L’esprit kawasaki

Le gardien japonais du Lierse est devenu une des attractions du championnat. Rencontre avec un phénomène médiatique.

Le Lierse a fait venir une véritable attraction : un gardien japonais dans un championnat européen, cela ne court pas les rues. L’homme se débrouille relativement bien en anglais, ce qui est aussi rare pour un Japonais. Et même si une traductrice avait été réquisitionnée pour l’interview, à plusieurs reprises il lui est arrivé de prendre la parole pour apporter certaines précisions dans la langue de Shakespeare. Il connaît aussi quelques mots d’italien, qu’il a appris lors de quelques stages effectués dans la Botte, et quelques mots de portugais mémorisés au contact d’équipiers brésiliens qu’il a côtoyés.

Lors de sa conférence de presse de présentation, il avait étonné l’assistance en prononçant une phrase en néerlandais.  » L’apprentissage des langues étrangères est l’une de mes passions « , révèle EijiKawashima (27 ans).  » En ce qui concerne le néerlandais, je compte bien ne pas en rester là. Je demanderai à mes équipiers de me parler leur langue, pour que je puisse l’apprendre. Des petites phrases simples pour commencer, puis des séquences un peu plus complexes lorsque je deviendrai plus à l’aise. Quand je sors pour manger, je demande aussi aux serveuses de m’expliquer la signification de certains mots ou de me traduire les plats proposés au menu. Petit à petit, j’apprendrai à me débrouiller.  »

Kawashima a mis le temps avant d’intégrer un club européen. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé.  » Je songeais depuis longtemps à venir en Europe « , reconnaît-il.  » Mais ce n’est pas aussi simple. La chance s’est seulement présentée récemment. En 2003, déjà, j’avais passé des tests à Parme, mais j’étais encore sous contrat pour trois ans avec le club d’Omiya Ardija qui a refusé de me libérer. « 

A ce moment-là, Kawashima sortait d’un Championnat du Monde U20 où il avait livré des prestations très prometteuses.  » En fait, j’espérais surtout des propositions émanant de clubs japonais. Je ne me faisais pas trop d’illusions en ce qui concerne un club européen, car leurs scouts se déplacent rarement au Japon et encore plus rarement pour rechercher un gardien de but. C’était difficile pour moi d’attirer l’attention. « 

Vergoossen consulté

A défaut d’un club européen, Kawashima attira l’attention, en 2004, de Nagoya Grampus Eight : un bon club de la J-League. Mais il y fut barré par un certain SeigoNarazaki qu’il allait trouver sur sa route tout au long de sa carrière.  » Pourtant, je n’ai pas regretté ce passage à Nagoya « , affirme Eiji.  » Narazaki était le gardien n°1 au Japon. Moi, j’étais encore jeune et j’étais convaincu que je pouvais beaucoup apprendre à son contact. Ce fut le cas. J’ai beaucoup travaillé, j’ai étudié la manière dont Narazaki se comportait et cela m’a beaucoup apporté. Trois ans sur le banc, ce fut un peu trop long. J’ai essayé d’être transféré dans une autre équipe, mais le coach s’y est opposé : il pensait que je devais encore mûrir un peu.  »

Le coach était un certain SefVergoossen, l’ancien entraîneur de Genk qui a travaillé durant une saison avec Kawashima. Le Néerlandais a naturellement été consulté lorsqu’il fut question d’un passage de Kawashima au Lierse.  » Quand on visionne un joueur, on peut se faire une opinion assez précise de ses qualités sportives « , explique son manager StefanVanHeester.  » Mais il y a aussi les qualités humaines, le comportement et la mentalité qui doivent être pris en considération dans la réussite d’un transfert. Vergoossen nous a rassurés sur ce point : il nous a certifié que Kawashima était un garçon très consciencieux. Il n’a pas menti : Eiji est un garçon très attachant.  »

Le passage à Kawasaki Frontale, en 2007, marqua le véritable départ de la carrière de Kawashima.  » Après trois années passées dans l’ombre de Narazaki, j’allais enfin pouvoir démontrer toutes mes qualités. J’avais 24 ans, il était temps que ma carrière décolle réellement. « 

