L’ESPRIT LILLOIS

A quelques jours d’un match déterminant contre Anderlecht, le coach explique comment son équipe s’apprête à secouer une nouvelle fois son adversaire.

Le Domaine de Luchin, le centre d’entraînement du LOSC, se situe à peine à deux kilomètres de la frontière belge, au milieu des bois et de la verdure. Pourtant, pour le moment, les travaux rompent la quiétude du lieu car Lille a investi pas moins de 19 millions d’euros pour son futur centre de formation. Jusque fin 2007, les joueurs devront donc se contenter de préfabriqués pour se changer.

C’est là qu’on a rendez-vous avec Claude Puel, à la tête de l’équipe première depuis quatre ans et demi. On nous a dit de venir vers 17 h 00 mais ce n’est que sur le coup de 18 h 20 que Puel fait son apparition en s’excusant :  » J’avais beaucoup de travail « .

Puel est originaire de Castres et a effectué toute sa carrière de joueur (plus de 600 matches) sous la vareuse de Monaco, où il débuta sa carrière d’entraîneur en 1999. Un titre de champion de France (2000) et un contrat non renouvelé plus tard, le voilà qui débarque dans le Nord de la France en juillet 2002. Un premier exercice difficile allait pourtant servir de rampe de lancement à trois saisons nettement mieux négociées. Les deux dernières années, Lille a terminé sur le podium, accrochant du même coup une participation à la Ligue des Champions.

Vous êtes du Sud. Avez-vous éprouvé certaines difficultés à vous adapter à la mentalité du Nord ?

Non car il y a beaucoup de valeurs que je partage chez les gens du Nord. Ils sont très humbles, réservés mais également chaleureux.

Avec peu de moyens, vous avez réussi à conduire le LOSC dans le haut du classement…

C’est la politique de tout un club. Si le sportif marche bien, c’est parce qu’on nous place dans les meilleures conditions. Chacun a adhéré à un projet à moyen terme et on a réussi à monter une équipe qui tienne la route sans gros moyens, et en faisant confiance à de nombreux jeunes du centre de formation. Lille est un petit club qui veut devenir grand. Nous avons eu des résultats hors normes par rapport à notre budget (Ndlr : 36 millions d’euros contre 29 à Anderlecht !). L’important est de continuer à nous structurer.

 » Je ne voulais pas partir comme un voleur  »

Vous êtes resté au LOSC malgré de nombreuses offres (Lyon, Porto, Monaco). Est-ce parce que vous vous sentez redevable à un président qui vous a maintenu sa confiance malgré des débuts chaotiques ?

La fidélité, c’est un état d’esprit. Je suis resté 25 ans à Monaco. Quand j’adhère à un projet, je m’investis totalement et il n’y a pas de calculs de ma part. On a connu une première saison difficile et c’est vrai qu’à ce moment-là, le président a su rester solide et me maintenir. Si vous me parlez de Porto, je vous répondrai que je ne voulais pas laisser tomber le club ni les joueurs car le championnat venait de reprendre. C’était pourtant un défi très intéressant car il s’agissait de prendre la succession de José Mourinho mais je ne me voyais pas partir comme un voleur.

Vous jouez au Stade Bollaert de Lens contre Anderlecht : les projets d’un nouveau stade lillois se sont succédé et n’ont toujours pas abouti. N’avez-vous pas l’impression d’avoir perdu quelques années ?

C’est très difficile. On voyait les structures condamnées et il fallait continuer à mener l’équipe en cachant l’avancée du projet pour ne pas entamer le mental des troupes. Plusieurs fois, le dossier a été enterré et il a fallu se battre pour le défendre. On a profité de la Ligue des Champions l’an dernier, où on a joué tous nos matches à l’extérieur puisqu’on a dû déménager au stade de France, pour faire connaître notre désarroi.

Le fantôme d’un stade de 50.000 places n’a-t-il jamais entamé votre foi en ce club ?

Moi, je n’ai pas envie de me projeter ailleurs tant qu’il y a un soupçon de possibilité d’amener le groupe plus haut. J’ai été beaucoup sollicité et mes collègues me prennent pour un fou d’avoir refusé certaines offres mais cela serait magnifique d’obtenir des résultats et pourquoi pas d’être champion avec Lille en étant passé par où on est passé. Je suis encore jeune (45 ans) et peut-être que si j’avais plus de 50 ans, je n’aurais pas eu les ressources nécessaires pour défendre ce projet. Je me suis quand même posé la question de savoir si j’étais assez armé pour supporter ce défi et si je suis encore là, c’est que la réponse fut positive.

Vous n’avez pas peur que la génération actuelle quitte le club faute d’infrastructures ?

Pour la génération précédente, quand on pensait que le stade serait prêt en décembre 2007, on avait inscrit les joueurs dans la durée et on leur avait dit qu’à cette date, on rentrerait dans un stade flambant neuf. En attendant, il convenait de mouiller son maillot et de donner une bonne image du LOSC. Etant donné que ce projet n’a plus été viable, je ne pouvais plus projeter la nouvelle génération dans le nouveau stade…

 » On croit que Lille, c’est gris et qu’il pleut tout le temps mais ce n’est pas vrai  »

Lille est l’équipe la plus régulière de ces dernières années derrière Lyon mais souffre encore d’un déficit d’image…

Le championnat est vendu à Canal + et on est dans l’ère du marketing et du court terme. On préfère des équipes médiatiques même si les résultats ne suivent pas. Mis à part les performances du début de siècle, le LOSC n’a pas de palmarès. C’est un club jeune, neuf qui doit se fabriquer une image. Lille est une grande métropole et c’est incohérent de ne pas avoir pensé plutôt que cette ville méritait un grand club. Personne n’a eu conscience, auparavant, de ce que cela pouvait apporter en termes économiques et de notoriété. Au sud de Paris, on croit que Lille, c’est triste, qu’il pleut sans cesse et qu’il y a des mines. Ce n’est pas du tout cela.

