« L’essentiel est de s’amuser »

Pour Alin, Anderlecht ne doit pas négliger sa classe. Mais peut-être ne le reverra-t-on plus la saison prochaine…

Samedi soir, Alin Stoica (21 ans) a mieux savouré le titre d’Anderlecht que celui de la saison dernière. Il a finalement été davantage impliqué dans la lutte cette saison. Deux jours plus tard, ses collègues ont élu le talentueux Belgo-Roumain Jeune Pro de l’Année au Casino de Knokke. Cinq ans après son arrivée à Bruxelles, la petite vedette est-elle enfin en passe d’en devenir une grande?

Est-ce la saison de votre éclosion définitive?

Alin Stoica : C’est en tout cas la première année que je dispute autant de matches. Quand vous avez à peine joué pendant quatre ans, il est difficile de vous intégrer de suite au jeu et d’être régulier tout au long de la saison. J’ai encore beaucoup à apprendre, sur tous les plans. C’est logique. Je sais que je suis capable de mieux.

Vous avez connu des moments difficiles.

Naturellement, mais je préfère ne plus y penser. Ils me resteront sur le coeur mais (il soupire)… Dans la vie, il faut regarder de l’avant et tenter de progresser.

A Anderlecht?

J’y suis encore lié pour un an. Je suis arrivé ici à un âge encore tendre. Bruxelles est devenue la deuxième ville de mon coeur, après Bucarest. Jamais je n’oublierai les supporters. Je ne souhaite pas m’étendre davantage sur l’avenir.

Vous voulez dire que vous voulez poursuivre votre maturation pendant un an et bénéficier ensuite d’un transfert libre?

Comme je l’ai dit: je ne veux pas en parler.

Côté anderlechtois, en revanche, la situation semble nettement plus claire: si vous ne prolongez pas rapidement votre contrat, il va vous vendre afin de ne pas vous voir partir gratuitement dans un an.

C’est son… Non, je ne veux pas répondre à cette question. Excusez-moi, je préfère ne pas entrer dans les détails. Nous avons convenu de rediscuter au terme de la saison, quand nous aurons davantage de temps.

Quand exactement?

La semaine prochaine, ou d’ici un mois ou deux peut-être.

Qu’est-ce qui compte le plus à vos yeux?

L’essentiel pour un footballeur est de jouer et de jouir de la confiance de tout le monde.

Avez-vous l’impression qu’Anderlecht tente de vous monnayer sur le marché des transferts?

Je n’en sais rien.

Le Real Madrid s’intéresse-t-il vraiment à vous?

Je n’en sais rien. J’ignore si d’autres clubs souhaitent m’enrôler. Moi-même, je n’y ai pas encore pensé. Jusqu’à présent, je me suis concentré sur une chose: placer mes qualités au service de l’équipe et gagner le titre.

Vous avez acquis la nationalité belge. Pour renforcer votre position sur le marché des transferts en devenant membre de l’Union européenne?

Cette citoyenneté offre beaucoup d’avantages. Par exemple, je n’ai plus besoin de visa pour prendre des vacances au sein de l’Union européenne.

Vous sentez-vous pleinement respecté à Anderlecht, après cette saison?

Par qui?

Pas pas tout le monde?

Il est important de sentir que les gens de l’extérieur me respectent. Les supporters, les journalistes aussi.

Votre réticence à resigner est-elle liée au changement de style d’Anderlecht, ces dernières années?

Je connais le Sporting depuis un certain temps. Il a toujours eu une équipe technicienne et des joueurs habiles avec le ballon. D’après moi, Anderlecht fait partie du gotha, à l’image du Real Madrid, de Barcelone, du Milan AC et de la Juventus, tous capables de remporter un match grâce à leur technique. Anderlecht est réputé pour cette maîtrise et il doit le rester. Sinon, il ne pourra plus rien réussir sur le plan européen. Si nous avons gagné des matches en Ligue des Champions, c’est grâce à la qualité de notre jeu. Si on se limite à se battre, on n’a aucune chance. Nous l’avons quand même vu à Manchester et à Madrid? Nous avons gagné chaque fois que nous avons joué au football. Par contre, courir dans les pieds de l’adversaire vous vide avant la mi-temps. Pour mettre toutes les chances de gagner de son côté, il faut essayer de conserver le ballon.

Le transfert de Jan Koller à Fulham est pratiquement fait. Imaginez que vous restiez à Anderlecht, quelle conséquence son départ aurait-il pour vous? En fin de compte, vous avez aussi profité de son énorme abattage?

Ce sera une grande perte car il pèse lourd, en effet, il travaille beaucoup, il crée des espaces pour les autres. Mais bon, la vie continue. Zetterberg et Scifo sont partis la saison passée. Nous devons le faire oublier, grâce à d’autres joueurs.

Depuis un moment, Aimé Anthuenis reparle de Pär Zetterberg, dont le départ a libéré une place à votre avantage. D’après lui, le Suédois est le meilleur footballeur avec lequel il ait travaillé à Anderlecht. Ne croyez-vous pas qu’il veuille le récupérer?

Je ne sais pas. Ce n’est pas mon problème.

Ne serait-il pas préférable d’évoluer dans un championnat plus relevé pour poursuivre votre progression, améliorer votre vitesse d’exécution, etc. ? Peu d’équipes belges sont capables de résister au jeu rapide d’Anderlecht.

Un championnat plus relevé?

Oui, plus rapide. La Primera Division, par exemple, qui est sans doute la plus rapide d’Europe.

Je le répète, l’essentiel pour un footballeur est de jouer. Je pense que ça me serait difficile dans un tout grand club d’un autre championnat. Mais c’est vrai, nous avons livré nos meilleurs matches en Ligue des Champions face à de grandes équipes et de grands joueurs. Les équipes belges n’ont pas les mêmes qualités. Elles misent sur le physique mais elles ne jouent pas bien. Enfin, c’est leur style, le football est comme ça en Belgique, c’est tout. Nous essayons de développer notre jeu mais c’est en Ligue des Champions qu’on progresse le plus vite et le mieux.

Avez-vous le sentiment, après votre campagne européenne, d’être suffisamment puissant pour évoluer au meilleur niveau européen?

Je me sens de mieux en mieux au fil des matches mais bon… Ce n’est pas une excuse mais il est difficile d’être bon d’emblée, à chaque match, quand vous n’avez pas été régulièrement aligné. En plus, la pluie a alourdi de nombreux terrains. Ça complique les choses car la qualité du terrain est évidemment primordiale pour un footballeur.

Vous passez toujours votre adversaire sans contact, grâce à votre intelligence, à votre explosivité, à votre technique et à votre souplesse. Votre jeu peut-il rester aussi pur au top ou devrez-vous utiliser davantage votre corps?

Quand je vois un joueur comme Maradona, selon moi le meilleur de tous les temps… Bon, le corps joue un rôle, il faut l’utiliser intelligemment, mais il n’est pas nécessaire d’être très grand ni très musclé. Dans le football actuel, il est plus important d’être très mobile.

Maintenant que vous semblez émerger, quel regard portez-vous sur ces cinq ans à Anderlecht?

J’y ai beaucoup appris sur le plan physique. C’était une étape importante car en Roumanie, on se focalise sur la technique.

L’épreuve a-t-elle été pénible?

Comme tout travail, elle a été dure, surtout que je suis arrivé très jeune. Les entraînements sont des entraînements mais les matches restent l’essentiel. C’est là qu’on peut améliorer le mieux son physique.

Vous n’aimez pas vous entraîner?

Si on ne s’entraîne pas, il est quand même impossible d’être en forme pour le match?

Aucun joueur d’Anderlecht n’a aussi souvent mal que vous. Et aucun s’entraîne aussi peu…

Un footballeur doit connaître son corps et le soigner. Un blessé ne peut s’entraîner ni jouer. Il ne peut rien faire. Il est donc capital d’être toujours en bonne santé et de savoir ce qui est bon ou pas pour son corps.

« Stoica ne sait pas se faire mal » : Franky Vercauteren n’est pas le seul à le penser.

Certains le savent mieux que d’autres mais c’est aussi une question de cervelle. On ne joue pas seulement avec ses jambes. Il faut avoir quelque chose dans le crâne. Pour partir à la guerre, il faut avant tout être malin. Il faut avoir la volonté de gagner chaque match mais comment contre-t-on les équipes agressives? Grâce à la technique et à l’intelligence.

Avez-vous souffert de la rudesse de Franky Vercauteren?

On apprend toujours, dans la vie. C’est sa méthode de travail, je le respecte. C’est tout.

Votre entourage a été trop tendre à votre égard, pense-t-on à Anderlecht. On raconte que Stoica est trop gâté, sur-protégé, qu’il a été éduqué à sens unique.

Je pense qu’il est important de se sentir aimé pour tout le monde. Peut-être encore davantage pour un Roumain; c’est possible, mais c’est ainsi. On change difficilement les gens. Peut-être un peu mais le fond reste le même. Je ne suis pas différent des autres. Sans doute est-ce mieux comme ça car je ne vais pas rester éternellement en Belgique, je suppose (il sourit).

Les Belges, travailleurs, acceptent peut-être difficilement les artistes, les vedettes?

Chaque culture a ses qualités, ses idées. J’ai les miennes et j’essaie de les mettre au service de l’équipe. Je n’aime pas être considéré comme une vedette car j’ai encore beaucoup à apprendre et à prouver. Il faut rester les pieds sur terre car nul ne peut se maintenir constamment au top. Chacun connaît des moments difficiles, dont il faut se sortir. Je conserve mon calme. Quand je dispute un bon match, je pense au suivant. Je pense que nul ne souffre plus que moi quand je joue mal.

Parfois, on dirait que la controverse dont vous êtes l’objet vous laisse froid. Peut-être même l’appréciez-vous.

La vie est remplie de controverses mais je n’y attache guère d’importance, en effet. Ma famille est auprès de moi, ce qui compte beaucoup. Elle m’encourage, elle veut mon bien. Les supporters aussi. Ils sont ma deuxième famille (il sourit).