Il démontra rapidement ses qualités puisqu’il fut élu dans le 11 idéal de la saison, tout en remportant le prix du fair-play. Kawashima a un grand c£ur et il s’est lancé dans des projets sociaux au Japon. Les Kawashima Seats, par exemple.  » Une fois par an, j’invitais des enfants handicapés à venir me ren-contrer et à assister à un match. Au début de ma carrière, je n’avais pas encore beaucoup d’argent, mais lorsque j’ai rejoint Kawasaki, je commençais à être à l’aise. Je voulais faire partager ce que le football m’avait apporté.  »

Une autre récompense lui tendit les bras : une sélection en équipe nationale. Mais là encore, il se retrouva en concurrence avec Narazaki.  » Longtemps, YoshikatsuKawaguchi avait été le gardien n°1. Puis, il y a eu Narazaki. Moi, je n’étais donc que n°2 ou n°3. Je manquais encore d’expérience. En club, je commençais à faire mon trou, mais en sélection j’étais encore amené à patienter.  »

Pourquoi le Lierse ?

L’envie de découvrir l’Europe était toujours présente en lui. En janvier 2010, il repartit en Italie pour un test.  » En fait, plutôt pour m’entraîner sous la direction d’un coach italien que j’avais connu à Parme, lorsque j’avais 18 ans. Depuis lors, nous sommes toujours restés en contact, et je me suis souvent rendu en Italie, hors saison, afin de me préparer pour la nouvelle saison de J-League. Il n’était plus à Parme, mais je l’ai retrouvé à Vérone. Lorsque je pouvais m’entraîner avec l’équipe, je le faisais. Sinon, je me contentais d’entraînements individuels avec le coach. « 

Cette année 2010 allait enfin marquer ses grands débuts en Europe. Il n’est pas venu chez nous pour l’argent : le Japon est l’un des pays les plus riches de la planète et les meilleurs joueurs peuvent très bien gagner leur vie dans la J-League.  » En fait, je voulais venir en Europe pour évoluer en tant que gardien de but « , explique Kawashima.  » Si j’étais resté au Japon durant toute ma carrière, j’aurais toujours réfléchi comme un Japonais. La culture footballistique y est très différente. Pour réussir ici, il me faudra d’abord m’habituer au mode de vie européen, puis au football européen. Pour gagner de l’argent, je n’avais pas besoin de quitter la J-League, on est très bien payé là-bas. C’était surtout un défi sportif que je voulais relever. Je veux prouver qu’un gardien japonais était capable de réussir sur le Vieux Continent. « 

Si Kawashima a abouti chez nous, c’est surtout parce que le Lierse s’est montré le plus prompt sur la balle. Il n’a pas attendu la Coupe du Monde pour se décider.  » On savait qu’après l’Afrique du Sud, les propositions afflueraient « , explique Van Heester.  » Et, effectivement, des offres sont arrivées d’à peu près tous les pays européens : Angleterre, France, Espagne, Portugal, Pays-Bas. Je ne dis pas qu’elles n’étaient pas intéressantes, mais Eiji aurait dû agir dans la précipitation, se décider en quelques jours. Dans le cas du Lierse, il a pu prendre son temps, peser le pour et le contre, discuter avec les dirigeants. Il sait où il met les pieds. Je pense aussi que le Lierse peut représenter un bon point de départ pour entamer une carrière européenne : la pression sera moins forte qu’elle l’aurait été dans d’autres pays. Cela ne l’empêchera pas de gravir éventuellement un échelon par la suite. La Belgique est située au centre de l’Europe et le championnat est très suivi par les recruteurs. Si Eiji est bon, il ne tardera pas à se faire remarquer. « 

