiellement la double casquette de sélectionneur-directeur technique, après la Coupe du monde en Russie, il accompagne déjà le directeur technique Chris Van Puyvelde lorsque celui-ci rend visite à des clubs et assiste aux réunions des coordinateurs de jeunes de la Fédération. C’est là que Jelle Schelstraete (Courtrai) fait sa connaissance: « Roberto a fait part de ses idées, d’une manière active. Notre premier contact formel a été établi lorsqu’il a visité quelques académies de jeunes avec Chris. Il est notamment venu à Courtrai. Je lui ai donc expliqué notre fonctionnement et notre manière de travailler. »

Martínez continue à rendre visite aux clubs. Avant l’EURO, il va notamment à l’Académie du Standard, accompagné de Jacky Mathijssen et Wesley Sonck. Il se montre très attentif. Quelles sont vos priorités, où placez-vous vos accents? À l’inverse, ses coaches de jeunes expliquent également comment ils fonctionnent avec l’équipe nationale. Les joueurs passent 90% de leur temps dans leur club, pas en équipe nationale. Le sélectionneur estime qu’il est essentiel de construire des ponts.

Après le départ de Van Puyvelde, après la Russie, Martínez reprend officiellement ses fonctions. Ce n’est pourtant pas l’objectif au départ, car on cherche d’abord un successeur au Waaslandien. « J’avais posé ma candidature, à l’époque », indique Schelstraete. « Pas nécessairement avec l’idée que j’obtiendrais le job, car je n’avais que 29 ans, mais surtout pour avoir un entretien et découvrir comment tout ça fonctionnait. »

Finalement, aucun successeur à Van Puyvelde n’est désigné et Martínez accepte le poste. Lorsque son contrat comme sélectionneur est prolongé durant l’été 2020, on parle de l’arrivée d’un assistant-DT. Un profil jeune. Quelques heures après l’annonce de cette nouvelle, un e-mail atterrit sur la boîte à messages de Martínez, écrit de la main de Schelstraete. Sa candidature tient toujours! Peu de temps après, ce dernier débarque à Tubize.

Datas et shadow list

Le département des analyses de datas se développe de façon impressionnante sous Martínez. Une vraie communauté belge voit le jour, y compris dans le domaine des transferts. Celui qui fait du bon boulot dans tel ou tel club, est approché par d’autres. Depuis, chaque équipe de la RBFA dispose d’un analyste-vidéo. Le football féminin, y compris les jeunes filles, est soutenu à 100%. Le logiciel Hudl est introduit au niveau amateur, qui peu à son tour s’équiper de caméras avec l’argent de la Coupe du monde. Chaque équipe en première et deuxième amateur en bénéficie.

« On a beaucoup travaillé pour faire prendre conscience au football amateur et aux académies de jeunes que l’utilisation de matériel vidéo était important. On a aussi oeuvré à la formation des gens qui doivent s’en occuper. Filmer et réaliser quelques clips pour les placer sur une plate-forme est une chose, mais il faut également transmettre les images aux joueurs et les reproduire dans des formes d’entraînement », souligne Kris Van Der Haegen, le directeur de la formation des entraîneurs et adjoint chez les Red Flames.

Martínez utilise essentiellement les datas en fonction de sa sélection. Entre les rendez-vous internationaux, il regarde énormément de matches, souvent trois par jour. Chaque lundi, au bureau, il consulte les datas de chaque international. Ceux-ci sont répartis en trois catégories: les sélectionnés vus à l’oeuvre lors des derniers matches internationaux, les footballeurs qui figurent sur une watch list et ceux qui figurent sur une shadow list. Chaque semaine, plus de cent joueurs sont suivis. Les évolutions sont notées. Un joueur qui figure sur la shadow list, la liste de l’ombre, peut intégrer la watch list, celle des joueurs à suivre, après plusieurs évaluations positives.

Entre les rendez-vous internationaux, Martínez regarde énormément de matches, souvent trois par jour.
Entre les rendez-vous internationaux, Martínez regarde énormément de matches, souvent trois par jour.© BELGAIMAGE

En tant que sélectionneur, Martínez effectue essentiellement ses choix en fonction du présent. Comme directeur technique, il se préoccupe de l’avenir. Project 2026. C’est une sorte de présélection de joueurs que l’Union belge va suivre attentivement. Lorsqu’on figure dans cette sélection, on reçoit un soutien supplémentaire dans le domaine du matériel vidéo, de l’alimentation et de l’accompagnement physique, en concertation avec les clubs. Yari Verschaeren ou Charles De Ketelaere incarnent ce genre de futures. Des cibles à long terme, que Martínez ne veut pas perdre de vue, pour ne pas les perdre. C’est ce qui explique leur présence régulière dans le groupe élargi de l’équipe A. Ils n’ont pas été repris pour l’EURO, mais on compte sur eux pour l’avenir. »Roberto sait ce qu’il doit faire pour assurer un avenir au football belge », affirme Browaeys. « Il ne se préoccupe pas uniquement du court terme, contrairement à la plupart des coaches en général et des sélectionneurs en particulier, puisqu’ils sont jugés sur base du résultat immédiat. Celui du prochain match. Il se préoccupe énormément du long terme, alors qu’il n’en a pas nécessairement besoin pour sa propre carrière. C’est très utile, car le plus grand défi sera de confirmer le succès lorsque la génération actuelle aura raccroché. Et c’est très difficile. Regardez la France, l’Allemagne, l’Espagne. À un certain moment, on est obligé de rajeunir, mais les nouveaux joueurs manquent forcément d’expérience internationale. Notre génération actuelle est un peu avantagée, car elle a succédé à une génération perdue. La plupart de ces garçons ont intégré l’équipe A lorsqu’ils n’avaient que 18 ou 19 ans, et forcément, ils comptent aujourd’hui énormément de sélections à leur compteur. L’expérience, c’est la grande force de cette équipe. Mais à un moment donné, il faudra changer, et 300 ou 400 sélections disparaîtront. C’est la raison pour laquelle Roberto donne du temps de jeu à d’autres joueurs dès que c’est possible. Et souvent dans des matches de qualifications. »