Vous insistez sur l’intérêt général à chaque interview mais, au vu de votre talent, de votre aura et de vos allures, vous pensez sans doute: -Je suis Stoica, le meilleur de Belgique, je suis assez doué pour jouer au Real Madrid.

Personne ne peut tenir de tels propos. La vie réserve à tout le monde des moments difficiles et alors, on dit: -Vous voyez, lui qui disait qu’il était le meilleur. On ne peut émerger seul dans un sport d’équipe. Le football n’est pas le tennis. Sans l’aide des autres, on est impuissant. J’ai besoin de tout le monde pour gagner un match. Mes coéquipiers sont très importants. Si l’équipe joue bien, tout est plus facile.

Vous avez longtemps patienté dans l’antichambre d’Anderlecht alors que Chivu, votre jeune compatriote, a reçu d’emblée sa chance à l’Ajax. Il y est aligné semaine après semaine. N’a-t-il pas mieux choisi sa destination que vous? N’avez-vous pas perdu trop de temps à Anderlecht?

Ma patience a porté ses fruits, puisque j’ai pu participer à la Ligue des Champions avec Anderlecht.

Pourquoi Walter Baseggio, qui n’a qu’un an et demi de plus que vous, s’est-il intégré plus vite?

C’est la vie, tout dépend des chances que vous recevez. Walter est un excellent footballeur et la concurrence était sans doute moins vive au poste de médian défensif qu’à la mienne, où jouaient Zetterberg et Scifo.

Lucas Zelenka a préféré être loué à Westerlo, où il joue chaque week-end, en espérant en revenir plus fort. A-t-il fait un bon choix?

Ce n’est pas à moi d’en juger. Je trouve important de pouvoir m’entraîner et jouer ici avec de bons footballeurs. On apprend plus facilement, on évolue plus rapidement.

On vous a vu tackler en Ligue des Champions. Où avez-vous appris?

En équipes d’âge. Tackler ne s’apprend pas du jour au lendemain. Parfois, il faut le faire, parfois pas. Quand un technicien ne joue pas bien, on raconte tout de suite qu’il ne s’est pas assez battu, vous connaissez le refrain.

Vous effectuez les gestes les plus difficiles avec une aisance étonnante. On dirait que vous ne consentez jamais d’effort. Comment faites-vous pour jouer aussi naturellement?

Je pense toujours que l’essentiel est de s’amuser.

Ça doit toujours être amusant? Sans jamais forcer son corps, pour qu’il ne rompe pas?

Oui, mieux vaut s’abstenir si on ne s’amuse pas.

L’entraîneur peut vous remplacer, alors?

Il est le mieux placé pour prendre cette décision. Il faut monter sur le terrain avec le sentiment d’être à même de bien jouer, d’aider l’équipe et de gagner le match. Tout footballeur désire continuer à jouer mais c’est l’entraîneur qui décide. En fin de compte, d’autres doivent également jouer. Parfois, ça ne va pas, tout bêtement. On ne peut pas toujours être au top. Je suis encore très jeune, j’ai beaucoup à apprendre car, je le répète, je n’ai presque pas joué pendant quatre ans.

Aimé Anthuenis vous a sorti peu après vous avoir fait entrer au jeu, contre La Gantoise. Quel regard portez-vous sur cet incident?

Je tente de l’oublier. La vie continue, il faut regarder en avant. C’est ce que j’essaie de faire.

Vous avez quand même bien exploité votre popularité auprès des supporters, à l’époque…

Je salue les supporters après chaque match. Jamais je ne les oublie car ils m’ont beaucoup aidé quand ça allait moins bien. Les entendre scander mon nom m’insuffle confiance. C’est quand même pour eux que nous nous produisons. Que ferions-nous sans leur soutien?

Imaginez que pareille situation se reproduise: réagiriez-vous de la même façon?

Je préfère ne pas y penser.

L’entraîneur vivait une période critique. Sa tête était plus ou moins menacée. L’ère d’Anthuenis à Anderlecht semblait révolue.

Je n’y ai pas pensé, à cette époque.

Vous montrez rarement vos émotions, voire jamais. Pourtant, votre père affirme que vous êtes émotionnel à la maison. Walter Baseggio pense que vous pleurez quand vous êtes seul.

Naturellement. Je suis peut-être plus renfermé, plus réservé, mais je suis capable de montrer mes émotions, vous savez. Comme après une qualification ou un titre. Egalement après une victoire, mais de manière plus brève, car la semaine suivante, il y a un autre match, qu’il faut gagner pour remporter le championnat ou assurer son classement.

Vous échangez à peine un mot avec certains joueurs du groupe.

Je ne sais pas. Je parle avec tout le monde, en anglais ou en français. Pas une heure d’affilée (il sourit) mais je n’ai de problème avec personne. Peut-être suis-je plus proche des joueurs originaires des Balkans ou de pays moins éloignés de la Roumanie que la Belgique. Des Yougoslaves, de Baseggio, de Milojevic, de Iachtchouk, et avant d’Anastasiou.

Christian Vandenabeele

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