Kawashima avait déjà été informé de ce qui l’attendrait en Belgique par un certain MarekSpilar. L’ancien défenseur slovaque du Club Bruges fut, pendant une saison, le coéquipier du gardien japonais à Nagoya Grampus Eight.  » Nous avions une relation très étroite là-bas. On était quasiment tous les jours ensemble. Je savais que, pour un étranger, ce n’était pas facile de s’adapter à la vie japonaise, et j’ai donc essayé de l’aider dans ce domaine, en étant le plus proche possible de lui. S’il avait besoin d’un coup de main pour remplir un document, faire des achats ou d’autres choses, il n’avait qu’à m’appeler et j’arrivais. J’espère que je trouverai, moi aussi, quelqu’un en Belgique qui m’aidera de la même manière. Mais je sens déjà que mon adaptation sera rapide. Tout le monde m’aide à me sentir à l’aise. A mon arrivée, je ne connaissais personne. Aujourd’hui, après un mois, je peux déjà considérer tous les membres de l’équipe comme de bons copains.  »

Le manque de ponctualité belge

Kawashima a déclaré qu’il voulait transposer l’esprit de Kawasaki à Lierre.  » J’entendais par là que Kawasaki Frontale, mon dernier club au Japon, était un club familial. J’ai entendu qu’au Lierse, c’était pareil. J’espère donc ne pas être trop dépaysé. Et Effectivement, de ce que j’ai vu il y règne une ambiance chaleureuse. Je sais que je ne débarque pas dans le plus grand club de Belgique, mais c’est un club ambitieux. On m’a dit que, d’ici quelques années, la participation à la Ligue des Champions serait l’un des objectifs. C’est aussi pour cela que je suis venu. Je n’ai pas envie de me retrouver dans un club qui lutte chaque année pour son maintien en D1. Il faut regarder vers le haut. « 

A part cela, il ne connaissait pas grand-chose du football belge.  » J’espère que je ne vous vexerai pas si j’affirme qu’au Japon, on voit très peu d’images du championnat de Belgique. Lorsqu’on montre du football européen à la télévision, c’est surtout la Ligue des Champions, la Premier League anglaise, la Liga espagnole ou la Serie A italienne. Je connaissais, de réputation, des équipes comme Anderlecht, le Standard ou Bruges. Pour le reste, j’ai essayé de m’informer avant de venir ici. « 

Les matches disputés par les Diables Rouges à la Kirin Cup ne lui ont pas laissé un souvenir impérissable, mais peu importe. Il est heureux de son choix et fait de gros efforts pour s’intégrer.  » Ce qui m’a le plus surpris ? Peut-être une ponctualité parfois défaillante. Au Japon, lorsqu’on a un rendez-vous à 8 heures, on n’arrive pas à 8 h 05. Ici, cela se produit parfois. J’ai aussi été étonné lorsque, alors que j’avais besoin de quelque chose, on m’a répondu : – Legarsquis’enoccupeestenvacancespourtroissemaines, ilfautattendre ! Au Japon, ce serait impensable également.  »

Et l’adaptation comme gardien ?  » Les horaires d’entraînement sont différents mais ce n’est pas vraiment un problème. J’avais, aussi, l’habitude de travailler ma musculation, mais je n’ai pas retrouvé les mêmes appareils ici. Ce qui m’a surtout frappé, c’est que les dirigeants et les entraîneurs sont très proches des joueurs. Au Japon, la distance est plus grande. Le respect de la hiérarchie et de l’ancienneté est très ancré dans les m£urs. Il ne viendrait jamais à un joueur l’idée d’appeler un dirigeant ou un entraîneur par son prénom, par exemple. Mais j’ai un caractère très ouvert et je m’adapte facilement. « 

Kawashima a débuté le championnat comme titulaire dans les buts du Lierse. Le fait d’avoir une grande valeur marchande lui procure-t-il un avantage par rapport à VladanKujovic, par exemple ?  » Je ne sais pas. Je devrai faire mes preuves sur le terrain.  »

Kawashima est ambitieux : le Lierse ne devrait être qu’une étape intermédiaire. Jusqu’où entend-il aller ?  » Le plus haut possible, j’espère. « 

par daniel devos

« Pour gagner de l’argent, je n’avais pas besoin de quitter la J-League, on est très bien payé là-bas. « 

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