Le travail avec les jeunes

Roberto Martínez s’attache aussi à déterminer la ligne sportive des sélections nationales de jeunes, Ariël Jacobs lui donne un coup de main dans la communication et le contacts avec les académies des clubs professionnels.

Martínez fait une distinction entre la tranche d’âge des quinze à 17 ans et les plus âgés. Le premier groupe continue à jouer en fonction de la philosophie de formation de l’UB, en 4-3-3. À partir des U18, l’accent est mis sur la flexibilité tactique. Introduire d’autres systèmes, à partir du moment où les joueurs connaissent déjà le 4-3-3, est l’étape suivante. Comment défendre à trois derrière plutôt qu’à quatre? Qu’est-ce qui change lorsqu’on n’évolue pas avec un triangle conventionnel dans l’entrejeu?

Le coach des Espoirs, Jacky Mathijssen, essaie de se rapprocher le plus possible du style de jeu des Diables rouges avec ses U21, car c’est l’antichambre de l’équipe A. Fil conducteur pour l’ensemble: une communication ouverte et du leadership à partir d’une discussion. Martínez n’est pas un directeur technique qui dit: « C’est ainsi et pas autrement ». Il est plutôt du style: « Je vois les choses de cette manière, qu’en pensez-vous? Comment allons-nous l’appliquer et que prévoyez-vous pour le long terme? »

Le football amateur ressent, lui aussi, la présence du sélectionneur. Une partie des gains de la dernière Coupe du monde a été redistribuée aux différentes ailes. En Wallonie, on a notamment investi dans le football féminin de jeunes, car le retard était conséquent dans ce secteur. Foot Elite, un sport-études pour jeunes filles, doit permettre de le combler. Voetbal Vlaanderen a demandé à Martínez de devenir membre de la commission du sport de haut niveau, où l’on détermine le fonctionnement des sports-études. Il participe régulièrement aux réunions et n’hésite pas à faire entendre son point de vue. Hudl est mis gratuitement à la disposition des clubs amateurs de première et deuxième division, et sous l’impulsion du sélectionneur, un community day a été organisé pour les scouts, où il a fait acte de présence et où il a prononcé le discours d’introduction. »Martínez partage ses connaissances, est ouvert à la discussion, s’implique énormément et crée pour tout le monde un bon cadre de travail, avec de la liberté, des responsabilités et de la confiance qui nous permettent de nous développer », souligne Browaeys.

Un cadre de travail international qui plus est, car son staff lors de cet EURO comprend des Espagnols, de Britanniques et un Français. « C’est très motivant », affirme Schelstraete. « Dans tous les domaines, on travaille avec des sommités. Quelle que soit leur nationalité. Et pas uniquement dans le staff de l’équipe A, c’est le cas ailleurs également. Il faut essayer de conserver son identité, mais en même temps, il faut aussi veiller à ce que les joueurs puissent se développer dans les meilleures conditions. De temps en temps, on peut s’inspirer d’un profil international. »

Un homme, deux successeurs

Question: que se passera-t-il le jour où les chemins de Martínez et de la Fédération se sépareront, quand le sélectionneur reprendra du service dans un club? « L’idée, c’est que je sois prêt pour assurer la succession », explique Jelle Schelstraete. « Mais imaginez que ça arrive, qu’il parte réellement… Peter Bossaert devra alors procéder à une évaluation et voir si je suis prêt à prendre le relais. » La tâche s’annonce colossale. « Absolument », abonde l’ex-Courtraisien.

« En fait, on aurait besoin de deux hommes: d’un sélectionneur et d’un directeur technique », précise Kris Van Der Haegen. « Jelle est impliqué dans tout: la succession du staff, les évaluations, les postes à pourvoir, l’examen des candidatures… Tout ça en concertation avec Roberto. Si ce soutien s’arrête, ce sera une autre histoire, et ce sera beaucoup plus compliqué pour les clubs. Leurs DT proviennent tous du monde du football, la plupart du temps comme coach. Si l’on n’a pas cette expérience, c’est très compliqué de gagner la confiance des clubs. Mais c’est presque une mission impossible de reprendre la tâche de Roberto de la même manière. » « Il y a déjà eu une grande évolution, et les circonstances sont certainement favorables, mais je ne pourrais pas remplir le rôle de Roberto de la même manière », tempère Schelstraete. « Nous sommes deux profils totalement différents. » « Compenser un départ sera en tout cas un énorme défi », résume Bob Browaeys.

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