« L’Europe suivra Anderlecht-Standard »

Pierre Bilic

Anderlecht piétine, le Standard a égaré trois points précieux : leur rendez-vous sera d’autant plus important.

Il y a vingt ans, Michel Verschueren (70 ans) et Tomislav Ivic (67 ans) vivaient la même tension mauve avec un titre au bout du chemin pour leur première saison anderlechtoise. Constant Vanden Stock les avait « transférés » en même temps. Le boss bruxellois avait été chercher Mister Michel au RWDM. Il suivait le technicien dalmate depuis deux ou trois ans et avait demandé à un journaliste de le contacter quand il dirigeait l’Ajax d’Amsterdam. Ivic vint à Bruxelles et le brasseur lui certifia qu’il entraînerait un jour à l’ombre de St-Guidon. CVDS lui demanda plus tard son avis à propos de Kenneth Brylle car Hajduk Split avait affronté les champions danois de Velje en CE.

Vanden Stock eut rapidement la confirmation en lisant le rapport d’Ivic : c’était de la graine des plus grands coaches. Rendez-vous fut pris à Split et l’affaire fut très vite entendue.

Ivic modifia fondamentalement l’équipe, misa sur le pressing, demanda à Morten Olsen de jouer au libero, fit venir Luka Peruzovic, opta pour une défense à trois ou à cinq avec deux backs à géométrie tactique variable, installa Brylle à la tête de l’attaque, s’inspira des méthodes de coaching du basket et surtout du hockey sur glace. Il dévoila son plan durant trois heures dans la suite du président Constant Vanden Stock à l’Hôtel Marjan de Split où Anderlecht avait battu Hajduk en match amical. Quatre personnes assistèrent à son exposé : Constant Vanden Stock, Verschueren, Martin Lippens et Georges Denil. Vanden Stock demanda un quart d’heure de réflexion avant de dire : « D’accord pour votre philosophie, on fonce ».

Ivic avait de l’énergie à revendre et modifia les habitudes du club en quinze jours. Une tornade. Et au terme de la saison 1980-81, Anderlecht décrocha l’écusson national après six années de vaches maigres. Mais il avait compensé par de grandes campagnes européennes en Coupe des Coupes.

« On a eu ce titre avec onze points d’avance sur Lokeren », rappelle Verchueren. Le Standard, de son côté, gagna la Coupe en écrasant le même Lokeren (4-0). « Ernst Happel était à la tête des Liégeois et avait même assisté à notre premier match de championnat à Waterschei », souligne Ivic. « A la fin du match, il affirma connaître le nom du futur champion : Anderlecht! Plus tard, Happel appliqua mon système à Hambourg et il domina la Bundesliga durant plusieurs années ». Les deux hommes se sont chaleureusement salués en se revoyant.

Comment se profile cet Anderlecht-Standard?

Verschueren : Il est important de tirer les conclusions de notre voyage à Lokeren. Personne ne s’y rend avec le sourire aux lèvres. Ce match est dans le rétro maintenant. Je m’attends donc à une très bonne rencontre, nerveuse, vive, intéressante et avec des côtés indécis. Il y a beaucoup en jeu : nous visons le titre, le Standard revendique toujours une place en Coupe de l’UEFA. Sclessin revit enfin, grâce à Robert Louis-Dreyfus, à Lucien D’Onofrio, à Tomislav Ivic qui a remis le témoin et un très bon outil de travail à Michel Preud’homme qui travaille bien dans son ancien club. Ce jeune coach a du charisme, il respecte tout le monde et unifie les énergies. Sa jeunesse, sa ferveur, son volume de travail, son intelligence et sa foi constituent de gros atouts. Le Standard progresse pas à pas. C’est à nouveau solide et c’est important pour le football belge qui ne peut pas se passer de ses trois grands. Maintenant, il y a longtemps que le Standard n’a plus gagné chez nous et…

Ivic : Il y a deux ans, on a tout de même gagné les trois points, Mister Michel, 0-1 par Mbo Mpenza si je me souviens bien…

Verschueren : Tiens, c’est vrai mais je n’ai pas la mémoire des mauvais souvenirs. Par contre, je me souviens de ce fameux 0-6 à Sclessin avec Jean Dockx et Frankie Vercauteren sur le banc, you remember this score, Mister Ivic?