Cela évolue. On prend votre équipe plus au sérieux…

On est beaucoup plus attendu. Les équipes qui se déplacent ici viennent uniquement pour défendre. C’est un nouveau statut mais cela ne me dérange pas. Au contraire, cela veut dire que notre travail est reconnu. En Ligue 1, l’exemple n’est pas Lyon car ce club fait partie des cylindrées européennes et aucune autre équipe de Ligue 1 ne peut rivaliser. Beaucoup de clubs se disent que Lille a réussi de belles choses avec un petit budget. Je pense donc qu’on est davantage copié que Lyon. Que ce soit en termes de jeu, d’état d’esprit, de turnover ou d’Intertoto. Personne ne voulait jouer cette Coupe et nous, nous avons été en finale avant d’atteindre les huitièmes de finale de Coupe UEFA.

Vous parliez de valeurs. Quelles sont les vôtres ?

On me demande toujours si je n’ai pas trop de problèmes à évoluer dans ce milieu superficiel du football. Cela ne me dérange pas car dans tout milieu, on peut se fixer des règles et être en accord avec sa conscience. Pour moi, un contrat, cela veut dire quelque chose. Si je dois partir d’ici, cela doit se faire en accord avec mon président et avec un certain respect des choses. Je me bats avec mes joueurs pour qu’ils respectent une certaine culture de club et la moindre des choses, c’est que j’applique ces principes.

Et sur le terrain ?

Actuellement, on vend des individualités. Tout tend à disperser le joueur et à le rendre médiatique et le propre de l’entraîneur est de créer des conditions pour mettre en exergue le collectif. Les équipes qui réussissent sont celles qui vivent bien ensemble et qui montrent une solidarité sur le terrain. On ne peut rien faire sans cet état d’esprit. La difficulté de l’entraîneur est d’amener des individualités à penser collectif. Mais c’est le plus beau également.

Avez-vous privilégié la carte jeune pour donner une identité picarde au LOSC ?

Evidemment. C’est important pour les gens d’ici qui s’identifient encore plus à cette équipe. Et puis, dans les moments difficiles, l’état d’esprit est plus fort chez les joueurs du cru. La notion de derby est également beaucoup plus importante chez nous par rapport à Lens ou Valenciennes où il n’y a pas beaucoup de joueurs formés au club. Cependant, cela devient de plus en plus difficile car comme notre ambition augmente, il faut maintenir un certain niveau et c’est de plus en plus délicat de lancer des jeunes.

 » Je ne calque pas mon jeu sur celui de l’adversaire  »

Les bons résultats modifient-ils quelque peu votre discours ?

Un peu. Il évolue. Je n’ai plus affaire aux mêmes joueurs. Leur ego grandit et c’est de plus en plus difficile de maintenir un état d’esprit, de la rigueur, et de la remise en cause. Le groupe est moins homogène. Certains joueurs ont beaucoup progressé. Plus que d’autres et on voit que quand ils sont absents, la qualité du jeu s’en ressent. La gestion est plus difficile et l’équilibre plus précaire.

Vous agissez aussi avec patience avec vos recrues : vous avez laissé un an d’adaptation à Kader Keita et à Peter Odemwingie. Maintenant, ils éclatent…

Je peux le faire car mes dirigeants me le permettent. Ils restent patients. Dans beaucoup de clubs, ce serait déjà la crise : Keita représentait le plus gros transfert du club (3 millions d’euros) et a évolué durant six mois en CFA.

Vous avez déclaré être un adepte  » d’une identité de jeu « …

Je veux que tout le monde participe. Défensivement et offensivement. Notre jeu ne doit pas être calqué sur celui de l’adversaire, ça c’est évident. Mon équipe doit imposer son jeu. Chacun a donc un rôle bien précis pour récupérer le ballon et quand nous sommes en possession du cuir, il faut respecter certains principes.

Il s’agit de votre deuxième participation d’affilée en Ligue des Champions. Est-ce que la qualification est obligatoire cette saison ?

Je ne parle pas en termes d’obligation car cela serait se mettre une épée de Damoclès au dessus de la tête. Il ne nous a pas manqué grand-chose l’année dernière et l’ambition est de passer la poule. Nous avons fait quatre rencontres très solides et notre qualification ne dépend que de nous.

Vous aviez affirmé avant le match aller à Anderlecht que les Bruxellois étaient plus matures que vous…

Anderlecht domine la compétition belge chaque année et a la chance de participer à la Ligue des Champions chaque saison. Cela permet d’accumuler de l’expérience. Anderlecht a un potentiel offensif intéressant et solide. L’AEK Athènes était capable d’avoir un meilleur collectif mais manquait d’éléments d’envergure. Anderlecht dispose de joueurs capables de faire la différence, de prendre la profondeur et d’avoir de la vitesse dans leur jeu. Certains disent aussi qu’au Parc Astrid, on a maîtrisé la deuxième mi-temps. C’est vrai mais il ne faut pas oublier qu’en première mi-temps, on a été surpris par l’engagement et les duels aériens.

STÉPHANE VANDE VELDE, ENVOYÉ SPÉCIAL À LILLE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire