L’étoile montante

De tout temps, les Spurs ont privilégié un jeu technique aux résultats. Aujourd’hui, ils combinent les deux !

Depuis l’arrivée d’ Harry Redknapp, Tottenham a pu relever la tête, bomber le torse et retrouver des ambitions. En fait, on commençait à avoir l’habitude des saisons ratées du côté de White Hart Lane. Comme ceux de Schalke, les supporters de Tottenham faisaient figure de losers bien sympathiques. Tottenham, c’est un peu l’histoire de la cigale dans la fable de Lafontaine. Champagne et paillettes mais toujours bien dépourvu quand la bise fut venue, c’est-à-dire au moment de la distribution des prix. Voilà que les saisons défilaient, que l’argent coulait à flots mais que rien n’aboutissait.  » L’argent n’a jamais été un problème pour Tottenham, de tout temps soutenu par la communauté juive de Londres « , explique James Olley, journaliste au London Evening Standard.

Mais une puissance financière souvent bien mal utilisée. Qu’importe, cela fait partie de la légende de Tottenham, considéré comme un club anticonformiste et rock & roll.  » On peut parler d’une certaine forme d’arrogance « , continue Olley,  » Tottenham s’est toujours cru au-dessus de la mêlée. Dans tous les domaines. Au niveau sportif, le club dispose d’un palmarès famélique et s’est toujours vanté de proposer le plus beau football du continent. Au niveau financier, c’est un peu la même chose. Dans certaines négociations, on a parfois eu l’impression que le club dépensait trop et prenait plaisir à afficher son argent. Tottenham s’immisçait dans certaines transactions juste parce que c’était de bon ton de s’intéresser, sans besoin réel, à tel ou tel joueur. Lors du dernier mercato, le manager Redknapp s’est immédiatement défendu du fait de ne pas avoir trop acheté en montrant que le club avait fait six offres, dont une de 45 millions d’euros, toutes refusées. Or, Tottenham n’avait pas un urgent besoin de renfort. Du moins pas en attaque. « 

Cette supériorité se ressent également dans la philosophie de jeu. Les supporters maintiennent toujours qu’ Arthur Rowe, entraîneur du club en 1951, l’année du premier titre du club, a révolutionné le football en instaurant le push and run, un système de jeu basé sur la possession de balle, les passes et l’utilisation des espaces. Une philosophie de jeu bien loin du kick and rush en vigueur. Certains disent même que Rinus Michels, père du football total du grand Ajax, tiendrait son inspiration de Rowe.  » Depuis lors, Tottenham pense avoir inventé le football moderne et on croirait presque que le club se sent investi d’une mission divine : la propagation du beau football. Pendant longtemps, les supporters prêtaient plus d’attention à la manière qu’aux résultats.  »

L’héritage de Nicholson

Ainsi, le mythique Tottenham de Bill Nicholson, joueur (1936-1954), entraîneur adjoint (1955-1958) puis manager du club (1958 à 1974) a continué dans la voie de Rowe. Un jeu léché, un capitaine légendaire, Danny Blanchflower et sa phrase mythique pour résumer la philosophie du club :  » Ce qui compte dans le football, c’est la gloire. Il faut savoir faire les choses avec élégance et panache, se lancer à l’attaque, ne pas attendre que les adversaires meurent d’ennui.  »

Résultat : Nicholson n’a gagné qu’un titre de champion (en 1961, il réalisait quand même le premier doublé pour un club anglais au 20e siècle !).  » Avec Nicholson, les Spurs régalaient tout le monde « , raconte Olley.  » Ils étaient capables de battre n’importe qui. Mais cette équipe était trop joueuse et il lui manquait toujours un petit quelque chose pour tenir tout un championnat. Par contre, elle faisait des ravages dans les matches de coupes : trois Cups, deux League Cups, une Coupe de l’UEFA et une Coupes des Coupes. Dans un bon jour, elle était capable de tout renverser sur son passage.  »

Le Tottenham de Nicholson, c’était l’élégance des dandys, la classe des seigneurs et une vision romantique du football. Jusque dans son départ, Nicholson transpirait l’honnêteté, proche d’une certaine forme de naïveté. En 1974, dégoûté par les bagarres entre ses supporters et ceux de Feyenoord, en marge d’un match de Coupe d’Europe, il quittait le monde du football quelques mois plus tard, non sans lancer aux fauteurs de troubles :  » A cause de vous, j’ai honte d’être anglais. « 

 » Le football anglais avait pris une autre direction « , relate Olley.  » Tactiquement, le jeu ne correspondait plus aux idées de Nicholson et la naissance du hooliganisme n’a fait que le convaincre qu’il n’avait plus rien à faire dans ce monde-là. « 

Depuis lors, le club voue un culte à Nicholson. A sa mort, en 2004, le stade lui a rendu un vibrant hommage et les supporters furent choqués que le manager de l’époque, le Français Jacques Santini, brosse la conférence de presse d’après-match et ne salue pas la mémoire du héros disparu. Quand on lui relata l’incident, Santini déclara simplement :  » Qui est ce Nicholson ? » Ce qui précipita sa chute…

Sur le terrain également, l’esprit de Nicholson demeura : peu importe qu’on soit champion, du moment qu’on ne s’ennuie pas à White Hart Lane. Le recrutement a toujours respecté cette philosophie : priorité aux joueurs élégants. Chris Waddle, Glenn Hoddle, Osvaldo Ardiles, Jimmy Greaves, David Ginola. Même en attaque, on privilégiait l’élégance avec des Jurgen Klinsmann ou Garry Lineker, dont la particularité de n’avoir jamais pris un carton dans sa carrière remplit de fierté tout White Hart Lane.

Cette apologie du beau jeu a, par contre, le don d’énerver les adversaires. Ainsi, en dehors de ses fidèles, Tottenham est perçu d’un mauvais £il par les Londoniens. Arsenal le voit comme un rival dans le nord de Londres ; Chelsea lui voue une haine féroce depuis une finale de Cup 1967 remportée dans la confusion par les Spurs et surtout depuis le transfert de Greaves, icône de Chelsea passée par Milan et récupérée par la suite par les Spurs pour le compte desquels il inscrivit 220 buts en neuf ans. Quant à West Ham, ils prennent très mal la condescendance de leur voisin pour leur club qui avait quand même fourni trois internationaux à l’Angleterre, championne du monde en 1966.

Tottenham est en lice pour le stade olympique

Mais ces dernières saisons, voilà que le looser magnifique se transforme. Il gagne, s’accroche au Big Four. Tout en gérant sa politique de transferts !

 » Tottenham éprouvait des difficultés à attirer des très grands joueurs « , explique Simon Johnson, autre journaliste du London Evening Standard.  » Il dépensait beaucoup pour des footballeurs moyens. Mais la qualification en Europa League plusieurs saisons d’affilée et en Ligue des Champions cette saison attirent et, désormais, le club peut séduire des vedettes comme Rafael van der Vaart. Contrairement aux idées reçues, depuis l’arrivée de Daniel Levy à la présidence, le club garde sans cesse un £il sur ses comptes. Il a plafonné les salaires, bien loin des standards de Chelsea, United ou City et il a développé une politique de transferts basée davantage sur les jeunes joueurs qu’ils peuvent encore espérer vendre plus cher. On les voit rarement signer des vieux, ce qui explique d’ailleurs que cette formation manque d’expérience. Si on analyse les mouvements des dernières saisons, on voit qu’ils ont réalisé de très beaux profits sur les ventes de Carrick et Dimitar Berbatov. Un jour, dans un an ou deux, ils vendront Gareth Bale qu’ils ont acquis pour 12 millions d’euros. Il en vaut déjà quatre fois plus aujourd’hui. C’est ce qui fait la différence avec ses grands rivaux londoniens : à Tottenham, on peut toujours craindre le départ des meilleurs éléments, ce qui n’est pas le cas à Chelsea et à Arsenal.  »

Pour que la donne change, Tottenham devra quitter White Hart Lane. Il y pense très fermement, au point d’être en concurrence avec West Ham pour investir le stade olympique.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » L’argent n’a jamais été un problème pour un Tottenham soutenu de tout temps par la communauté juive de Londres. « 

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