Ivic : Of course, j’avais l’impression d’être le spectateur d’un mauvais film, du moins pour nous. Je dois de toute façon féliciter Anderlecht pour sa brillante saison en championnat mais surtout, évidemment, en Ligue des Champions. Il faut savoir que toute l’Europe s’intéressera à ce match. Il y aura au stade des dirigeants et des managers de tous les pays et de tous les grands clubs. La Belgique brille avec son équipe nationale, Anderlecht a dominé des géants du football européen : cela attire les regards, à juste titre. Finalement, c’est une affiche, un match au sommet de format européen. Les Belges ont tort de tant douter de la qualité de leur championnat. Il y a de bons joueurs et de bons clubs ici. Je ne discute pas de l’aspect économique, c’est un autre problème.

Sportivement, c’est bon et l’intérêt étranger pour ce match sera énorme. Le Standard ne se situe plus très loin d’Anderlecht ou de Bruges en ce qui concerne la qualité et la production de son groupe mais un club, ce n’est pas que l’équipe Première. Il faut que tout soit absolument parfait dans tous les secteurs: administration, soins, marketing, relations extérieures, représentation à la Ligue Pro, présence à l’Union Belge, contacts avec la presse, poids à la CCA, etc. Tout cela forme finalement un club puissant et compétitif. Anderlecht a toujours eu tout ça, c’est une institution. Chez nous, il y a des années que c’était le désert. En trois ans, on a abattu un travail fou : nouveaux terrains, salle couverte, service médical…

L’équipe actuelle est aussi le résultat de cette évolution, de cette maturation globale, de cette montée en puissance. Michel Preud’homme a intensifié cette affirmation avec sa vision, ses idées, sa jeunesse et sa remarquable motivation. Il y a deux ans, on a gagné 0-1 mais le Standard actuel est beaucoup plus fort, mieux organisé, Mister Michel. J’aime beaucoup Michel Preud’homme. Trois entraîneurs doivent avoir du crédit car ils sont jeunes : Michel Preud’homme, Enzo Scifo et Franky Vander Elst. Il faut leur offrir du temps même si la loi de résultats est impitoyable hélas.

Les autres ont plus d’expérience. Ils ont aussi leur mérites, je songe entre autres à Aimé Anthuenis et Trond Sollied. Le premier a redonné un grand profil européen à Anderlecht, Sollied a implanté son système dans deux clubs, La Gantoise puis Bruges. L’impatience est évidemment un problème au Standard. Il faut être troisième et, après cela, nous viserons plus haut. En 2002-2003, grâce à Anderlecht, tout se tient, la Belgique aura deux clubs en Ligue des Champions. Le Standard a l’ambition d’être un de ces deux clubs et cela passera par d’autres progrès, notamment la saison prochaine. J’inscris le match entre nos deux clubs dans cette évolution.

La progression des clubs passe donc à tout prix par la Ligue des Champions, alors?

Verschueren : Absolument. Aimé Anthuenis a bel et bien gagné son pari : il a donné une autre dimension à son groupe qui a grandi grâce à la Ligue des Champions. Nos joueurs ont découvert de nouvelles plages de progrès au plus haut niveau européen, ont réussi des exploits. Ils ont sans cesse travaillé et travaillé pour atteindre ce résultat. C’était une campagne européenne exceptionnelle avec seize matches en tout mais Anderlecht doit faire mieux la saison prochaine. Et cela a eu des retombées positives sur notre comportement en championnat même si nous avons eu récemment un petit creux, même si nous n’aurions jamais dû être battus à Gand, sans songer au match nul offert en cadeau à Mouscron, etc.

Ivic : C’est normal. Quand on joue en Ligue des Champions, tous les joueurs ne sont concentrés que sur un objectif : l’Europe. Il faut être bon, fort, performant, efficace. On ne pense qu’au football et le championnat ne peut pas être négligé car c’est la meilleure tribune pour prouver qu’on est dans le coup. Après cela, quand le groupe est éliminé, il y a une chute de tension et il faut beaucoup s’activer pour entretenir l’ambition collective dans l’unique cadre du championnat. La motivation baisse, c’est dangereux. Les joueurs ont alors tout le temps afin de penser à autre chose et écoutent les agents, songent éventuellement à un bon transfert. La donne change, c’est peut-être cette phase-là qu’Anderlecht vit pour le moment.

Cette campagne européenne ne vaudra-t-elle pas à Anderlecht d’être plumé par les grands étrangers?

Verschueren : Je l’ai déjà dit, Anderlecht ne sera pas dévalisé et je n’ai pas eu d’offre pour Jan Koller, j’attends le moindre signe de Fulham : c’est du cinéma qu’on fait mousser dans la presse. On exagère et c’est très dangereux pour les joueurs. Ils doivent penser à leur prochain match et s’il doit arriver quelque chose, cela se passera s’ils gardent leur niveau de jeu.

Ivic : Même problème au Standard et si on veut acheter un de nos joueurs, on peut toujours discuter. Tout le monde est transférable, cela dépend de l’offre. En cas de bonne affaire, le club, que ce soit le Standard, Anderlecht ou Bruges, peut acheter un autre bon joueur.

Verschueren : Exact mais notre club n’organise pas de portes ouvertes. Celui qui veut un de nos joueurs sous contrat devra mettre le paquet. Nous voulons garder cette équipe mais si on achète un de nos joueurs, ce sera cher.

Ivic :The player is rich, the club is rich, ça arrange tout le monde.

Verschueren :The clubs are becoming poor, poor, poor…

Ivic :No, no, no, but you are very intelligent. Anderlecht a investi beaucoup d’argent la saison passée et vous avez enrichi le club, la valeur financière du groupe a monté en flèche mais, c’est vrai, on travaille avec des générations qu’il faut savoir garder et renouveler au bon moment : pas facile.

Verschueren : Genk n’a pas su le faire en cédant coup sur coup Souleymane Oulare, Branko Strupar et Besnik Hasi, c’était trop. Quand quelqu’un quitte le club, il faut avoir une bonne solution sous la main. C’est le boulot du staff technique, plus spécialement de Jean Dockx qui scrute tous les horizons et il le fait très bien.

Mais Jan Koller ne sera pas facile à remplacer tout de même?

Ivic : Il a des qualités remarquables et a encore beaucoup propressé. Il est rudement mobile pour un gars de sa taille, a travaillé sa tactique et joue autrement sur le terrain. Avant, il était en pointe. Maintenant, il recule, aide et, à la limite, Tomasz Radzinski est devenu l’homme de pointe alors qu’il tournait autour de Jan auparavant. C’est un joueur fantastique, digne du top européen. Sur le plan humain, c’est quelqu’un de bien aussi. Si le club veut le garder mais qu’il a les idées ailleurs, cela ne sert à rien. Il perdra son fighting spirit et une partie de sa valeur.

Verschueren :Mister Tom, please : le Standard avait un accord avec Lokeren pour lui et Chris Janssens, non? J’ai entendu un jour, en vous recevant à la mi-temps d’un match, dans le bureau du président avec Lucien D’Onofrio, que vous disiez discrètement à ce dernier en nous quittant : -On ne prend pas Janssens, mais seulement Koller. J’ai tout de suite téléphoné à Roger Lambrecht, président de Lokeren, qui me parla de l’accord avec le Standard. Quand je lui ai appris ce que j’avais entendu, Lambrecht est devenu nerveux et mon club est entré dans la danse : Koller est venu à Anderlecht.

Ivic : Mais nous avons notre Koller…

Verschueren : Ah, oui?

Ivic : Il s’appelle Daniel Van Buyten. Si je l’avais eu chez les jeunes, j’en aurais fait un très grand buteur mais il deviendra un des meilleurs arrières du monde, ou au moins d’Europe. Personne n’a un tel potentiel physique. Il court aussi vite qu’un homme moyen, malgré sa taille, est phénoménalement fort et très courageux. Après un entraînement, il fait du power training à la salle, il faut le freiner. Dans un an ou deux, il sera prêt pour le sommet. En attendant, il doit être patient, ce qu’il est, et travailler. Sur le plan humain et de l’éducation, il est parfait.

Verschueren : Transférez-le à Anderlecht et son niveau montera encore plus vite…

Ivic :No, no, no…

Verschueren : Les jeunes doivent avoir un plan de carrière. Walter Baseggio en a un. Il prend son temps et a retenu les leçons de l’erreur d’Enzo Scifo qui est parti trop vite en Italie. On ne devient pas meneur de jeu de l’Inter à dix-neuf ans et, même si Enzo Scifo a eu un magnifique parcours, je peux dire que sa carrière aurait dû être plus belle. Walter partira plus tard, quand il sera prêt. Alin Stoica me semble plus impatient.

Anderlecht n’a-t-il pas songé un moment à Vedran Runje?

Verschueren : Impossible…

Mais son nom a circulé dans votre staff technique, n’est-ce pas?

Verschueren : Peut-être mais il y a une telle rivalité entre les deux clubs que c’est impossible. Il y a quelques années, nous avions songé à Philippe Léonard mais c’était trop cher et nous avons renoncé. Il y a vingt ans, nous avons cédé Arie Haan et Johnny Dusbaba au Standard. Si on refait cela, c’est la révolution chez les supporters.

Zeljko Pavlovic fera ses débuts dans la cage d’Anderlecht contre le Standard: le connaissez-vous?

Ivic : Oui, évidemment. Il a 29 ans, le meilleur âge pour un gardien, est expérimenté. C’est un gardien très complet. Quand la Croatie a besoin d’un portier qui sait sortir, c’est lui qui joue. S’il veut un gardien de ligne, le coach aligne Pletikosa d’Hajduk Split. Mais le meilleur gardien croate, c’est Vedran Runje.

Pavlovic est venu via Didier Frenay qui vous a piqué Didier Dheedene en fin de contrat pour le transférer sous les couleurs de Munich 1860 : plus fâché avec lui?

Verschueren : Il a bien manoeuvré pour Pavlovic car il a fallu agir vite. En ce qui concerne Dheedene, c’était moins correct, à mes yeux, mais Frenay est intelligent, clever boy, Mister Tom, clever boy…

Ivic : Vous avez encore Youla, très bon joueur, rapide, très rapide…

Verschueren : On prendra une décision à la fin avril en ce qui le concerne.

Etes-vous satisfait du rendement de Robert Prosinecki?

Ivic : Oui. Nous avions besoin d’une forte personnalité afin de lier le jeu. Il y avait assez de marathoniens chez nous. Robert n’avait plus joué à un haut niveau depuis un an et était blessé. Il a recommencé à zéro. C’est une saison de remise en condition.

Comment fonctionnez-vous au Standard?

Verschueren : Je le connais : avant la fin de la saison, il signera dans un autre club.

Ivic : Mon coeur, ça va, une artère bouchée, cinq heures de travail à l’hôpital, un ballonnet dans le coeur et c’était okay. Je me sens bien. Les médecins m’ont signé un papier comme quoi je peux travailler. Je m’entraîne : gymnastique au saut du lit, vélo, 3.500 mètres au stade avec accélérations, marche. Je me sens bien mais je préfère un rôle de conseiller technique. Je peux donner mon avis à propos d’un joueur. Je connais beaucoup de monde à l’étranger, peut-être la moitié de la Croatie où il y a énormément de talent. Une équipe nationale, ce ne serait pas mal car il n’y a que dix matches par an. Un club, c’est autre chose, non. Au Standard, Michel Preud’homme travaille bien, on se voit finalement peu et il doit développer sa vision. Le club se réorganise et, à ce niveau-là, Mister Verschueren n’arrête pas de faire du bon travail à Anderlecht : quelle énergie…

A un moment, avant d’engager Alphonse Costantin peut-être, Lucien D’Onofrio ne vous a-t-il pas même proposé, Mister Michel, de venir au Standard?

Verschueren : Oui, il me l’a bien demandé mais est-ce le moment de parler de cela. I stay here, après tant d’années, je ne me vois pas du tout travailler ailleurs. Impossible et le public de Sclessin ne m’accepterait pas. Le Standard a Costantin. Ce n’est pas encore assez. Attention, c’est pas une critique. Mais quand la direction vit à l’étranger, c’est plus difficile. L’AC Milan a été au top quand Berlusconi était là tous les jours et ne s’occupait pas encore de politique. Il faut agir vite, tous les jours, et pour ça, il faut être là, dans son club, et pas tout faire via téléphone ou fax. Constant Vanden Stock assiste à tous les matches et c’est lui qui a été à la base de la venue d’un nouveau gardien de but. Après le le match contre Mouscron, il m’a dit : -Allez Verschueren. Au Standard, Robert Louis-Dreyfus a compris cela et cherche des gens du cru.

Mister Michel, you have another dream?

Verschueren: Oui, il faut être exigeant. Ivic l’a toujours été et c’est pour cela qu’il a atteint le sommet dans son métier. Un perfectionniste.

Ivic : Il était difficile de travailler avec moi. C’est pour cela que j’ai souvent changé de club. Quand je suis venu à Anderlecht, j’étais un lion, courageux, très travailleur. Un crazy coach. Je savais que j’étais un bon entraîneur mais je n’avais évidemment pas encore atteint ma maturité de coach. J’ai commmis des erreurs, c’est normal mais j’ai évolué et progressé pour atteindre mes rêves et donc laisser une trace de ma passion.

Verschueren : Mon rêve, c’est le titre national et toujours la ligue belgo-hollandaise. On y arrivera car notre pays est trop petit. Si on ne fait rien, beaucoup de clubs vont mourir et ce n’est pas le but du jeu. Le Standard m’a rejoint dans mon analyse et c’est très bien.

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Pierre Bilic

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